GERTRUDE

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LE XV NOVEMBRE. SAINTE GERTRUDE, VIERGE (1).

 

L'école qui a pour base la règle du Patriarche des moines d'Occident, commence à saint Grégoire le Grand; et telle a été l'indépendance de l'Esprit-Saint qui la dirigeait, que des femmes y ont prophétisé comme les hommes. Il suffit de rappeler sainte Hildegarde et sainte Gertrude, à côté de laquelle figure avec honneur sa compagne, sainte Mechtilde, et la grande sainte Françoise romaine. Quiconque en fera l'expérience, s'il a pratiqué les auteurs plus récents sur l'ascèse et la mystique, ne tardera pas à sentir cette saveur si différente, cette autorité douce qui ne s'impose pas, mais qui entraîne. Là, rien de cette habileté, de cette stratégie, de cette analyse savante que l'on rencontre ailleurs; procédés qui réussissent plus ou moins, et dont on ne recommence l'application qu'avec le risque d'en sortir blasé.

Le pieux et docte P. Faber a relevé avec sa sagacité ordinaire les avantages de cette forme de spiritualité qui ménage la liberté d'esprit, et produit dans les âmes, sans méthode rigoureuse, les

 

1. Notre Révérendissime Père et Maître, Dom Guéranger, ayant eu l'occasion de traiter avec son incomparable compétence le sujet propre de cette fête, en l'édition qu'il a donnée des Exercices de sainte Gertrude, c'est lui-même qu'on aura l'avantage d'entendre seul aujourd'hui dans les pages qui vont suivre.

 

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dispositions dont les méthodes modernes n'ont pas toujours le secret. « Nul ne peut lire, dit-il, les écrivains spirituels de l'ancienne école de saint Benoît, sans remarquer avec admiration la liberté d'esprit dont leur âme était pénétrée. Sainte Gertrude en est un bel exemple; elle respire partout l'esprit de saint Benoît. L'esprit de la religion catholique est un esprit facile, un esprit de liberté; et c'était là surtout l'apanage des Bénédictins ascétiques de la vieille école. Les écrivains modernes ont cherché à tout circonscrire, et cette déplorable méthode a causé plus de mal que de bien (1). »

Au reste, les voies sont diverses, et tout chemin qui mène l'homme à Dieu par la réforme de soi-même est un heureux chemin. Nous n'avons voulu dire qu'une chose, c'est que celui qui se livrera à la conduite d'un Saint de la vieille école ne perdra pas son temps, et que s'il est exposé à rencontrer moins de philosophie , moins de psychologie sur son chemin, il a chance d'être séduit par la simplicité et l'autorité du langage, d'être ébranlé et bientôt réduit parle sentiment du contraste qui existe entre lui et la sainteté de son guide. Telle est l'heureuse révolution qu'éprouvera pour l'ordinaire une âme qui, se proposant de resserrer ses relations avec Dieu, et s'étant établie dans la droiture de l'intention et dans un sincère recueillement, voudra suivre sainte Gertrude, tout spécialement dans la semaine d'Exercices qu'elle a tracée. Nous oserions presque lui promettre qu'elle en sortira tout autre qu'elle n'y était entrée. Il est même à croire qu'elle y reviendra plus d'une fois et avec plaisir ; car il ne lui

 

1. Tout pour Jésus, ch. VIII, § 8.

 

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souvient pas qu'elle ait éprouvé la moindre fatigue, et que la liberté de son esprit ait été enchaînée même un instant. Elle a pu être confondue de se sentir si près d'une âme sanctifiée, elle si loin de la sainteté ; mais elle a senti qu'ayant après tout la même fin que cette âme, il lui faut sortir de la voie molle et dangereuse qui l'entraînerait à sa perte.

Si l'on se demande d'où vient à notre Sainte cet empire qu'elle exerce sur quiconque consent à l'écouter, nous répondrons que le secret de son influence est dans la sainteté dont elle est remplie : elle ne démontre pas le mouvement, elle marche. Une âme bienheureuse, descendue du ciel pour demeurer quelque temps avec les hommes, et parlant la langue delà patrie sur cette terre d'exil, transformerait ceux qui auraient le bonheur de l'entendre parler. Sainte Gertrude, admise dès ici-bas à la plus étroite familiarité avec le Fils de Dieu, semble avoir quelque chose de l'accent qu'aurait cette âme ; voilà pourquoi ses paroles sont autant de flèches pénétrantes qui abattent toute résistance dans ceux qui se placent à leur portée. L'intelligence est éclairée par cette doctrine si pure et si élevée, et cependant Gertrude ne disserte pas; le cœur est ému, et cependant Gertrude n'adresse la parole qu'à Dieu; l'âme se juge, se condamne, se renouvelle par la componction, et cependant Gertrude n'a pas cherché un instant à l'établir dans un état factice.

Si l'on veut maintenant se rendre compte de la bénédiction particulière attachée à son langage, qu'on recherche la source de ses sentiments et des expressions sous lesquelles ils se traduisent. Tout émane de la divine parole, non seulement de celle que Gertrude a entendue de la bouche de l'Epoux céleste, mais aussi de celle qu'elle a

 

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goûtée , dont elle s'est nourrie dans les livres sacrés et dans la sainte Liturgie. Cette fille du cloître n'a pas cessé un seul jour de puiser la lumière et la vie aux sources de la contemplation véritable, de cette contemplation que l'âme goûte en s'abreuvant à la fontaine d'eau vive, qui jaillit de la psalmodie et des paroles inspirées des divins Offices. Elle s'est tellement enivrée de cette liqueur céleste, qu'elle ne dit pas un mot qui ne dévoile l'attrait qu'elle y trouve. Telle est sa vie, si complètement absorbée dans la Liturgie de l'Eglise, que nous voyons constamment, dans ses Révélations, le Seigneur arriver près d'elle, lui manifester les mystères du ciel, la Mère de Dieu et les Saints se présenter à ses regards et l'entretenir, à propos d'une Antienne, d'un Répons, d'un Introït, que Gertrude chante avec délices et dont elle déguste toute la saveur.

Delà, chez elle, ce lyrisme continuel qu'elle ne recherche pas, mais qui lui est devenu comme naturel; cet enthousiasme sacré auquel elle ne peut se soustraire, et qui l'amène à produire tant de pages où la beauté littéraire semble arriver à la hauteur de l'inspiration mystique. Cette fille du XIII° siècle, au fond d'un monastère de la Souabe, a réalisé avant Dante le problème de la poésie spiritualiste Tantôt la tendresse de son âme s'épanche dans une touchante élégie; tantôt le feu qui la consume éclate en brûlants transports; tantôt c'est la forme dramatique qu'elle emploie pour rendre le sentiment qui la domine. Parfois ce vol sublime s'arrête : l'émule des Séraphins semble vouloir redescendre sur la terre ; mais c'est pour repartir bientôt et s'élever plus haut encore. Une lutte incessante a lieu entre son humilité qui la tient prosternée dans la poussière,

 

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et son cœur haletant vers Jésus qui l'attire et lui adonné tant de gages de son amour.

A notre avis, les plus sublimes passages de sainte Thérèse, mis en regard des effusions de sainte Gertrude, n'en affaibliraient en rien l'ineffable beauté. Il nous semble même que souvent l'avantage resterait à la vierge de Germanie sur la vierge espagnole. Ardente et impétueuse, la seconde n'a pas, il est vrai, la teinte un peu mélancolique et réfléchie de la première ; mais Gertrude, initiée à la langue latine, ravivée sans cesse par la lecture des saintes Ecritures et les divins Offices qui n'ont pas d'obscurités pour elle, y puise un langage dont la richesse et la puissance nous semblent l'emporter généralement sur les immortels épanchements de Thérèse à qui ces secours ont été moins familiers.

Que le lecteur cependant ne s'effraie pas à la pensée d'être placé tout à coup sous la conduite d'un Séraphin, lorsque sa conscience lui rend le témoignage qu'il a encore une longue station à faire dans la région purgative, avant de songer à parcourir des voies qui peut-être ne s'ouvriront jamais devant lui. Qu'il écoute simplement Gertrude, qu'il la contemple et qu'il ait foi dans le but d'arrivée. La sainte Eglise, lorsqu'elle met dans notre bouche les Psaumes du Roi-Prophète, n'ignore pas que leurs expressions dépassent trop souvent les sentiments de notre âme ; mais le moyen d'arriver à l'unisson avec ces divins cantiques, n'est-ce pas de les réciter fréquemment avec foi et humilité, et d'obtenir ainsi la transformation que nul autre moyen n'aurait opérée ? Gertrude nous détache doucement de nous-mêmes et nous conduit à Jésus-Christ, en nous précédant de loin, mais en nous entraînant après elle. Elle

 

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va droit au cœur de son Epoux divin : rien n'est plus juste; mais ne lui serons-nous pas déjà assez redevables, si elle nous conduit à ses pieds comme Madeleine repentante et régénérée ?

Même quand elle écrit plus spécialement pour ses sœurs, on doit se garder de penser que la lecture de ces pages si émouvantes soit inutile à ceux qui sont engagés dans la vie du siècle. La vie religieuse exposée par un tel interprète est un spectacle aussi instructif qu'il est éloquent. Est-il permis d'ignorer que la pratique des préceptes devient plus aisée à quiconque s'est donné la peine d'approfondir et d'admirer celle des conseils ? Le livre de l’Imitation, qu'est-il autre chose que le livre d'un moine écrit pour des moines ? En quelles mains cependant ne le rencontre-1-on pas? Combien de personnes séculières sont sous le charme des écrits de sainte Thérèse ? Et néanmoins la vierge du Carmel concentre sur la vie religieuse ses écrits et sa doctrine.

Nous nous garderons d'analyser ici des merveilles qu'il faut contempler soi-même. Dans notre société désaccoutumée du langage ferme et coloré des âges de foi, gâtée, dans ce qui tient à la piété, par les fadeurs ou les prétentions mondaines des livres de dévotion que l'on voit éclore chaque jour, sainte Gertrude étonnera et choquera même plus d'un lecteur. Que faire alors ? Si l'on a désappris le langage de l'antique piété qui formait les Saints, il semble qu'il n'y aurait rien de mieux à faire que de le rapprendre, et il est de fait que sainte Gertrude y pourrait servir beaucoup.

La liste des admirateurs de sainte Gertrude serait longue Mais il est encore une autorité plus imposante : nous voulons dire celle de l'Eglise elle-même.  Cette  Mère des fidèles, toujours

 

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dirigée parle divin Esprit, a rendu son témoignage par l'organe de la sainte Liturgie. La personne de Gertrude et l'esprit qui l'animait y sont à jamais recommandés et glorifiés aux yeux de tous les chrétiens, par le jugement solennel contenu dans l'Office de la Sainte (1).

La vie de Gertrude la Grande, ainsi qu'elle mérita d'être désignée entre les Saintes du même nom, fut humble et cachée (2). Entrée à cinq ans à l'Abbaye d'Helfta, près Eisleben, elle s'y perdit dans le secret de la face de Dieu. Malgré la confusion qui régna plusieurs siècles à ce sujet et qui se retrouve dans la Légende de la fête, c'est à tort qu'on l'a prise pour son homonyme, grandement prévenue elle-même des dons divins, l'Abbesse Gertrude de Hackeborn, qui gouverna de son temps le monastère. Ce fut sur la sublimité de ses Révélations tardivement publiées (3) qu'inscrite en 1677 au Martyrologe, elle vit au siècle suivant (4) Clément XII ordonner la célébration de sa fête dans toute l'Eglise sous le rit Double. Les Indes Occidentales l'acclamèrent comme Patronne, et le Nouveau-Mexique bâtit une ville en son honneur.

Afin de fournir une expression à la piété des fidèles envers sainte Gertrude, nous plaçons ici l'une des Hymnes que l'Ordre de saint Benoît lui consacre dans sa Liturgie, et nous la faisons suivre d'une des Antiennes et de l'Oraison.

 

1. Dom Guéranger, Les Exercices de sainte Gertrude (1863), en la Préface. — 2. 1256-13o3. — . 3. Consignées dans les cinq Livres du Legatus divinae pietatis, ou Héraut de l'amour divin. — 4. 1738.

 

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HYMNE

 

O Gertrude, sanctuaire de la divinité, unie à l'Epoux des vierges, laissez-nous célébrer vos chastes amours et votre alliance nuptiale.

 

A peine âgée de quatre ans et déjà fiancée au Christ, vous prenez votre vol vers le cloître; vous vous arrachez aux bras de votre nourrice, n'aspirant qu'aux divines caresses de l'Epoux.

 

Semblable au lis sans tache, vous exhalez un parfum qui réjouit les cieux, et l'éclat de votre virginale beauté attire vers vous le Roi dé cet heureux séjour.

Celui qui vit au sein du Père, entouré d'une gloire éternelle, devient votre Epoux, et daigne se reposer dans votre amour.

 

Par cet amour, vous avez blessé le Christ, à son tour il blesse aussi votre cœur, il y grave en traits de feu les stigmates des plaies qu'il a reçues.

 

O ineffable amour ! ô échange merveilleux ! c'est lui qui respire dans votre cœur;son souffle devient en vous le principe  de la vie.

 

Que l'heureux chœur des Vierge célèbre vos louanges, ô Jésus leur Epoux ! gloire égale au Père et au divin Paraclet ! Amen.

 

ANTIENNE .

 

O très digne Epouse du Christ, la lumière prophétique vous a éclairée, le zèle apostolique vous a enflammée, la couronne des Vierges a ceint votre front, et les flammes du divin amour vous ont consumée.

 

ORAISON.

 

O Dieu qui avez préparé pour vous une habitation pleine d'attraits dans le cœur très pur de la bienheureuse Vierge Gertrude, daignez, par ses mérites et son intercession, effacer les taches de notre cœur, afin qu'il mérite d'être à son tour habité par votre majesté divine. Par Jésus-Christ notre Seigneur.

 

Révélatrice du Cœur sacré, quelle meilleure prière pourrions-nous faire à votre honneur, que de dire avec vous, nous tournant vers le Fils de la Vierge bénie :

« Lumière sereine de mon âme, Matin éclatant des plus doux feux, devenez en moi le jour. Amour qui non seulement éclairez, mais divinisez, venez à moi dans votre puissance, venez dissoudre doucement tout mon être. Détruite en ce qui est de moi, faites que je passe en vous tout entière, en sorte que je ne me retrouve plus dans le temps, mais que déjà je vous sois étroitement unie pour l'éternité.

 

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« C'est vous qui m'avez aimée le premier ; c'est vous qui m'avez choisie. Vous êtes celui qui accourt de lui-même vers la créature altérée ; et l'éclat de la lumière éternelle brille sur votre front. Montrez-moi votre visage, tout rayonnant des feux du divin soleil. Comment l'étincelle pourrait-elle subsister loin du feu qui l'a produite ? Comment la goutte d'eau se conserverait-elle hors de la fontaine d'où elle est sortie ? Amour, pourquoi m'avez-vous aimée, moi créature et souillée, si ce n'est parce que vous vouliez me rendre belle en vous ? O vous, qui êtes la fleur délicate qu'a produite la Vierge Marie, votre miséricordieuse bonté m'a séduite et m'entraîne. Amour, ô mon beau Midi ! je voudrais mourir mille fois, pour me reposer en vous.

« O Charité, à l'heure de ma mort, vous me soutiendrez par vos paroles plus délicieuses que le vin le plus exquis; vous serez ma voie ; vous m'aiderez, ô ma Reine, à parvenir jusqu'à ces pâturages charmants et fertiles que recèle le divin désert, où enfin, enivrée de bonheur, je serai admise à jouir delà présence de l’Agneau qui est mon Epoux et mon Dieu. O amour qui êtes Dieu, sans vous le ciel et la terre n'auraient de moi une espérance ni un désir : daignez accomplir en moi cette union que vous désirez vous-même; qu'elle soit ma fin, la consommation de mon être. Dans les traits de mon Dieu, votre lumière éclate comme celle de l'astre du soir; à l'heure de ma mort, montrez-moi vos rayons.

« Amour, ô mon Soir bien-aimé, que la flamme sacrée qui brûle éternellement en votre divine essence, consume à ce moment toutes les taches de ma vie. O mon doux Soir, faites-moi m'endormir en vous d'un sommeil tranquille, et goûter

 

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cet heureux repos que vous avez préparé en vous à ceux que vous aimez. Par votre seul regard si calme et si plein de charmes, daignez disposer toutes choses, et dirigez les préparatifs de mes noces éternelles. Amour, soyez pour moi un Soir si beau, que mon âme transportée dise avec allégresse un doux adieu à son corps, et que mon esprit, retournant au Seigneur qui l'a donné, repose en paix sous votre ombre chérie (1). »

 

1. Du cinquième Exercice. Pour animer en soi l'amour de Dieu.

 

 

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