SERMON POUR LE QUATRIÈME DIMANCHE DE L'AVENT.
SUR LA PÉNITENCE.
ANALYSE.
Sujet. Jean-Baptiste venant dans tout le pays qui est le
long du Jourdain, prêchant le baptême de
pénitence pour la rémission des péchés.
Comme
il y a une vraie et une fausse pénitence, la grande misère du pécheur, dit
saint Chrysostome, c'est qu'étant assuré, comme il l'est, de la réalité de son
péché, il ne peut jamais l'être absolument de la validité de sa pénitence.
Cependant, pour calmer,
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autant qu'il est possible,
nos esprits, il y a certains caractères propres de la véritable pénitence, et
c'est à ces caractères que nous devons la reconnaître.
Division. Pour pouvoir compter sur notre pénitence, il en faut
juger par les fruits. Or ces dignes fruits dont parlait Jean-Baptiste en
prêchant aux Juifs, et qui rendent la pénitence efficace, se réduisent à trois
: à retrancher la cause du péché, 1e partie; à réparer les effets du
péché, 2e partie ; à assujettir le pécheur aux remèdes du péché, 3e
partie.
Première
partie. Retrancher la cause et la matière
du péché, premier caractère à quoi nous devons reconnaître la vraie pénitence.
Cette maxime est fondée sur deux principes.
Premier
principe : on n'aime point le péché comme péché, mais on aime la matière et la
cause du péché. Par exemple, on aime le plaisir qui est criminel, mais on
l'aime parce qu'il est plaisir, et non point parce qu'il est criminel. On
voudrait même pouvoir séparer l'un de l'autre, et que ce qu'on aime ne fût
point criminel : on n'est donc point précisément criminel pour aimer le péché,
puisqu'on effet on ne l'aime pas; mais on l'est pour aimer ce qu'on sait
d'ailleurs être péché. D'où vient que, haïssant même le péché, l'on pèche
toutefois parce qu'on aime ce qui est péché.
De
ce principe, il s'ensuit que ce n'est point absolument par la haine du péché,
considéré comme péché, qu'il faut distinguer la vraie pénitence : car la
pénitence la plus vaine peut avoir cela de commun avec la pénitence la plus
solide. Mais nous la distinguerons, cette pénitence solide, par le renoncement
atout ce qui fait le péché.
C'est
par là que l'homme pénitent, selon le précepte de l'Apôtre, doit s'éprouver
lui-même. Vous ne savez si c'est un repentir sincère et efficace qui vous
touche? voici la règle que vous donne le Prophète pour sortir de cette
incertitude : Supprimez toute les paroles, et convertissez-vous. Vous êtes du
monde, et ce qui vous porte à mille péchés, c'est une dépense qui excède vos
forces : retranchez cette dépense. Vous aimez le jeu, et c'est ce qui vous perd
: retranchez ce jeu. Enfin, quoi que ce soit, sacrifiez-le. Voilà ce que saint
Paul appelle combattre, non pas en frappant l'air, ni en donnant des coups
perdus, mais en faisant tomber l'ennemi que l'on poursuit.
Second
principe : on n'est pas toujours maître de ses pensées, mais on est toujours
responsable de ses actions ; et quand nous venons à succomber dans une occasion
dangereuse d'où nous avons pu sortir, on n'a jamais droit de dire alors : Je ne
pouvais pas me défendre de ce péché ; mais on doit dire : Je ne le voulais pas.
Saint Paul gémissait de sa faiblesse ; et parce qu'il ne se contentait pas de
gémir, mais qu'il veillait attentivement sur lui-même, cette attention sur
lui-même était un témoignage de la sincérité de sa douleur. Au contraire,
l'hypocrisie de la pénitence, c'est de déplorer, comme saint Paul, notre
fragilité, et cependant de nous exposer à des occasions où toute la force des
Saints suffirait à peine pour résister.
Vous
êtes faible, il est vrai ; mais vous vous jouez donc de Dieu, si, dans le
moment que vous pleurez votre péché, vous n'en voulez pas retrancher
l'occasion. Ne dites point comme l'Apôtre : Je ne fuis pas le Lien que je veux,
et je fais le mal que je ne veux pas. Mais dites que vous voulez tout le mal
que vous faites, et que vous ne voulez nullement le bien que vous ne faites pas
: et de là même concluez que votre pénitence n'est que dissimulation et que
mensonge.
Cependant
on traite un confesseur d'homme difficile et scrupuleux, lorsqu'il suspend pour
ceux qui ne veulent pas éviter certaines occasions la grâce de l'absolution.
Mais quand la suspendra-t-il donc? et s'il y a des sévérités indiscrètes, ne
serait-ce pas aussi une facilité criminelle, que de réconcilier et d'admettre à
la participation des sacrements un pécheur qui s'obstine à demeurer dans un
danger si évident et si prochain ?
Mais
ce sont des occasions que je ne puis quitter : vous les quitteriez s'il
s'agissait de votre fortune. Mais ce sont des liens que je ne puis rompre sans
éclat et sans scandale : le grand scandale est plutôt de ce que vous ne les
rompez pas. Mais Dieu me protégera : confiance présomptueuse, qui ne va qu'à
tenter Dieu et qu'à fomenter votre impénitence.
Deuxième
partie. Réparer les effets du péché,
second caractère à quoi nous devons reconnaître la vraie pénitence. Car la
pénitence est une partie de la justice, et la justice demande nécessairement
une réparation. Mais supposant la nécessité de cette réparation, quelle en doit
être l'étendue? Sur cela, deux maximes importantes de l'Ecriture.
Première
maxime : pour se convertir efficacement, il faut faire, selon la parole de
Jean-Baptiste, de dignes fruits de pénitence; c'est-à-dire, suivant
l'explication de saint Grégoire, ne pas seulement pleurer le passé, mais
produire dans l'avenir des fruits de grâce et de salut. Or, quels sont ces
fruits? réparer les effets du péché par des œuvres directement contraires au
péché même, selon ses différentes espèces ; par exemple, réparer les effets de
la calomnie par le rétablissement de l'honneur.
Dignes
fruits de pénitence, parce qu'il faut pour les produire que le pécheur fasse
des efforts dont il n'y a que la vraie pénitence, qu'une pénitence
surnaturelle, qui soit capable. Car sans cette pénitence surnaturelle, comment
un riche pourra-t-il jamais se résoudre à se dépouiller pour rendre un bien
qu'il a injustement acquis?
Fruits
proportionnés, à quoi ? à l'offense. On ne répare pas l'injustice par l'aumône,
ni la médisance par la prière.
Fruits
nécessaires : en vain imaginerons-nous des tempéraments ; il en faut toujours
revenir à la décision de saint Augustin : Le péché n'est point remis si le
dommage n'est réparé.
Fruits
certains et non suspects : on ne soupçonnera jamais un pécheur qui veut bien se
soumettre à une telle satisfaction de n'être pas bien converti. Mais quelle est
l'illusion ? c'est qu'au lieu de juger de la pénitence par ses fruits, on en
veut juger par des pratiques très-équivoques, et qui souvent ont plus d'éclat
que de solidité. Beaux dehors, mais dehors trompeurs, si d'abord ou ne satisfait
pas aux devoirs naturels de la charité et de la justice.
Seconde
maxime : Il ne suffit pas de faire pénitence devant Dieu, il faut encore la
faire devant les hommes, en réparant le scandale. Car le scandale est une
partie du péché ; et puisque, en vous égarant, vous en avez égaré tant
d'autres, n'est-il pas de l'ordre que vous tâchiez, par votre exemple, à les
ramener? Mais ce n'est point là comment on raisonne dans le. monde; et si
quelquefois on consent à faire pénitence et à se convertir, du reste, on veut
toujours garder les mêmes apparences du péché, vivre toujours dans le même
faste, être toujours des mêmes sociétés.
Est-ce
ainsi que tant de fameux pénitents, dans l'ancienne loi et dans la loi nouvelle
, se sont convertis ? Apprenons comme eux à faire cesser, non-seulement le mal,
mais l'apparence du mal. Ayons là-dessus égard au jugement du monde, qui ne
condamne pas seulement le péché, mais les apparences du péché, et qui s'en
scandalise. S'il nous parait un censeur trop sévère, bénissons Dieu de ce que
le vice n'a pas encore prévalu jusqu'à pouvoir obtenir du monde, que le monde
l'approuvât, et reconnaissons notre aveuglement de ne vouloir pas en croire le
monde, dans une chose où le jugement même du monde s'accorde si bien avec le
jugement et la loi de Dieu.
Troisième
partie. S'assujettir aux remèdes du
péché, troisième caractère de la vraie pénitence. Le péché, surtout quand
l'habitude en est formée , est comme une dangereuse maladie, contre laquelle il
est nécessaire que la pénitence emploie les plus souverains remèdes. Deux
sortes de remèdes : 1° les uns pour nous garantir du péché; 2° les autres pour
punir le péché.
1°
Remèdes préservatifs et propres à nous garantir du péché. Il n'y a personne
qui, par les différentes épreuves qu'il en a faites, n'ait connu ou du moins ne
puisse connaître ce qui serait capable de le préserver du péché, et de le
maintenir dans l'ordre. Or la preuve convaincante d'une sincère conversion est
de prendre ces moyens. Vous avez souvent éprouvé que le plus puissant
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préservatif contre la
cupidité et l'amour du plaisir qui vous domine est l'occupation et le travail;
occupez-vous et fuyez l'oisiveté. Vans savez que la fréquente confession serait
un secours toujours prêt et presque toujours immanquable contre les tentations
qui vous attaquent, et vous n'ignorez pas quel besoin vous auriez d'un
directeur sage et ferme ; mais parce que la confession vous gène, vous
n'approchez du saint tribunal que très-rarement. Peut-on présumer alors que
votre pénitence ait été de bonne foi? Que ne fait-on pas tous les jours pour la
guérison du corps ? Pourquoi ne le faites-vous pas pour la guérison de votre
âme ?
2°
Remèdes, pour ainsi dire, correctifs et propres à punir le péché. Si le
châtiment, un châtiment volontaire et rigoureux, suivait de près le péché, il
n'y a point de passion ni d'habitude qu'on ne déracinât. Ce n'est pas à dire
que la pénitence soit une Vertu servile : car on peut se punir par amour, et
par zèle de sa perfection. Ainsi, quand l'Eglise autrefois punissait par des peines
Canoniques chaque espèce de péché, elle ne croyait pas ôter par là aux fidèles
cet esprit d'adoption qu'ils avaient reçu dans la loi ta grâce. L'innocence
florissait alors, et la pénitence était exemplaire, parce que le péché n'était
point impuni, mais aujourd'hui l'on en veut être quitte à moins de frais, et de
là l'inondation de tous les vices.
Faisons
maintenant ce que l'Eglise faisait dans ces premiers siècles. Le droit de Dieu
est toujours le même : et nous avons toujours la même obligation de satisfaire
à sa justice. N'attendons pas qu'il nous punisse lui-même. Si ceux qu'il a
commis pour être les médecins de nos âmes sont trop indulgents, suppléons à
leur indulgence par notre sévérité. Appliquons aux maux spirituels de nos âmes
des remèdes spécifiques. En un mot, convertissons-nous à Dieu de bonne foi, et
Dieu se convertira à nous.
Et
venit in ornnem regionem Jordanis,prœdicans baptismum pœnitentiœ, in
remissionem peccatorum.
Jean-Baptiste vint dans tout
le pays qui est le long du Jourdain, prêchant le baptême de la pénitence pour
la rémission des péchés. (Saint Luc, chap. III, 3.)
SIRE,
Quelque malheureuse que soit la
condition de l'homme dans l'état du péché, si toute pénitence était véritable,
ou s'il était toujours aisé de discerner la vraie pénitence de la pénitence
imparfaite et fausse, le pécheur, dans son malheur même, aurait de quoi se
consoler, parce qu'il pourrait au moins envisager la pénitence comme une
ressource infaillible et comme un fonds certain de tranquillité et de paix. La grande
misère du pécheur, dit saint Chrysostome, c'est qu'étant assuré comme il l'est
de la réalité de son péché, il ne peut jamais être absolument assuré de la
validité de sa pénitence. Ce qui rend son sort déplorable, c'est que bien
souvent la pénitence qu'il a faite, ou qu'il a cru faire, ne doit pas moins le
troubler que son péché même ; c'est que tous les oracles de l'Ecriture lui
apprennent qu'il n'y a que la vraie et la parfaite pénitence qui sauve l'homme,
et qu'au contraire il y en a cent autres, ou parce qu'elles sont fausses et
vaines, ou parce qu'elles sont imparfaites et insuffisantes, qui ne le sauvent
pas. S'il lui arrive de s'y tromper, si, faute de discernement, il vient, dans
la pratique même de la pénitence, à prendre le faux pour le vrai, et à compter
pour suffisant ce qui est défectueux, dès là il tombe dans l'abîme des plus
infortunés pécheurs, puisque sa pénitence même, qui devait être sa
justification et son salut, devient encore une des causes de sa condamnation et
de sa perte. Voila, s'il entend bien sa religion, ce qui doit le faire
trembler.
Voulez-vous, Chrétiens, calmer
aujourd'hui vos consciences, autant qu'il est possible, sur un point si
important; et pour cela, voulez-vous savoir quelle est la véritable pénitence, ou,
pour mieux dire, en quoi consiste le discernement juste que vous devez faire de
la véritable pénitence? C'est ce que je vais vous apprendre, et voici en peu de
paroles tout mon dessein.
J'appelle véritable pénitence,
pénitence sûre, celle que le saint précurseur, Jean-Baptiste, prêchait aux
peuples qui le venaient chercher dans le désert, quand il leur disait : Faites
donc de dignes fruits de pénitence : Facite ergo fructus dignos pœnitentiœ (1). Il ne se contentait pas qu'ils fissent pénitence ; mais, pour pouvoir compter
sur leur pénitence, il voulait qu'ils en jugeassent par les fruits. Car la
pénitence n'est solide, ni recevable au tribunal de Dieu, qu'autant qu'elle est
efficace : et peut-elle être autrement efficace que par les fruits qu'elle
produit? Facile fructus dignos pœnitentiœ. Je les réduis à trois, et je dis,
après tous les Pères de l'Eglise, que la pénitence efficace est celle qui
retranche la cause du péché, celle qui répare les effets du péché, celle qui
assujettit le pécheur au remède du péché. Trois caractères qui font d'une part
la perfection de la pénitence, et de l'autre la sûreté morale du pécheur
pénitent ; trois caractères que je vous prie de bien remarquer, et qui vont
partager ce discours. Retrancher généreusement ce qui est la cause ou la matière
du péché. Réparer pleinement ce qui a été l'effet et la suite du péché.
S'assujettir fidèlement à ce qui doit être le remède du péché. Si votre
pénitence, mon cher auditeur, est accompagnée de ces trois conditions, vous
pouvez, sans être téméraire et présomptueux, faire fond sur elle : mais qu'une
de ces trois conditions lui manque, c'est assez pour la rendre inutile, ou même
criminelle.
Remplissez-nous, mon Dieu, de
votre esprit, de cet esprit de zèle qui animait Jean-Baptiste, c'est ce que je
vous demande pour
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moi; de cet esprit de componction qui touchait les Juifs, et
qui les disposait à profiter des grandes vérités qui leur étaient annoncées par
ce fidèle ministre; c'est ce que je vous demande, non point seulement pour moi,
mais pour toutes les personnes qui m'écoutent. Adressons-nous encore à Marie. Ave,
Maria.
PREMIÈRE PARTIE.
Je fonde la première proposition
sur deux principes également incontestables, et dont notre seule expérience
doit nous convaincre, pour peu que nous ayons soin de nous étudier nous-mêmes,
et de discerner les mouvements de notre cœur. Car voici d'abord ce que nous y
devons reconnaître, et c'est une observation qu'a faite avant moi saint
Augustin. Quelque corrompue, dit ce Père, que soit la nature de l'homme, depuis
le péché et par le péché, on n'aime point, après tout, le péché comme péché. Il
n'appartient qu'aux démons d'être disposés de la sorte ; et on pourrait même
douter s'ils portent jusque-là leur obstination et leur malice. On aime ce qui
est la matière et la cause du péché, mais on n'aime point dans le fond le péché
même : c'est-à-dire on aime le plaisir que Dieu défend, mais non pas parce
qu'il le défend. On aime le profit de l'usure, qui est injuste ; mais on l'aime
parce qu'il est commode, et non pas parce qu'il est injuste. On aime la
vengeance , qui est criminelle ; mais on l'aime parce qu'on croit que l'honneur
y est engagé, et non pas parce qu'elle est criminelle.
Je dis plus : on voudrait, s'il
était possible, pouvoir séparer l'un de l'autre ; et, par une précision dont le
libertin s'accommoderait volontiers, on voudrait que ce qu'on aime ne fût pas
défendu de Dieu ; on voudrait que Dieu ne s'offensât pas du plaisir que l'on
recherche en satisfaisant sa passion ; en un mot, on voudrait pouvoir se
contenter, et ne pas pécher. Mais parce que ces deux choses sont inséparables,
et que dans la conjoncture où je suppose le pécheur, le désir qu'il a de se
contenter l'emporte par-dessus la crainte qu'il a de pécher ; de là vient, dit
saint Augustin, que sans aimer le péché, que haïssant même le péché, il pèche
toutefois dans la satisfaction qu'il se procure : pourquoi? parce qu'il aime au
moins ce qu'il sait et ce qu'il ne peut ignorer être la cause ou la matière du
péché. Or, cela suffit pour le rendre malgré lui-même transgresseur et
prévaricateur de la loi de Dieu.
Voilà le premier principe; et
prenez garde, Chrétiens : ce n'est donc point précisément par la haine du
péché, considéré comme péché, qu'il faut distinguer les pécheurs efficacement
convertis d'avec ceux qui ne le sont pas; puisqu'il est certain que les plus
endurcis pécheurs, tandis qu'ils ont un reste de religion, conservent encore,
ou du moins peuvent conserver cette haine du péché. Ce n'est point, dis-je, par
cette haine générale, par cette haine spéculative du péché, qu'il faut juger du
mérite de la pénitence, puisqu'on sait bien qu'il n'en coûte rien au pécheur
pour haïr le péché de la sorte, et que la pénitence la plus vaine peut avoir
cela de commun avec la pénitence la plus solide.
Mais par où devons-nous commencer
à faire dans nous-mêmes le discernement de la vraie pénitence, et de ce que
j'appelle ici détestation sincère et efficace du péché? Ecoutez-moi, Chrétiens,
et jugez-vous. En voici l'induction pratique. C'est par le retranchement actuel
et effectif de ce que nous reconnaissons être en nous la cause du péché, de ce
qui fomente, et qui fait subsister dans nous ce corps de péché, que Dieu veut
que nous détruisions en nous convertissant à lui : Ut destruatur in vobis corpus
peccati (1). C'est par le renoncement à mille choses agréables, qui font
dans l'idée de l'homme charnel la douceur de la vie, mais qui sont aussi par là
même le poison mortel de nos âmes et l'aiguillon du péché. C'est par la fuite
des objets qui excitent dans nos cœurs ces pernicieux désirs, que la
concupiscence, selon l'Ecriture, ne peut concevoir sans enfanter le péché : Deinde
concupiscentia cum conceperit, parit peccatum (2). C'est par l'exacte
fidélité à éviter des entretiens dont nous savons bien que la scandaleuse
licence corrompt la pureté des mœurs, puisque c'est de là que viennent les
premières plaies, et souvent les plus incurables que nous fait le péché. C'est
par la sévère, mais salutaire, mais nécessaire détermination à nous interdire des
sociétés et des commerces qui sont pour nous comme les liens du péché ; des
représentations et des spectacles dont l'unique effet est d'émouvoir les
passions les plus vives, et de répandre dans l'imagination et dans les sens les
plus dangereuses semences du péché; des assemblées où l'esprit impur est comme
dans son règne, et en possession de tendre à l'innocence les pièges les plus
inévitables du péché ; des lectures où notre damnable curiosité est si souvent
et si justement punie par les malignes impressions qu'elles laissent du
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péché. C'est
par le sacrifice entier et sans réserve de ces amitiés dont nous nous
apercevons bien, que la tendresse malheureuse, quoique couverte d'un voile de
pudeur, n'est au fond qu'un raffinement de sensualité, et qu'un déguisement de
péché. C'est par le prompt et éternel divorce avec cette personne dont les
artifices, aussi bien que les charmes, et souvent bien plus que les charmes,
sont les amorces fatales du péché. C'est par la sainte violence que chacun de
nous doit se faire sur tout cela, puisque ce sont là, dans la pensée de
l'Apôtre, les armes de l'iniquité et du péché : Arma iniquitatis peccato
(1). En un mot, c'est par cette circoncision évangélique qui, ne s'arrêtant pas
à la surface, ni au changement extérieur de l'homme, dépouille l'homme de ce
qu'il a dans le cœur de plus intime, de ce qui est en lui l'origine du péché.
Oui, c'est par là que le chrétien
doit mesurer l'efficace et la vertu de sa pénitence ; et s'il est dans l'obligation
d'approcher de ce sacrement que Jésus-Christ a institué pour la réconciliation
des pécheurs, c'est par là qu'il doit commencer à accomplir le grand précepte
de l'Apôtre : Probet autem seipsum homo (2) : Que l'homme s'éprouve
lui-même, et autant qu'il le peut, dans cette vie ; qu'il s'assure de lui-même.
Or il le peut par là, reprend saint Chrysostome; et moi j'ajoute qu'il ne le
peut que par là.
Supprimez toutes les paroles
inutiles, et convertissez-vous solidement : Tollite verba , et convertimini
(3). Ainsi parlaient les prophètes, exhortant à la pénitence le peuple de Dieu
; et c'est, pécheur à qui je parle, le ministère dont je m'acquitte
aujourd'hui. Vous détestez, dites-vous, votre péché; vous y renoncez, du moins
le croyez-vous ainsi. Mais peut-être vous flattez-vous dans le témoignage que
vous vous rendez ; et votre contrition prétendue n'est rien moins devant Dieu
que ce qu'elle vous paraît. Peut-être êtes-vous plus touché de la honte de
votre péché que de sa malice ; du remords et du trouble qu'il vous cause, que
de l'injure qu'il fait à Dieu ; de l'embarras où il vous jette, que de la
disgrâce de Dieu qu'il vous attire : si cela est, contrition toute humaine.
Peut-être votre erreur vient-elle de ce que vous confondez les grâces de la
pénitence qui sont en vous, avec la pénitence qui n'y est pas ; les désirs de
conversion que Dieu vous inspire, avec votre conversion même, dont vous êtes
encore bien éloigné : c'est-à-dire,
peut-être vous croyez-vous changé et converti, lorsque vous
souhaitez seulement de l'être : si cela est, contrition apparente. Mais
voulez-vous sortir de cette incertitude ? voulez-vous bien connaître ce que
vous êtes? Tollite verba : sans vous arrêter aux paroles toujours équivoques,
toujours suspectes, voici la règle que vous devez prendre. Entrons dans le
détail; il n'y aura rien qui ne convienne à la chaire.
Vous êtes un homme du monde, un
homme distingué par votre naissance , mais dont les affaires (ce qui n'est
aujourd'hui que trop commun) sont dans la confusion et dans le désordre. Que ce
soit par un malheur ou par votre faute, ce n'est pas là, maintenant, de quoi il
s'agit. Or, dans cet état, ce qui vous porte à mille péchés, c'est une dépense
qui excède vos forces, et que vous ne soutenez que parce que vous ne voulez pas
vous régler, et par une fausse gloire que vous vous faites de ne pas déchoir.
Car de là les injustices, de là les duretés criantes envers de pauvres
créanciers que vous désolez ; envers de pauvres marchands aux dépens de qui
vous vivez; envers de pauvres artisans que vous faites languir ; envers de
pauvres domestiques dont vous retenez le salaire. De là ces frivoles et
trompeuses promesses de vous acquitter ; ces abus de votre crédit, et ces
chicanes infinies pour éloigner un paiement ou pour l'éluder. De là ces dettes
éternelles qui, en ruinant les autres, vous damnent vous-même. Retranchez cette
dépense; et si vous voulez que je sois bien persuadé de la vérité de votre
contrition , ayant peu, passez-vous de peu. Ne vous mesurez pas par ce que vous
êtes, mais par ce que vous pouvez. Otez-moi ce luxe d'habits, cette superfluité
de train, cette vanité d'équipage, cette curiosité de meubles. Réduit à la
disette et à une triste indigence, supportez-la, mais supportez-la en chrétien
; et puisqu'il le faut, faites-vous-en un mérite et une vertu. Sans cela, en
vain pleurez-vous votre péché : en vain formez-vous mille repentirs, ou plutôt
en vain les témoignez-vous ; ces repentirs, ce sont des paroles, et Dieu vous
demande des effets : Tollite verba, et convertimini.
Vous aimez le jeu, et ce qui perd
votre conscience, c'est ce jeu-là même ; un jeu sans mesure et sans règle ; un
jeu qui n'est plus pour vous un divertissement, mais une occupation, mais une
profession , mais un trafic, mais une attache et une passion, mais, si j'ose
ainsi parler, une rage et une fureur ; un jeu dont on peut bien dire, à la
lettre, que c'est un
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abîme qui attire un autre abîme, ou même cent autres abîmes
: Abyssus abyssum invocat (1). Car de là viennent ces innombrables
péchés qui en sont les suites, de là l'oubli de vos devoirs, de là le
dérèglement de votre maison, de là le pernicieux exemple que vous donnez à vos
enfants; de là la dissipation de vos revenus; de là ces tricheries indignes,
et, s'il m'est permis d'user d'un terme plus fort, ces friponneries que cause
l'avidité du gain; de là ces emportements, ces jurements, ces désespoirs dans
la perte ; de là souvent, et plus que de la fragilité du sexe, ces honteuses
ressources où l'on se voit forcé d'avoir recours ; de là cette disposition à
tout, et peut-être au crime, pour trouver de quoi fournir au jeu. Retranchez ce
jeu ; et parce qu'il est bien plus aisé de le quitter absolument que de le
modérer, quittez-le : faites-en une déclaration publique ; donnez à Dieu une
preuve de la sincérité de votre contrition, en coupant la racine du mal ; et,
pour vous assurer vous-même que vous ne voulez plus pécher, imposez-vous la loi
de ne plus jouer. Sans cela, vous aurez beau dire comme le publicain de
l'Evangile : Seigneur, soyez-moi propice; je reconnais mon péché; votre voix
est la voix de Jacob, mais vos mains sont les mains d'Esaü : Tollite verba,
et convertimini.
Enfin, examinez-vous devant Dieu,
et, juge équitable de vous-même, défait de toute prévention, voyez ce qui sert
de sujet au péché; mais voyez-le préparé et résolu à n'en excepter rien, à n'en
retenir rien dans le sacrifice que vous en devez faire. Voilà par où vous
connaîtrez si vous êtes pénitent. Attaquer le péché, non en idée, mais en
substance; en saper le fondement et le renverser, c'est ce que saint Paul
appelle courir, non pas au hasard , mais à dessein d'arriver au terme : Sic
curro, non quasi... aerem verberans (2); c'est ce qu'il appelle combattre,
non pas en donnant des coups perdus, ni en frappant l'air, mais en faisant
tomber l'ennemi que vous poursuivez, et en remportant sur lui une pleine
victoire. Je passe au second principe.
On n'est pas toujours maître de
ses pensées, ni des premiers mouvements de son cœur; mais on est toujours
responsable de ses actions et de sa conduite : et quand on vient, par exemple,
à succomber dans une occasion dangereuse d'où la loi de Dieu nous obligeait de
sortir, mais où, malgré la loi de Dieu néanmoins, l'on est demeuré, on n'a jamais
droit
alors de dire : Je n'ai pu me défendre de ce péché; mais on
doit dire : Je ne l'ai pas voulu, ou je ne l'ai que très-faiblement et peu
sincèrement voulu. Appliquez-vous.
Je l'avoue, Chrétiens, un pécheur
converti de bonne foi, dans l'état même de sa conversion , peut encore avoir
des faiblesses, et, tout converti qu'il est, il peut déplorer sa misère avec le
même sujet et clans le même esprit que saint Paul, en disant comme cet apôtre :
Sentio aliam legem in membris meis repugnantem legi mentis meae, et captivantem
sub leqe peccati (1) : Infortuné que je suis! je sens dans moi-même une loi
qui me tient captif sous le joug du péché, et qui combat contre la loi de ma
raison. Mais remarquez, dit saint Chrysostome (réflexion admirable et édifiante
pour ceux qui m'écoutent), remarquez que quand saint Paul parlait de la sorte,
il protestait au même temps, avec une sainte confiance, qu'il n'avait rien
d'ailleurs à se reprocher : Nihil mihi conscius sum (2); qu'il était
fidèle à la grâce ; qu'il marchait dans la voie du salut, non-seulement avec
circonspection, mais avec tremblement; qu'il traitait rudement son corps ;
qu'il le châtiait et le réduisait en servitude : Castigo corpus meum, et in
servitutem redigo (3). Or, ce témoignage de sa fidélité, de sa vigilance,
de son austérité de vie, de son attention sur soi1 même, le mettait à couvert
de toute illusion. Lorsqu'il se plaignait de la révolte de ses passions, et
qu'il gémissait dans la douleur de se voir réduit à un état si humiliant,
c'était une douleur sincère et pleine de bonne foi. Mais le langage hypocrite,
c'est de parler comme saint Paul, et de se conduire comme le mondain. Le
langage hypocrite, c'est de se plaindre de sa faiblesse, et cependant de l'exposer
à des tentations où toute la force, toute la vertu même des Saints suffirait à
peine pour résister. Le langage hypocrite, c'est de gémir sur la violence de
ses passions, et toutefois de se précipiter aveuglément dans des périls où l'on
sait que les passions même les plus modérées ne pourraient presque se contenir;
c'est de s'écrier : In felix ego homo (4) ! Malheur à moi, d'être né si
sensuel et si fragile! et, malgré cet aveu, de rechercher contre l'ordre de
Dieu des occasions où la fragilité, de simple malheur qu'elle était, devient un
crime, ou du moins la source de tous les crimes. Telle est l'hypocrisie de la
pénitence; et c'est par là, mes chers auditeurs, que vous en devez juger.
145
Vous êtes faible, j'en conviens:
la loi du péché règne en vous ; la concupiscence vous domine ; vous portez dans
vous-même et avec vous-même votre ennemi, qui est votre chair. Mais voilà
pourquoi je prétends que vous vous jouez de Dieu, si, dans le moment que vous
pleurez votre péché, vous n'en voulez pas retrancher l'occasion. Voilà pourquoi
je soutiens que vous mentez au Saint-Esprit, et qu'il y a dans votre pénitence
une contradiction énorme, si, vous confessant faible d'une part, vous n'en êtes
pas de l'autre plus circonspect et plus vigilant. Car, avec quel front
pouvez-vous dire comme David, en gémissant et en pleurant: J'ai péché contre le
Seigneur : Peccavi Domino (1), tandis que vous vous obstinez à ne pas
éloigner de vous un danger prochain, où, sans commettre d'antre péché, vous
péchez déjà et contre le Seigneur, et contre vous-même, en risquant votre
conscience et votre salut ? Comment pouvez-vous alléguer à Dieu l'infirmité de votre
âme, et vous servir de ce motif pour toucher sa miséricorde : Quoniam
infirmus sum, sana animam meam (2) tandis qu'à cette Infirmité vous joignez
encore l'infidélité et la malignité? Je dis infidélité et malignité de demander
à Dieu qu'il vous guérisse, et de ne vouloir pas vous préserver de ce qui vous
tue ; de reconnaître que vous êtes malade, et d'agir comme si vous jouissiez
d'une pleine santé; d'appeler le ciel à témoin de votre douleur, et de ne vous résoudre jamais , en vertu de cette
même douleur, à rien sacrifier ni à vous séparer de rien, n'est-ce pas,
encore une fois, vouloir imposer à Dieu et aux hommes?
Non, non, mon cher auditeur,
tandis que vous en usez de la sorte, il n'y a dans votre pénitence que
dissimulation et que mensonge; et il ne vous est plus permis, en vous plaignant
comme saint Paul, de vous appliquer ces paroles qui ne peuvent vous convenir : Non
quod volo bonum, hoc ago ; sed quod odi malum, hoc facio (3). Car, au lieu
que cet homme apostolique était inconsolable de ce qu'il ne fusait pas le bien
qu'il voulait, et de ce qu'il faisait le mal qu'il ne voulait pas, par une opposition
extrême de vous à lui, tandis que vous persévérez dans l'occasion du péché,
vous voulez tout le mal que vous faites, et vous ne voulez nullement le bien
que vous ne faites pas. L'efficace de la pénitence consiste donc à sortir
généreusement de l'occasion pour vaincre le péché, et non pas à vouloir vaincre
le péché en demeurant dans l'occasion : et c'est ici où
j'aurais besoin de tout le zèle des prophètes pour confondre
l'aveuglement et l'endurcissement des pécheurs.
Car voici, Chrétiens, où le
relâchement des mœurs nous a conduits. On traite un confesseur d'homme
difficile et scrupuleux, on se rebute de lui, et on le quitte lorsque, fidèle à
son ministère, il suspend, pour ceux qui refusent d'éviter certaines occasions,
la grâce de l'absolution. Mais quand la suspendra-t-il donc, et quelle preuve
plus évidente peut-il avoir de la mauvaise disposition avec laquelle un mondain
se présente à ce sacrement, que de le trouver résolu à retourner toujours dans
les mêmes compagnies, et à fréquenter les mêmes lieux où tant de fois son
innocence a fait naufrage? Si jamais il peut et il doit user du pouvoir qu'il a
reçu de lier les consciences, n'est-ce pas alors? Il voit, et vous le voyez
vous-même, que l'affreuse continuité de tant de rechutes roule uniquement sur
une occasion que vous lui marquez, et il ne peut gagner sur vous de vous en
détacher. S'il consentait, malgré cet obstacle, à vous délier et à vous
absoudre, bien loin que vous dussiez louer sa lâche condescendance et
l'approuver, n'en seriez-vous pas scandalisé, ou ne devriez-vous pas l'être ?
et de dispensateur qu'il est des mystères de Dieu, n'en deviendrait-il pas le
dissipateur?
A Dieu ne plaise, Chrétiens, que
je prétende par là autoriser les sévérités indiscrètes que l'on voudrait
quelquefois, et peut-être sans fondement, imputer aux ministres de Jésus-Christ
dans l'administration de la pénitence! Mais à Dieu ne plaise aussi que
j'autorise jamais les dangereuses et criminelles facilités de quelques
ministres à ce divin tribunal! Or, y en aurait-il jamais eu de plus dangereuse
et même de plus criminelle, que de réconcilier et d'admettre à la participation
des sacrements un pécheur obstiné à ne pas sortir de certaines occasions? Ce
sont, dites-vous, des occasions qu'il n'est pas en votre pouvoir de quitter; et
moi je réponds que vous les quitteriez dès aujourd'hui, si de là dépendait
l'avancement de votre fortune temporelle, et si par là vous sauviez tel et tel
intérêt que vous avez à ménager dans le monde. Ces occasions, ajoutez-vous,
sont des liens que vous ne pouvez rompre sans éclat, et par conséquent sans
scandale : et moi je vous dis que le grand scandale est de ce que vous ne les
rompez pas; et que, scandale pour scandale, s'il était vrai que vous en fussiez
réduits là, encore vaudrait-il mieux
146
essuyer le scandale salutaire qui fait cesser le péché et
qui sauve votre âme, que de soutenir comme vous faites le scandale mortel qui
vous perd, et qui est le surcroît du péché même.
Mais Dieu dans ces occasions me
protégera, et j'ai en lui cette confiance. Confiance réprouvée, dit saint
Chrysostome, qui n'aboutit qu'à tenter Dieu et qu'à fomenter l'impénitence de
l'homme ; confiance outrageuse à Dieu, et qui ne sert qu'à endurcir le pécheur.
Ah ! mon Dieu, que ne prêche-t-on éternellement cette vérité ! que ne la
prêche-t-on et à temps et à contre-temps! que ne la prêche-t-on partout et sans
égard, puisque c'est de là que dépend la conversion, la réformation, la
sanctification du monde chrétien ! Quoi qu'il en soit, mes chers auditeurs, ne
comptez pas sur votre pénitence; et, quelque fervente qu'elle vous paraisse
d'ailleurs, tenez-la pour vaine, si elle ne va, non plus seulement à retrancher
la matière et la cause du péché, mais encore à réparer les effets du péché :
c'est la seconde partie.
DEUXIÈME PARTIE.
Comme il est évident que la
pénitence est une partie de la justice, et que c'est ainsi que les Pères de
l'Eglise nous ont fait concevoir cette vertu, l'ayant toujours considérée comme
une volonté sincère dans le pécheur de se faire justice à lui-même, de la faire
à Dieu, et, pour rendre à chacun ce qui lui est dû, de la faire encore au
prochain si le prochain a été offensé, il s'ensuit qu'une des principales
fonctions de la pénitence chrétienne est de réparer les effets du péché. Mais,
supposant l'indispensable et l'incontestable nécessité de cette réparation, il
s'agit, mes chers auditeurs, d'en bien comprendre l'étendue, parce que c'est de
là que dépend l'exacte mesure de la pénitence. Or, pour cela, je m'attache à
deux importantes maximes de l'Ecriture, qui doivent corriger en nous deux des
plus visibles et des plus dangereux abus à quoi nous soyons sujets, lors même
que nous voulons retourner à Dieu, et dans le projet et le plan de conversion
que nous nous formons. Voici une instruction bien solide, et dont je vous prie
de profiter.
Première maxime. Pour se
convertir efficacement à Dieu, il ne suffit pas de faire pénitence, mais il
faut faire de dignes fruits de pénitence. C'est ce que prêchait Jean-Baptiste ,
cet homme envoyé de Dieu pour préparer au Seigneur un peuple parfait. C'est ce
qu'il enseignait aux Juifs qui 'venaient l'entendre dans le désert, et qui se
présentaient à lui pour être baptisés. C'est la conclusion qu'il tirait et
qu'il leur adressait à tous, quand il leur disait, avec ce zèle et cet esprit
d'Elie dont il était rempli : Facite ergo fructus dignos pœnitentiœ (1).
Car, comme remarque saint Grégoire, pape, parla ce divin précurseur déclarait
que les fruits de la pénitence doivent être distingués de la pénitence même,
comme la substance de l'arbre l'est de ses fruits. Par là il leur donnait à
connaître que la pénitence ne se réduit pas uniquement à pleurer les péchés
passés, mais à se mettre en état de ne les plus commettre dans l'avenir : Transacta
flere, et illa deinceps non committere ; que pleurer les péchés passés, el
même y renoncer pour toute la suite de la vie, c'est le fond et comme la racine
de la pénitence ; mais qu'il doit naître de là des fruits de grâce et de salut,
sans lesquels la pénitence ne peut être qu'un arbre stérile, et exposé à la
malédiction. Par là il accomplissait dignement son ministère, soit à l'égard
des pécheurs endurcis, en les obligeant à faire pénitence, soit à l'égard des
pécheurs pénitents, en leur apprenant à faire de dignes fruits de pénitence : Atque
ita generalem omnibus exhibebat doctrinam non pœnitentibus, ut pœnitentiam
agerent ; pœnitentibus, ut dignos pœnitentia fructus facerent.
Or, quels sont, encore une fois,
ces fruits salutaires, ces fruits de pénitence? les voici: réparer les
pernicieux effets du péché par des œuvres directement contraires au péché même,
selon ses différentes espèces. Je
m'explique. Réparer les effets de l'usurpation ou d'une possession
injuste, par la restitution; réparer les effets de la médisance ou de la
calomnie par le rétablissement de l'honneur et de la réputation ; réparer les
effets de l'emportement et de l'outrage par l'humilité de la satisfaction ;
réparer les effets de l'inimitié et de la haine
par la sincérité de la réconciliation. Voilà, dit saint Grégoire,
les dignes fruits,les fruits proportionnés, les fruits nécessaires, les fruits
non suspects de la pénitence. Tout ceci est essentiel : écoutez-moi.
Dignes fruits de pénitence, parce
qu'il faut pour les produire que le pécheur fasse des efforts dont il n'y a que
la vraie pénitence, je veux dire que la pénitence surnaturelle, et même la plus
surnaturelle, qui soit capable. En effet, par quel autre motif que celui d'une
pénitence très-parfaite et toute surnaturelle, un riche avare pourra-t-il se
résoudre à rendre un bien qu'il a injustement acquis ou injustement
147
retenu, mais dont il ne peut plus se dépouiller sans déchoir
du rang où il est, et dont la restitution lui devient par là quelque chose de
plus triste et de moins supportable que la mort même? par quel autre motif un
homme hautain et fier pourra-t-il gagner sur lui de faire des démarches
humiliantes pour satisfaire, aux dépens de son orgueil, à ceux qu'il a
offensés? et s'il est offensé lui-même, par quel autre motif lui
persuadera-t-on d'étouffer le ressentiment de l'injure qu'il a reçue, et de se
réconcilier de bonne foi avec son plus mortel ennemi? Ce ne peut être là, Seigneur,
que l'ouvrage de votre main, et un tel changement ne peut venir que de vous :
la vertu de l'homme ne va point jusque-là. Il faut non-seulement que voire
grâce vienne à son secours, mais la plus puissante de vos grâces. Il faut
qu'elle lui fasse concevoir et enfanter ces résolutions héroïques ; et sans
elle, l'esprit corrompu du monde la ferait immanquablement avorter. C'est par
cette grâce, ô mon Dieu, que vous triomphez des cœurs les plus rebelles et les
plus durs; c'est par elle que les hommes les plus violents el les plus féroces
deviennent doux et traitables comme des agneaux ; par elle que l'usurpateur du
bien d'autrui consent à se dessaisir de tout ce qui ne lui appartient pas, et
quelquefois même encore de ce qui lui appartient, en rendant, comme Zachée,
non-seulement au double, mais au delà. Et si vous daignez aujourd'hui,
Seigneur, donner bénédiction à ma parole, qui est la vôtre, c'est par un effet
de celle pénitence victorieuse que l'on verra peut-être dans ce saint temps des
miracles qu'on n'espérait plus, mais dont vos serviteurs vous béniront, et qui
édifieront plus votre Eglise que les miracles mêmes par où elle s'est établie :
je veux dire des injustices réparées, des calomnies rétractées, des querelles
pacifiées, des inimitiés éteintes, des cœurs réunis; dignes fruits, puisque le
Saint-Esprit en est l'auteur, et que ce sont évidemment ceux que saint Paul
appelle fruits de lumière, fruits de bonté, de justice, de vérité : Fructus
enim lucis est in omni bonitate, et justitia, et veritate (1).
Fruits proportionnés à quoi? à
l'offense. Autrement, la pénitence est non-seulement défectueuse, mais odieuse
; non-seulement réprouvée de Dieu, mais condamnée même du monde; car le monde
même veut ici de la proportion. Vous vous êtes enrichi aux dépens de la veuve
et de l'orphelin, et vous vous en croyez quitte pour quelques bonnes oeuvres
dont ni l'orphelin ni la veuve ne profileront; vous avez
déchiré la réputation de votre frère, et, sans qu'il vous en coûte rien de
plus, vous vous contentez de vous acquitter envers lui des simples devoirs
d'une charité commune; vous avez, pour perdre votre ennemi, exagéré et inventé,
et toute votre pénitence se termine à gémir devant Dieu et à prier. Prière
exécrable, dit le Sage; et moi, appliquant cette expression à mon sujet, je dis
pénitence exécrable, parce que celui qui la fait, en la faisant même, ne veut
pas écouter la loi ni l'accomplir : c'est la raison qu'en apporte le
Saint-Esprit : Qui declinat aures suas, ne audiat legem, oratio ejus fiet execrabilis
(1). Non, non, mon cher auditeur, il n'en va pas comme vous le pensez : dans
l'ordre inviolable et indispensable que Dieu a établi, la médisance ne se
répare point par la prière, et l'injustice par l'aumône ; pour avoir devant
Dieu le mérite d'une pénitence efficace, il y faut observer les proportions
prescrites par le droit divin ; et, au lieu de se faire une pénitence selon son
goût, ou même selon sa dévotion, il faut se faire une dévotion et une pénitence
selon les règles de la droite conscience. Or, jamais une conscience droite ne
vous permettra de rendre précisément à Dieu ce que vous avez enlevé au
prochain, ni d'appliquer à la charité ce que vous devez à la justice : A Dieu,
vous dira-t-elle, ce qui est à Dieu, et à César, ce qui est à César : voilà la
loi éternelle et invariable qu'elle vous oblige à suivre.
Fruits nécessaires : car en vain
imaginerions-nous des tempéraments et des accommodements, des explications et
des tours ; malgré tous les tours et toutes les explications, malgré tous les
accommodements et tous les tempéraments, il en faudra toujours revenir à la
décision de saint Augustin, contre laquelle ni la cupidité, ni l'iniquité, ni
le relâchement de la morale, ni la corruption des usages du monde, ne
prescriront jamais. Si, pouvant restituer un bien dont la conscience est
chargée, vous refusez de le rendre : quelque témoignage que vous puissiez
donner d'un cœur contrit et pénitent, vous contrefaites la pénitence, mais vous
ne la faites pas : Non agitur pœnitentia, sed fingitur ; et si c'est
véritablement et sincèrement que vous la faites, poursuit ce saint docteur, le
péché ne vous est pardonné qu'à condition que le dommage sera réparé : Si
autem veraciter agitur, non remittitur peccatum, nisi restituatur ablatum.
Or, ce qui est vrai des biens de la
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fortune l'est également de l'honneur. Allez, tant qu'il vous
plaira, aux pieds des prêtres, confesser votre injustice ; prosternez-vous, humiliez-vous,
accusez-vous : si cependant vous ne prenez pas et ne voulez pas prendre les
mesures convenables pour rétablir ce que vous avez détruit, ou en supposant ce
qui ne fut jamais, ou en révélant ce qui devait être éternellement caché dans
les ténèbres, et ce qui l'aurait été sans la malignité de votre cœur, ou sans l'indiscrétion
de votre langue, qu'est-ce que votre pénitence? un fantôme, rien davantage ;
que dis-je ? c'est un crime, c'est un sacrilège : Non remittitur peccatum,
nisi restituatur ablatum.
Fruits certains et non suspects.
En effet, on ne soupçonnera jamais un pécheur qui veut bien se soumettre à
cette réparation, de n'être pas solidement converti ; c'est un gage dont les
censeurs, même les plus rigides, je veux dire, dont les confesseurs les plus
sévères ne sont pas en droit de se défier. Dans tous les autres fruits de la
pénitence, il peut y avoir de l'ostentation et de l'hypocrisie ; mais ici, ni
l'hypocrisie, ni l'ostentation n'est point à craindre; car il n'arrive guère
qu'un homme se détermine à quelque chose d'aussi mortifiant qu'il l'est de
rendre ce qu'il pourrait garder, ou de se dédire de ce qu'il a témérairement et
faussement avancé, quand il n'est converti qu'en apparence. Il faut l'être en
effet pour se condamner ainsi soi-même, et pour ne se faire nulle grâce ; la
pénitence alors ne peut donc être douteuse. Non pas, après tout, qu'on ait une
assurance entière de son état : personne, dit le Sage, ne sait s'il est digne
de haine ou d'amour; c'est un des secrets que Dieu s'est réservés pour nous
obliger à vivre dans une dépendance plus absolue de sa grâce. Mais, de toutes
les remarques à quoi l'on peut reconnaître les vrais pénitents, la plus
infaillible, c'est, sans contredit, cette généreuse réparation des effets et
des suites du péché : réparation qui remet le calme dans une âme ; réparation qui
nous affranchit des remords de la conscience ; réparation qui nous fait goûter
cette bienheureuse paix où consiste, selon Tertullien, la félicité du pécheur
justifié : Facite ergo fructus digns pœnitentiœ.
Mais, Chrétiens, quelle est
l'illusion de notre siècle ! au lieu de juger de la pénitence par ses fruits,
qui sont à toute épreuve, on en veut juger par des pratiques très-équivoques,
et qui souvent ont plus d'éclat que de solidité. Voici ma pensée : on voudrait
voir, comme autrefois, les pécheurs humiliés sous la cendre, couverts de
cilices, exténués de jeûnes : beaux dehors, mais, du reste, dehors trompeurs,
si cependant, et avant toutes choses, on ne les oblige pas à satisfaire aux
devoirs naturels de la charité et de la justice. Ces lois de police et de
discipline, que l'Eglise, dans la suite du temps, a trouvé bon de mitiger, on
les voudrait encore dans toute leur rigueur, et je les y voudrais moi-même ;
mais à cette condition essentielle, que d'abord ces lois fondamentales, ces
lois capitales, dont jamais ni l'Eglise, ni Dieu même n'ont dispensé, fussent
observées; et c'est à quoi l'on ne pense pas. Cela veut dire que, par un esprit
pharisaïque, on s'attache à l'écorce de la pénitence, tandis qu'on en laisse
les fruits.
Seconde maxime de l'Ecriture : il
ne suffit pas, dit saint Paul, de faire le bien devant Dieu pour glorifier
Dieu, il faut encore le faire devant les hommes pour édifier les hommes : Providentes
bona, non solum coram Deo, sed etiam coram hominibus (1). Ainsi parlait
l'Apôtre ; et je dis, par la même règle : 11 ne suffit pas de faire pénitence
devant Dieu, il faut encore la faire devant les hommes : on la fait devant Dieu
en reconnaissant son péché, mais on la fait devant les hommes en réparant le
scandale du péché, et en ôtant même jusqu'aux apparences du péché; sans cela
(c'est la décision expresse de saint Thomas et de tous les autres théologiens
après lui), sans cela, point de pénitence.
Que ne puis-je, mes chers
auditeurs, vous faire comprendre ce point de morale dans toute son étendue et
dans toute sa force! Il faut que la pénitence répare le scandale du péché. Car,
malheur à nous si nous tombions dans l'erreur des hérésiarques qui, corrompant
la loi de Dieu sous ombre de la réformer, réduisent toute la pénitence à ne
pécher plus! Malheur à nous, si, renouvelant, au moins par nos actions et par
nos mœurs, le domine impie de Luther, nous venions à nous persuader que tout le
mystère de notre justification fût compris dans ces paroles du Fils de Dieu mal
entendues, quand il dit à cette femme adultère : Allez, et ne commettez plus la
même faute : Vade, et jam amplius noli peccare (2): en sorte que ce fût
assez pour une âme criminelle de dire : J'ai quitté mon péché, sans qu'il lui
en coûtât davantage. Plus vaine peut-être, reprend saint Grégoire, du
témoignage qu'elle se rend de ne plus pécher, qu'elle n'est humble du souvenir
d'avoir péché; ou tranquille et contente
d'elle-même, parce
149
que son péché n'est plus, et prétendant à tous les droits de
l'innocence des Justes, sans participer à l'humiliation des pécheurs. Abus, dit
ce grand pape : le scandale du péché est une partie du péché; et tandis que le
scandale n'est point réparé, quoique le péché cesse, ou, pour parler plus
clairement, quoique vous cessiez de le commettre, il n'est point absolument
détruit. Il faut donc que la pénitence, après avoir pourvu à l'un, s'applique à
l'autre; et parce qu'elle ne le peut faire qu'aux dépens du pécheur même, règle
admirable de saint Augustin, il faut, si c'est une pénitence efficace, qu'elle
abolisse le péché dans la personne du pécheur, et qu'elle confonde le pécheur
pour anéantir le péché; autrement, poursuit ce Père, quel exemple tirera le
prochain de votre conversion? Et s'il est vrai que votre péché ait eu les
suites funestes que vous déplorez vous-même ; s'il est vrai qu'en vous égarant
vous en ayez égaré tant d'autres, n'est-il pas de l'ordre que vous serviez à
les ramener, et n'est-ce pas une justice que vous leur rendiez ce que vous leur
avez fait perdre, en les édifiant par votre pénitence autant que tous les avez
scandalisés par les dérèglements de votre vie?
Cependant, Chrétiens, ce n'est
guère ainsi que l'on raisonne dans le siècle ; et n'est-il pas plein de ces
âmes mondaines qui, jugeant selon les désirs de leur cœur, malgré tous les
oracles du Saint-Esprit, se font une prudence, mais une prudence charnelle, de
sauver du débris tout ce qu'elles peuvent en sauver ; de se réserver, dans
l'état même de leur prétendue pénitence, tout ce qui peut servir ou de
ressource ou de consolation à leur amour-propre, tous les agréments de la
société, tout l'éclat de la prospérité, tout le luxe et le faste de la vanité,
en un mot, tout l'extérieur du péché? qui, non contentes de paraître toujours
telles qu'elles ont été, et par conséquent de l'être toujours, puisqu'il n'est
presque pas possible dans la pratique de séparer l'un de l'autre, et de retenir
les apparences du péché sans en conserver le fond ; qui, dis-je, non contentes
de tenir toujours au dehors la même conduite, et de suivre le même train de
vie, veulent encore agir en cela par principe et par raison? Or, c'est à ces
âmes préoccupées et séduites que j'aurais bien aujourd'hui à représenter les
conséquences de cette erreur, en leur opposant la vérité que je prêche; car
est-ce ainsi, leur dirais-je avec tout le zèle que Dieu m'inspire pour leur
salut, est-ce ainsi que tant de fameux pénitents se sont convertis? Quand,
touchés de l'esprit de Dieu, ils sont entrés dans la voie de la pénitence, est-ce
ainsi qu'ils y ont marché? L'humilité, l'austérité, la retraite, n'est-ce pas
le parti qu'ils ont généreusement et hautement embrassé? Comment, dans
l'ancienne loi, les Achab, les Nabuchodonosor, ont-ils paru devant Dieu et
devant les hommes ? Ne se sont-ils pas montrés, ou plutôt n'ont-ils pas cherché
à se montrer sous le sac et en posture de suppliants, pour rétablir, par une
déclaration authentique, ce qu'ils avaient détruit par leurs exemples
scandaleux? A quoi se sont condamnés tant de pécheurs revenus à Dieu dans la
loi de grâce? où se sont-ils confinés? dans des solitudes, dans des déserts,
dans des monastères, faisant un divorce éclatant avec le monde, et, sans
écouter le sang et la chair, se croyant obligés d'édifier le monde par le
renoncement même au monde. Aurions-nous des Thaïs et des Pélagie, si illustres
par leur pénitence, si cette maxime n'avait pas passé pour constante dans notre
religion? Quoi donc? ces Saints se trompaient-ils? était-ce ignorance dans eux,
ou folie? se chargeaient-ils inutilement d'un joug qu'ils ne devaient pas
porter? ne connaissaient-ils pas les voies de Dieu, et est-ce à nous seuls
qu'ils les a révélées ?
Ah! Chrétiens, concluons, au
contraire, que, puisqu'ils marchaient dans des voies droites et saintes, notre
égarement est d'en vouloir prendre de plus spacieuses et de plus larges, mais
directement opposées au terme où la vraie pénitence doit nous conduire.
Apprenons comme eux à faire cesser non-seulement le mal, mais les apparences du
mal ; et, pour cela, ne nous contentons pas de craindre Dieu, mais' respectons
encore le monde. Car le monde, tout profane qu'il est, mérite quelquefois
d'être respecté ; et il ne le mérite jamais mieux que lorsqu'il condamne
jusqu'aux apparences du péché, que lorsqu'il s'en scandalise, que lorsqu'il
nous en fait des crimes. Si le monde nous paraît en cela un censeur sévère,
édifions-nous de sa censure et de sa sévérité. S'il est injuste, profitons de
son injustice. S'il est railleur et médisant, rendons grâces à Dieu de ce que
sa médisance même sert à nous rendre plus vigilants, plus réguliers, plus
chrétiens. Bénissons le ciel de ce que le monde, au milieu de sa corruption, a
encore ce reste de zèle pour l'intégrité et la pureté des mœurs, et de ce que
le vice n'a pas encore prévalu jusqu'à
pouvoir obtenir du
150
monde que le monde l'approuvât. Si le monde nous paraît
porter sur cela trop loin sa délicatesse, ne nous figurons pas si aisément que
le monde ait tort ; et mettons plutôt tout le tort de notre part, de ne vouloir
pas en croire le monde, même dans une chose où le jugement même du monde
s'accorde si bien avec le jugement et la loi de Dieu. Ne respectons pas
seulement les sages et les forts, mais, aussi bien que l'Apôtre, les imprudents
et les faibles. Abstenons-nous comme lui, non-seulement de ce qui est criminel
et illicite, mais de ce qui nous semble innocent et permis. Pourquoi
aurions-nous dans notre conduite plus de liberté que saint Paul? Enfin, évitons
tout ce qui donne lieu aux discours du monde, tout ce qui fonde le jugement
téméraire, tout ce qui autorise et qui favorise le péché, tout ce qui
l'autorise dans autrui, et tout ce qui le favorise dans nous. Par là nous
rendrons notre pénitence efficace ; et, après avoir retranché la matière et la
cause du péché , après avoir réparé les suites et les effets du péché, il ne
nous reste plus qu'à nous assujettir aux remèdes du péché : c'est le sujet de
la dernière partie.
TROISIÈME PARTIE.
Ce n'est pas sans raison que les
Pères ont considéré le péché, surtout quand l'habitude en est formée, comme une
dangereuse maladie que la pénitence avait à combattre, et contre laquelle il
était nécessaire qu'elle employât les plus souverains remèdes. En effet, dit
saint Chrysostome, de là dépend la destinée ou bienheureuse ou malheureuse du
pécheur : bienheureuse, si, touché du zèle de son salut, il se résout à user de
ces remèdes salutaires que lui prescrit la pénitence ; malheureuse, si le
dégoût qu'ils lui causent lui en donne de l'horreur, et si la répugnance qu'il
sent à se vaincre les lui fait rejeter. Car il n'y a, ajoute ce Père, que des
frénétiques qui, frappés d'un aveuglement encore plus déplorable que leur mal
même, refusent de s'assujettir à ce qui les doit infailliblement guérir.
Convenons donc, mes chers auditeurs, de deux obligations bien essentielles que
la loi de Dieu nous impose, et qui regardent les deux sortes de remèdes que
nous devons prendre contre le péché ; ceux-là pour nous en garantir, et ceux-ci
pour nous en punir ; ceux-là pour n'y plus tomber, et ceux-ci pour l'expier ;
les premiers, remèdes préservatifs ; et les seconds, si je puis ainsi parler,
remèdes correctifs; et, par un simple usage des uns et des autres, mettons-nous
en état, sinon d'être absolument assurés de notre pénitence, au moins d'en
avoir une certitude morale, et d'être bien fondés à croire qu'elle nous a fait
rentrer en grâce avec Dieu, et qu'elle nous y doit conserver.
Il n'y a personne (et ceci
regarde la première obligation) ; non, Chrétiens, il n'y a, j'ose le dire,
personne qui, par les différentes épreuves qu'il en a faites, pour peu qu'elles
aient été ou accompagnées ou suivies de réflexion, n'ait reconnu ce qui peut le
préserver du péché, et ce qui est propre à le maintenir dans l'ordre. Je défie
les âmes les plus volages et les moins attentives à leur conduite, de n'en pas
demeurer avec moi d'accord. Car enfin, quelque dissipé, quelque inconsidéré ,
quelque emporté même, et quelque aveuglé que soit un pécheur, il ne l'est
jamais tellement que, dans le cours de ses passions les plus déréglées, il
n'observe encore malgré lui ses pas, ou plutôt ses égarements et ses chutes, et
que , dans ses chutes, pour grièves qu'elles soient, il ne se rende souvent au
fond de son cœur ce témoignage secret : Si j'usais de telle et de telle
précaution , le péché n'aurait plus tant d'empire sur moi, et je pourrais même
entièrement par là le prévenir et l'arrêter. Or je dis, mes Frères, que la
preuve convaincante d'une sincère conversion est de prendre dans la voie de
Dieu ces précautions nécessaires, de suivre sur cela ses vues particulières et
ses connaissances, d'être sur cela fidèle à soi-même, de s'écouter soi-même, et
de ne rien négliger de tout ce qu'on juge avoir plus de vertu pour nous
soutenir et pour nous défendre.
Ainsi, mon cher auditeur, vous
avez cent fois éprouvé que le plus certain et le plus puissant préservatif
contre la cupidité et l'amour du plaisir qui vous domine, est l'application et
le travail ; que, assidu à un exercice qui attache l'esprit et qui le fixe,
vous vous conservez sans peine, ou avec beaucoup moins de peine, dans
l'innocence; et que tandis que vos jours étaient, comme parle le Prophète, des
jours pleins, c'est-à-dire des jours pleinement et utilement employés, le péché
ne trouvait nulle entrée dans votre cœur ; vous le savez : cependant vous aimez
le repos et la tranquillité ; votre penchant vous porte à une vie oisive et
molle; et ce fonds de paresse qui vous est naturel, et que vous entretenez,
vous éloigne de tout ce qui gêne l'esprit et qui captive les sens. En quoi
consiste par rapport à vous l'efficace de la pénitence ? c'est à vous prémunir
151
de ce côté-là vous-même contre vous-même ; c'est à vous
occuper, puisque le grand soutien de votre faiblesse est l'occupation ; à vous
occuper par un esprit de religion, quand vous n'y seriez pas engagé d'ailleurs
par d'autres intérêts et d'autres devoirs ; à vous occuper par un esprit de
pénitence, car c'est une pénitence en effet très-agréable à Dieu ; à vous
occuper, sans rien rejeter, de tout ce qu'il y a de plus pénible et de plus
fatigant dans l'emploi que la Providence vous a commis ; à vous charger de tout
le fardeau, fût-il encore plus pesant, et en dussiez-vous être accablé :
pourquoi? parce qu'au moins êtes-vous par là réduit à l'état bienheureux de ce
solitaire qui disait, au rapport de saint Jérôme : Je n'ai pas le loisir de
vivre, et comment aurais-je le loisir de pécher? Vivere mihi non licet, et
quomodo fornicari licebit? Bien loin
donc d'envisager cette vie laborieuse comme une servitude, rendez grâces à Dieu
de vous avoir donné dans votre état un moyen si honnête et si raisonnable, si
présent et si sûr, pour vous détourner du vice; et de vous avoir fait trouver
dans votre condition même un remède contre ces passions si vives que fomente
l'oisiveté, et que le seul travail peut amortir.
J'en dis autant de vous, qui
n'ignorez pas et ne pouvez ignorer à combien de chutes et de rechutes votre
fragilité tous les jours vous expose, et quel frein serait capable de vous
retenir : que, contre les plus importunes ou les plus violentes attaques, vous
trouveriez dans lu fréquente confession un secours toujours prêt et presque
toujours immanquable ; que , muni du sacrement et de la grâce qui y est
attachée , on en est, et plus fort dans les occasions, et plus constant dans
ses résolutions; que plus vous vous en éloignez, plus vous vous affaiblissez,
plus vous vous relâchez; que, pour marcher dans la voie du salut avec
persévérance, il vous faut un conducteur et un guide, un homme qui vous tienne
la place de Dieu, et qui, par ses conseils, vous affermisse dans le bien ; que
l'obligation de recourir à lui et de lui rendre compte de vous-même, est comme
un lien qui arrête vos légèretés et vos inconstances ; en un mot, que c'est
dans le sacré tribunal, et entre les mains de ses ministres, que Dieu , pour
parler avec l'Apôtre , a mis ces armes dont nous devons nous revêtir, pour
résister et pour tenir ferme au jour de la tentation. Vous en êtes instruit,
hélas ! et vos propres malheurs ne vous l'ont que trop appris. Cependant la
confession vous gêne, surtout la confession fréquente ; cette loi que le
ministre du Seigneur vous impose de vous présenter à lui de temps en temps,
comme au médecin de votre âme, pour lui découvrir vos blessures, vous paraît
une loi onéreuse, et vous avez de la peine à vous en faire un engagement. Si
d'abord vous vous y êtes soumis, si vous l'avez acceptée, vous rétractez
bientôt votre parole, et vous secouez enfin le joug. Puis-je présumer alors que
votre pénitence ait eu cette bonne foi, cette sincérité qui la doit rendre
valable devant Dieu? Si cela était, dans le besoin pressant où vous vous
trouvez, mon cher auditeur, vous seriez au moins disposé à vouloir guérir; et,
dans cette disposition , vous chercheriez le remède. Convaincu par vous-même de
son utilité et de sa nécessité, sans attendre qu'on vous l'ordonnât, vous
seriez le premier à vous le prescrire. Vous accompliriez à la lettre et avec joie la condition que le
prêtre , selon les règles de son ministère, a prudemment exigée de vous. Il vous
verrait au jour marqué revenir à lui, pour reprendre auprès de lui de nouvelles
forces. Vous vous feriez même de votre fidélité et de votre exactitude,
non-seulement un devoir, mais une consolation. Et que ne fait-on pas tous les
jours pour un moindre intérêt? Au retour d'une maladie dont vous craignez
encore les suites, à quoi ne vous réduisez-vous pas? de quoi ne vous
abstenez-vous pas? Est-il régime si rebutant, si mortifiant, que vous ne
suiviez dans toute sa rigueur, et tel qu'il vous est prescrit? avez-vous de la
foi, si, lorsqu'il s'agit de votre salut, vous tenez une conduite tout opposée?
et raisonnez-vous en chrétiens, si vous n'observez pas pour votre âme ce que
vous observez avec tant de soin, et même avec tant de scrupule, pour votre
corps?
Achevons, et disons un mot de la
seconde obligation. Pour se convertir efficacement, il ne suffit pas de se
préserver du péché en évitant de le commettre, il faut l'expier après l'avoir
commis; il faut exercer contre soi-même cette justice vindicative que Dieu
exercera un jour contre le pécheur impénitent. Or voici, mes chers auditeurs,
le dernier désordre qui, dans la plupart des chrétiens, rend la pénitence
inutile et sans effet. Quelque usage que nous fassions du sacrement de la
pénitence, nous ne nous corrigeons pas, parce qu'à mesure que nous péchons,
nous ne nous punissons pas; et, sans en chercher d'autre raison, nous vivons
des années entières dans l'iniquité, parce que notre amour-propre nous
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inspire la mollesse, et qu'ennemi d'une vie austère, il nous
entretient dans l'habitude d'une malheureuse impunité.
Si le châtiment du péché, je dis
le châtiment volontaire, à quoi, comme arbitres et juges dans notre propre
cause, nous nous condamnons, et qui est proprement par rapport à nous ce qui
s'appelle pénitence; si le châtiment du péché suivait de près le péché même; si
nous avions assez de zèle pour ne nous rien pardonner; si, malgré notre
délicatesse, autant de fois que nous oublions nos devoirs et pour chaque
infidélité où nous tombons, nous avions le courage de nous imposer une peine et
de nous mortifier, j'ose le dire, Chrétiens, il n'y aurait plus de vice qu'on
ne déracinât, ni de passion qu'on ne surmontât.
Je ne prétends point pour cela
que la pénitence soit une vertu servile, et qu'elle n'agisse que par la crainte.
Car on peut, dit saint Augustin, se punir par amour, on peut se punir par zèle
de sa perfection, on peut se punir pour venger Dieu, on peut se punir pour se
régler soi-même ; et si c'est par crainte que l'on se punit, on peut se punir
par une crainte filiale et qui procède de la charité, en s'obligeant, pour
rentrer en grâce avec Dieu et pour lui payer le juste tribut d'une satisfaction
qui l'honore, à faire telle ou telle œuvre de piété, à pratiquer telle ou telle
austérité, à se retrancher tel ou tel plaisir permis, à se priver de telle ou
telle commodité.
Aussi, quand l'Eglise autrefois
punissait par des peines canoniques et proportionnées chaque espèce de péché,
elle ne croyait pas ôter par là aux fidèles cet esprit d'adoption qu'ils
avaient reçu dans la loi de grâce, ni leur imprimer cet esprit de servitude qui
avait régné dans l’ancienne loi. Son intention, en observant cette sévérité de
discipline, était de soutenir les uns et de ramener les autres, de seconder les
efforts de ceux-ci clans leur conversion, et de maintenir ceux-là dans une
sainte persévérance. Telles étaient les vues de l'Eglise ; et Dieu bénissant sa
conduite, l'on voyait de là tant de chrétiens conserver sans peine la grâce de
leur baptême, et l'on ne pouvait douter de la pénitence et de la douleur de
ceux qui l'avaient perdue, quand, pour un seul péché mortel, ils jeûnaient des
années entières, et se soumettaient sans résistance à des exercices aussi
laborieux qu'humiliants. L'innocence florissait alors, et la pénitence était exemplaire,
parce que le péché n'était point impuni. Mais aujourd'hui l'on en est quitte,
et l'on en veut être quitte à bien moins de frais : et que s'ensuit-il? c'est
qu'aujourd'hui l'on pèche beaucoup plus hardiment; que l'on demeure dans son
péché beaucoup plus tranquillement, que l'on s'en repent beaucoup plus
faiblement, que l'on y renonce beaucoup plus rarement, et que presque toutes
nos pénitences sont vaines ou du moins très-suspectes. Ces peines prescrites
par l'Eglise ont été modérées; et dès là l'inondation des vices a commencé, dès
là la discipline s'est énervée, dès là le christianisme a changé de face. Tant
il est vrai que le pécheur a besoin de ce secours, et qu'il ne faut point
compter qu'il soit pleinement converti, tandis qu'abandonné à lui-même et à sa
discrétion, disons plutôt à sa lâcheté, il n'aura que de l'indulgence pour
lui-même, et ne cherchera qu'à s'épargner.
Or, faisons maintenant,
Chrétiens, ce que faisait l'Eglise dans les premiers siècles, entrons dans les
mêmes sentiments, remplissons-nous du même esprit, conformons-nous aux mêmes
pratiques. Souvenons-nous que si l'Eglise s'est relâchée en quelque chose sur
ce qui concerne l'usage de la pénitence, ç’a été sans préjudice des droits de
Dieu, et que là-dessus elle n'a ni voulu ni pu se relâcher en rien ; que si
elle a consenti à changer quelques règles qu'elle-même avait établies, elle n'a
point touché à l'obligation essentielle de satisfaire à Dieu, qui n'est pas de
son ressort. De là concluons qu'à le bien prendre, cette condescendance de
l'Eglise ne doit point servir à autoriser notre lâcheté, parce qu'il est
toujours vrai que plus nous nous ménagerons, et moins Dieu nous ménagera; que
plus nous nous flatterons, et moins Dieu nous pardonnera; que moins nous nous
punirons, et plus Dieu nous punira : car le droit de Dieu, et le même droit,
subsistera toujours. Ainsi, persuadés que le péché doit être puni en cette vie
ou en l'autre, ou par la vengeance de Dieu, ou par la pénitence de l'homme : Aut
a Deo vindicante, aut ab homine pœnitente, n'attendons pas que Dieu
lui-même prenne soin d'en tirer toute la satisfaction qui lui est due.
Prévenons les rigueurs de sa justice par la rigueur de notre pénitence.
Armons-nous d'un saint zèle contre nous-mêmes, prenons les intérêts de Dieu
contre nous-mêmes, vengeons Dieu aux dépens de nous-mêmes. Si ceux que Dieu
nous a donnés ou que nous avons choisis pour médecins de nos âmes sont trop
indulgents, suivant l'excellente maxime de saint Bernard, suppléons à leur
indulgence
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par notre sévérité. S'ils ne sont pas assez rigides ni assez
exacts, soyons-le pour eux et pour nous, puisque c'est personnellement de nous
qu'il s'agit, et que nous devons plus que tout autre nous intéresser pour
nous-mêmes : Si medicus clementior fuerit, tu age pro te ipso.
Appliquons aux maux spirituels de nos âmes des remèdes spécifiques, et, selon
la différence des péchés, employons pour les punir des moyens différents : la
retraite et la séparation du monde, pour punir la licence des conversations; le
silence, pour punir la liberté et l'indiscrétion de la langue; la modestie dans
les habits et dans l'équipage, pour punir le luxe ; le jeûne, pour punir les
excès de bouche et les débauches : le renoncement aux plaisirs innocents pour
punir rattachement aux plaisirs criminels. Quis scit si convertatur, et ignoscat
(1)! Qui sait si le Dieu des miséricordes ne se convertira pas à nous? qui le
sait? ou plutôt, qui en peut douter, après la parole authentique qu'il nous en
a donnée? En un mot, mes chers auditeurs, retranchons la cause du péché,
assujettissons-nous, quoi qu'il nous en coûte, aux remèdes du péché, et par là
nous rentrerons dans le chemin du salut et de la gloire, où nous conduise, etc.