SERMON POUR LE JEUDI DE LA PREMIÈRE SEMAINE.
SUR LA
PRIÈRE.
ANALYSE.
Sujet. Alors une femme chananéenne, venue de ces
quartiers-là, s'écria en lui disant :
Seigneur, Fils de David, ayez pitié de moi; ma fille est cruellement tourmentée
par le démon.
Si
jamais la force de la prière a paru sensiblement, n'est-ce pas dans l'exemple
de cette femme chananéenne ? Jésus-Christ, en sa faveur, déploie toute sa
vertu, confond les puissances de l'enfer, et par un double miracle délivre la
fille et sanctifie la mère. Mais si la prière est par elle-même si efficace,
d'où vient que les nôtres sont si infructueuses ? Je vais vous en apprendre les
raisons dans ce discours.
Division. Rien n'est plus solidement établi dans la religion
que l'infaillibilité de la prière. Mais en quel sens la prière est-elle
infaillible ? pourvu que ce soit une prière sainte et chrétienne. Si donc nos prières ne sont pas écoutées
favorablement de Dieu, c'est qu'elles sont défectueuses, et quant au sujet, et
quant à la forme. En deux mots, nous ne recevons pas, ou parce qui ne demandons
pas ce qu'il faut : première partie ; ou parce que nous ne demandons pas comme
il faut : deuxième partie.
Première
partie. Nous ne demandons pas ce
qu'il faut, première raison pourquoi Dieu n'écoute pas nos prières. La Chananéenne
demande au Fils de Dieu que sa fille soit délivrée du démon ; mais nous, par un
esprit tout opposé, nous demandons tous les jours à Dieu ce qui entretient dans
nos âmes le règne du démon et même de plusieurs démons dont nous voulons être
possédés. Parlons plus clairement. Nous demandons : 1° ou des choses
préjudiciables au salut, 2° ou des biens purement temporels d inutiles au
salut, 3° ou même des grâces surnaturelles, mais qui, de la manière que nous
les concevons et que nous les voulons, bien loin de nous sanctifier,
serviraient plutôt à nous retirer de la voie du salut.
1°
Nous demandons des choses préjudiciables au salut, et en cela nous sommes
semblables aux païens. Si nous en croyons les
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païens mêmes, un de leurs
désordres était de recourir à leurs dieux, et de leur demander, quoi? la mort
d'un parent la mort d'un concurrent, le patrimoine d'un pupille. C'est ce qui
nous semble énorme : mais ne sommes-nous pas encore plus coupables qu'eux?
C'étaient des païens, et ils adoraient des divinités vicieuses : au lieu que
nous servons un Dieu non moins pur, ni moins saint, que puissant et grand. Il
est vrai que nous savons mieux colorer nos prières, tout injustes qu'elles
sont. Un homme du siècle demande de quoi subsister
dans sa condition, un père de quoi établir ses enfants, une femme la santé du
corps, un plaideur le gain d’un procès : rien de plus raisonnable en apparence;
mais rien au fond de plus condamnable, parce qu'on ne s'y propose que des vues d'intérêt, d'ambition, de plaisir. Ne
nous étonnons donc pas que Dieu se rende insensible à nos vœux.
Les
païens, tout païens qu'ils étaient, condamnaient un tel abus. Que pensez-vous
de Jupiter, leur disait un de leurs poètes, lorsque vous lui faites une prière
que vous n'auriez pas l'assurance de faire à un de vos magistrats? Et moi je
vous dis, Chrétiens : Que pensez-vous de votre Dieu, lorsque vous voulez
l'engager par vos demandes à devenir le complice de vos crimes ? Verum tamen
servire me fecisti peccatis tuis, et laborem mihi prœbuisti in iniquitalibus
tuis.
Je
sais, et saint Jean nous l'apprend, que nous avons un puissant médiateur auprès
du Père, qui est Jésus-Christ : mais veut-il être et peut-il être le médiateur
de notre vanité, de notre avarice, de notre concupiscence, de notre sensualité?
Heureux encore que Dieu rejette vos prières ! Ce qui a perdu les Pompée et les
César, ajoutait le même satirique, ne sont-ce pas des souhaits criminels,
accomplis par des divinités d'autant plus mortellement ennemies, qu'elles
étaient plus condescendantes? Et si Dieu mes frères, vous accordait ce qui flatte
votre passion, et ce qui, en la flattant, achèverait de vous pervertir, ne
serait-ce pas le jugement le plus rigoureux et la plus terrible vengeance qu'il
pût exercer sur vous?
2°
Nous demandons des biens purement temporels, et du moins inutiles au salut. Je
ne veux pas dire que les biens temporels ne soient pas des dons de Dieu, et
qu'on ne puisse les lui demander : mais il nous les refuse, parce que nous ne
les demandons, ni dans l'ordre qu'il a établi, ni par rapport à la fin qu'il a
marquée. Car on ne lui demande que les grâces temporelles, sans penser aux
spirituelles, qui devraient néanmoins tenir le premier rang dans nos prières.
Nous prions comme Antiochus, qui ne demandait, ni l'esprit de pénitence, ni le
don de piété, ni le respect des choses saintes, mais une santé qu'il préférait
à tout le reste. C’est de ne rien demander, puisque toutes les grâces temporelles séparées du salut
ne sont rien devant Dieu. D'où vient que
le Fils de Dieu dit à ses disciples, en leur promettant sa médiation auprès de
son Père : Si quid petieritis, Si vous demandez quelque chose; et qu'il
leur ajouta qu'ils n'avaient encore rien demandé, parce qu'ils n'avaient
demandé que des faveurs humaines et pas. Or, à combien de chrétiens ne
pourrais-je pas faire le même reproche ?
L'ordre
est que nous cherchions d'abord le royaume de Dieu, et Jésus-Christ nous assure
ensuite que rien ne nous manquera. Mais si vous renversez cet ordre, ne vous
appuyez plus sur les mérites de ce Dieu-Homme, puisque vos prières ne sont plus
selon la règle qu'il nous a prescrite. Or, cet ordre si raisonnable et si sage,
nous le renversons en effet tous les jours. Car au lieu de demander la
bénédiction de Jacob, c'est-à-dire la rosée du ciel et puis la graisse de la
terre : De rore cœli et de pinguedine terrœ, nous demandons, comme dans
la bénédiction d'Esaü, la graisse de la terre avant la rosée du ciel : De
pinguedine terrœ et de rore cœli.
Pour
mieux entendre pourquoi Dieu n'a nul égard alors à nos prières, comprenez ce
principe de saint Cyprien : que nos prières n'ont de vertu qu'autant qu'elles
sont unies aux prières de Jésus-Christ. Or, qu'a-t-il demandé pour nous? les
biens spirituels. Et pourquoi les a-t-il demandés ? par rapport à la fin pour
laquelle il était envoyé, qui est le salut. Au contraire, que demandons-nous-?
des richesses, des honneurs, une vaine réputation, une vie commode. Et pourquoi
les demandons-nous? sans nul rapport au salut. Nos prières n'ont donc nulle conformité
avec celles du Sauveur du monde, et nous ne devons plus être surpris si nous
n’obtenons rien. Voila par où saint Augustin prouvait que l'espérance
chrétienne n'a point pour objet les biens de cette vie ; voilà l'excellente raison
dont se servait encore le même Père contre les railleries des païens. Vous nous
reprochez, leur répondait-il, que malgré nos prières nous vivons dans la
disette et dans l'abandon de toutes choses : mais pour nous justifier de ce
reproche aussi bien que notre Dieu, il suffit de vous dire que quand nous le
prions, ce n'est point précisément pour les biens de la terre, mais pour les
biens de l'éternité. En quoi, poursuivait-il, nous ne pouvons assez admirer la
libéralité de ce souverain Maître : il ne borne pas ses faveurs à des biens
périssables, mais il veut être lui-même notre bonheur et notre récompense.
3°
Nous demandons des grâces surnaturelles, mais qui, de la manière que nous les
concevons et que nous les voulons, bien loin de nous sanctifier, serviraient
plutôt à nous retirer de la voie du salut. Car nous demandons des grâces selon
notre goût et selon nos fausses idées; des grâces qui nous aplanissent
tellement toutes les voies du salut, qu'il ne nous reste ni mesures à prendre,
ni efforts à faire.
Prière
du Prophète : Je ne demande plus qu'une chose au Seigneur ; c'est de demeurer
dans sa sainte maison. Prière de saint Augustin . Jusques à présent, Seigneur,
je ne vous avais demandé que ce que demanderaient des païens et des impies;
mais, mon Dieu, je vous rends grâces de ne m'avoir pas exaucé selon mes désirs.
Vous écouterez désormais, Seigneur, mes demandes parce que je ne veux plus vous
demander que les biens éternels.
Deuxième
partie. Nous ne demandons pas comme
il faut, seconde raison pourquoi Dieu n'écoute pas nos prières. Les conditions que
Dieu exige, pour rendre nos prières efficaces, ne sont point si difficiles
qu'elles doivent servir d'obstacle à l'accomplissement de nos vœux. Le Dieu que
nous prions est trop libéral et trop bon pour enchérir ainsi ses grâces; et à
bien examiner les qualités de la prière, il n'y en a aucune qui ne soit aisée
dans la pratique, et d'une absolue nécessité. Quatre conditions : 1° humilité,
2° confiance, 3° persévérance, 4° attention de l'esprit et affection du cœur.
1°
Humilité : quoi de plus raisonnable ? Peut-on avoir une juste idée de la
prière, et oublier en priant cette règle fondamentale ? Prie-t-on autrement les
princes de la terre? La Chananéenne fit-elle difficulté de se prosterner en la
présence de Jésus-Christ et de l'adorer? Comment reçut-elle le refus qu'il lui
fit d'abord en des ternies si humiliants et si capables de la rebuter ? Sa
prière humble ; et les nôtres sont accompagnées d'un esprit d'orgueil, d'un
esprit de présomption, d'un faste mondain, d'un luxe qu'on porte jusque dans le
sanctuaire. Nous demandons à Dieu des grâces, non comme des grâces, mais comme
des dettes ; murmurer s'il nous les refuse, et prêts à nous enfler et à les
oublier s'il nous les accorde.
2°
Confiance : quoi de plus juste ? Quels miracles Dieu n'a-t-il pas opérés en
faveur de cette confiance ? N'est-ce pas à elle plutôt qu’à sa miséricorde
qu'il attribue en mille endroits de l'Ecriture la vertu toute-puissante de la
prière? Quelle confiance marqua à Jésus-Christ cette femme de notre évangile !
Qu'eût-elle fait si, déjà chrétienne, elle l'eût connu aussi parfaitement que
nous ? Cependant tout chrétiens que nous sommes, nous nous défions de notre
Dieu et de ses promesses les plus solennelles. Nous nous troublons, nous nous
inquiétons, nous nous abandonnons à de secrets désespoirs ; nous n'avons
recours à la prière que dans l'extrémité, et quand tout le reste nous manque.
3°
Persévérance : quoi de plus convenable ? Les grâces de Dieu ne sont-elles pas
assez précieuses pour mériter que nous les demandions souvent et longtemps? la
Chananéenne cessa-t-elle de prier, quoique Jésus-Christ ne lui répondit pas une
parole ? et ne fut-ce pas par sa persévérance qu'elle triompha, en quelque
sorte, de la résistance du Fils de Dieu? Ne désespérez donc point, âme
chrétienne, conclut un Père : Dieu aime que vous lui fassiez violence, il se
plait à être désarmé par vous. Mais cette assiduité
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nous fatigue et nous dégoûte ; et souvent sur le
point de voir nos vœux remplis, nous en perdons tout le mérite et tout le
profit.
4°
Attention de l'esprit et affection du cœur : quoi de plus nécessaire et de plus
essentiel à la prière? Car qu'est-ce que la prière ? un entretien de l'âme
avec Dieu. Or, cela suppose un recueillement et un sentiment intérieur. Dès là
donc qu'il n'y a ni attention, ni affection, il n'y a point de prière. D'où
suivent trois conséquences : 1° que l'exercice de la prière est presque anéanti
dans le christianisme, parce que la plupart prient comme les Juifs, des lèvres
et non du cœur. 2° Que dans les prières qui sont commandées, l'attention est
elle-même de précepte ; et ceci nous regarde , ministres de Jésus-Christ.
Souvenons-nous que l'office divin est un acte de religion ; qu'un acte de
religion n'est point une pratique purement extérieure ; et que comme l'Eglise,
en nous commandant la confession, nous commande la contrition du cœur, aussi en
nous commandant la prière, elle nous commande l'attention de l'esprit. 3° Que
ce n'est donc pas sans raison que Dieu méprise nos prières, puisque ce ne sont
rien moins que des prières. Chose étrange ! vous voulez que Dieu s'applique à
vous quand il vous plait de le prier, et vous ne voulez pas vous appliquer
vous-mêmes à Dieu. Réformons-nous sur ce seul article, et nous réformerons
toute notre vie. Disons à Dieu comme les apôtres : Seigneur, apprenez-nous à
prier.
Ecce mulier chananœa, a finibus
illis egressa, clamavit, dicens ei : Miserere mei, Domine, fili David ; filia
mea male a dœmonio vexatur.
Alors
une femme chananéenne, venue de ces quartiers-là, s'écria, en lui disant :
Seigneur, fils de David, ayez pitié de moi ; ma fille est cruellement
tourmentée par le démon. (Saint Matthieu , chap. XV, 22.)
Si jamais la force de la prière
parut sensiblement, et d'une manière éclatante, n'est-ce pas, Chrétiens, dans
l'exemple que nous propose l'évangile de ce jour, où nous voyons, pour parler
avec saint Ambroise, un Dieu même surpris et dans l'admiration; un Dieu qui
confond les puissances de l'enfer, qui fait des miracles, et qui déploie toute
sa vertu en faveur d'une étrangère, laquelle a recours à lui, et qui, tout
idolâtre qu'elle est, nous sert de modèle, et nous apprend à prier? Je dis un
Dieu surpris et dans l'admiration : 0 mulier, magna est fides tua (1) !
0 femme, votre foi est grande ! C'est ainsi que Jésus-Christ lui-même s'en
explique, et ne semble-t-il pas que la foi de cette Chananéenne, et que la
ferveur de sa prière ait quelque chose pour lui de surprenant et de nouveau? Je
dis un Dieu qui confond les puissances de l'enfer, et qui fait des miracles.
Que lui demande cette femme? qu'il guérisse sa fille cruellement tourmentée du
démon; et le Fils de Dieu,d'une même parole, non-seulement délivre la fille,
mais sanctifie encore la mère : Fiat tibi sicut vis (2); qu'il vous soit
fait comme vous le souhaitez.
Il n'est donc rien de plus
efficace auprès de Dieu que la prière : et d'où vient toutefois, mes chers
auditeurs, que Dieu tous les jours se montre si peu favorable à nos vœux; que
nous prions, et qu'il ne nous écoute pas, que nous demandons, et que nous
n'obtenons pas? C'est ce que je veux examiner aujourd'hui, et ce qui va faire
le fond de ce discours. Sujet d'une extrême conséquence, et qui mérite une
réflexion toute particulière; car il s'agit, Chrétiens, de vous enseigner la
plus excellente de
toutes les sciences ; il s'agit de vous apprendre à bien
user du moyen de salut le plus puissant; il s'agit de vous faire connaître le
secret inestimable et l'art tout divin de toucher le cœur de Dieu, de faire
descendre sur nous les plus précieux trésors de sa grâce. Pour recevoir ce don
de la prière, employons la prière elle-même, et implorons le secours du ciel
par l'intercession de Marie. Ave, Maria.
Rien n'est plus solidement
établi, dans la religion et la théologie chrétienne, que l'infaillibilité de la
prière. Elle a une telle force, dit saint Jean Chrysostome, qu'elle rend, à ce
qu'il semble, la parole de l'homme aussi puissante et même plus puissante que
la parole de Dieu. Aussi puissante; car, comme Dieu d'une parole a fait toutes
choses : Dixit, et facta sunt (1), l'homme n'a qu'à parler et à
demander, tout lui est accordé : Quodcumque volueritis petetis, et fiet
vobis (2). Plus puissante même en quelque sorte, puisque si Dieu se fait
obéir, ce n'est que des êtres créés; au lieu que, parla vertu de la prière,
tout Dieu qu'il est, il obéit, selon l'expression de l'Ecriture, à la voix de
l'homme : Obediente Domino voci hominis (3). Nous entendons tous les
jours des chrétiens qui se plaignent de l'inutilité de leurs prières, et du peu
de fruit qu'ils en retirent; je ne m'en étonne pas. Car en quel sens
disons-nous que la prière est infaillible? nous supposons pour cela une prière
sainte, une prière faite avec toutes les conditions qui la doivent accompagner,
et que Dieu attend de nous, lorsque de sa part il s'engage à nous accorder tout
ce que nous demanderons. Or, voilà souvent ce qui manque à nos prières. Ce sont
des prières défectueuses, et quant au sujet, et quant à la forme : quant au
sujet, qui en fait la matière ; et quant à la forme, qui en fait la qualité.
L'apôtre saint Jacques le disait aux fidèles de son temps, et je vous le dis à
vous-mêmes :
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Vous demandez, mes Frères, et vous ne recevez pas, parce que
vous ne demandez pas bien : Petitis et non accipitis, eo quod petatis
(1). En effet, nous ne demandons pas a Dieu ce que Dieu veut que nous lui
demandions; défaut par rapport au sujet de la prière. Nous ne lui demandons pas
de la manière qu'il veut que nous lui demandions ; défaut par rapport à la
forme ou à la qualité de la prière. Mais prions comme la Chananéenne. Rien de
plus juste que la prière qu'elle fait à Jésus-Christ : elle lui demande qu'il
délivre sa fille du démon dont elle est possédée ; rien de plus engageant :
elle pratique dans sa prière toutes les vertus qui peuvent gagner et intéresser
le Sauveur du monde. Prions, dis-je, comme cette femme ; sans cela, prières
infructueuses : pourquoi? ou parce que nous ne demandons pas ce qu'il faut, ce
sera la première partie; ou parce que nous ne demandons pas Comme il faut, ce
sera la seconde. Deux leçons que j'ai à mettre dans tout leur jour.
Rendez-vous-y attentifs, Chrétiens, et tâchez à en profiter.
PREMIÈRE PARTIE.
C'est surtout de la nature des
choses qu'on demande à Dieu, que dépend l'essence de la prière, et par conséquent
son mérite, son efficace, sa vertu. C'est donc aussi par là, dit saint Chrysostome,
que nous devons commencer à nous faire justice sur le peu de valeur et le peu
d'effet qu'ont presque toutes nos prières devant Dieu ; et c'est l'admirable
instruction que nous fournit d'abord l'évangile de la femme chananéenne. Car
prenez garde, s'il vous plaît, et qu'il me soit permis de m'expliquer de la
sorte : au lieu que cette femme prosternée aux pieds de Jésus-Christ, lui
demande que sa fille soit délivrée d'un démon qui la possède, nous, par un
esprit tout opposé, nous demandons tous les jours à Dieu ce qui entretient dans
nos âmes le règne du démon, et même de plusieurs démons dont nous voulons être
possédés. En faut-il davantage pour vous faire comprendre pourquoi le Sauveur
du monde écoute cette étrangère, et lui accorde un miracle de sa toute-puissance,
et pourquoi Dieu, au contraire, se rend sourd à nos vœux, et rejette communément
nos prières? Appliquez-vous, Chrétiens, aux grandes vérités que ce sujet renferme et que je vais développer,
comme les secrets les plus importants de votre prédestination.
Je dis que nous demandons tous
les jours à Dieu ce qui entretient dans nos âmes le règne du démon : comment
cela? c'est que dans nos prières nous demandons, ou des choses préjudiciables
au salut, ou des biens purement temporels et inutiles au salut, ou même des
grâces surnaturelles, mais qui, de la manière que nous les concevons et que
nous les voulons, bien loin de nous sanctifier, servent plutôt à nous séduire,
et à nous retirer de la voie du salut. Donnons à ceci tout l'éclaircissement
nécessaire.
Nous demandons des choses
préjudiciables au salut : premier obstacle que nous opposons aux miséricordes
divines, et qui en arrête le cours. Car ne pensons pas, mes chers auditeurs,
que pour être chrétien de profession, nous en soyons moins sujets dans la
pratique aux désordres du paganisme. Or, un des désordres des païens , si nous
en croyons les païens mêmes, c'était de recourir à leurs dieux, et de leur
demander, quoi ? ce qu'ils n'auraient pas eu le front de demander à un homme de
bien, ce qu'ils n'auraient pu demander ouvertement dans les temples et au pied
des autels, sans en rougir : la mort d'un parent dont ils attendaient la
dépouille, la mort d'un concurrent dont le crédit ou le mérite leur faisait
ombrage , le patrimoine d'un pupille qu'ils cherchaient à enlever, et sur
lequel ils jetaient des regards de concupiscence. Tel était le sujet de leurs
prières; et pour leur donner plus de poids, ils les accompagnaient de toutes
les cérémonies d'un culte superstitieux; ils y joignaient les offrandes et les
sacrifices, ils se purifiaient. Cela nous semble énorme et insensé ; mais,
chrétiens, en les condamnant, n'est-ce pas nous-mêmes que nous condamnons? A
comparer leurs prières et les nôtres, sommes-nous moins coupables : que dis-je,
ne sommes-nous pas encore plus coupables qu'ils ne l'étaient?
Car enfin c'étaient des païens, et
ces païens n'adoraient pas seulement de vaines et de fausses divinités; mais
selon leur créance même, des divinités vicieuses et dissolues. Or, à de telles
divinités que pouvaient-ils demander plus naturellement que ce qui favorisait
leurs vices et la corruption de leurs mœurs? n'était-ce pas une suite presque
nécessaire de leur infidélité? Mais nous, mes Frères, nous servons un Dieu non
moins pur, ni moins saint, que puissant et grand; un Dieu aussi essentiellement
ennemi de toute injustice et de tout péché, qu'il est essentiellement Dieu ; et
toutefois ce Dieu si pur, ce Dieu si saint, ce Dieu si
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équitable et si droit, que lui demandons-nous ?
l'accomplissement de nos désirs les plus sensuels, et le succès de nos
entreprises les plus criminelles. Ce n'est plus seulement un désordre, c'est,
j'ose le dire, une impiété, c'est un sacrilège.
Il est vrai, et j'en conviens,
que dans le christianisme nous savons mieux colorer nos prières et les exprimer
en des termes moins odieux; car on a trouvé le secret de déguiser tout. Mais si
nous nous trompons nous-mêmes, nous ne trompons pas Dieu qui nous entend, et
qui sait bien discerner la malignité de nos intentions, de la simplicité de nos
expressions. En vain donc un homme du siècle demande-t-il à Dieu de quoi
subsister dans sa condition, et de quoi maintenir son état : comme son état, ou
plutôt, comme l'idée qu'il se forme de son état ne roule que sur les principes,
ou d'une ambition démesurée, ou d'une avarice insatiable , Dieu, dont la
pénétration est infinie, connaît ses desseins, et prend plaisir à les faire
échouer. En vain un père demande-t-il à Dieu l'établissement de ses enfants :
comme il n'a sur ses enfants que des vues toutes profanes, que des vues
mondaines, et qui ne sont ni réglées selon la conscience, ni soumises à la
vocation divine, Dieu, sans s'arrêter aux apparences d'une humble prière , en
découvre la fin ; et par un juste jugement, bien loin d'élever cette famille,
la ruine de fond en comble, et la laisse malheureusement tomber. En vain une femme
demande-t-elle à Dieu la santé du corps : comme sa santé, dans l'usage qu'elle
en veut faire, ne doit servir qu'à son oisiveté, à sa mollesse, et peut-être à
son libertinage et à son dérèglement, Dieu, qui le voit, au lieu de retirer son
bras, lui porte encore de plus rudes coups, et lui fait perdre, dans une
langueur habituelle tout ce qui peut entretenir ses complaisances et flatter sa
vanité. En vain un plaideur de mauvaise foi demande-t-il à Dieu le gain d'un
procès où toute sa fortune est engagée : comme ce procès n'est au fond qu'une
injustice couverte, mais soutenue par la chicane, Dieu, qui ne peut l'ignorer,
prend contre lui la cause de la veuve et de l'orphelin, et le fait honteusement
déchoir de toutes ses prétentions. Cependant on n'oublie rien pour intéresser
le ciel et pour le toucher ; on y emploie jusqu'au sacrifice et aux prières de l’Eglise
: mais parce que cette affaire qu'on poursuit avec tant de chaleur n'est qu'une
cabale, qu'une intrigue qui ne peut réussir qu'aux dépens du prochain, Dieu,
tuteur de l'innocent et du pauvre rejette alors jusques au plus adorable
sacrifice, jusques aux plus saintes prières de son Eglise. Ce détail me
conduirait trop loin, si j'entreprenais de lui donner toute son étendue; mais
si vous voulez, mes chers auditeurs, aller plus avant, et vous l'appliquer à
vous-mêmes, vous aurez bientôt reconnu que cent fois votre cœur vous a séduits
de la sorte, et fait abuser de la prière pour porter devant Dieu même les
intérêts de vos passions.
Revenons ; et pour donner à ce
point important toute la force qu'il doit avoir, soutirez que je me prévale
encore de la morale des païens. J'ai dit qu'elle suffisait pour nous
convaincre; mais j'en ai dit trop peu, et j'ajoute qu'elle est même ici, dans
un sens, plus propre à nous confondre que la morale des Pères. Qu'il me soit
donc permis de faire parler dans cette chaire un auteur profane, et de vous
adresser, ou pour votre instruction, ou pour votre confusion, les mêmes
reproches qu'il faisait à son siècle en des termes si énergiques et si forts.
Car, répondez-moi, disait-il en déplorant les abus de l'ancienne Rome, et
s'élevant contre les faux dévots du paganisme, qui fatiguaient les dieux de
leurs injustes prières; dites-moi ce que vous pensez de Jupiter, et quelle
estime vous en faites? si vous avez pour le plus grand des dieux le même
respect que pour le plus sage de vos magistrats? Cette question vous surprend,
poursuivait-il; mais ce n'est pas sans raison que je la fais : car l’iriez-vous
trouver ce magistrat dont vous respectez la vertu, pour lui faire dans son
palais l'infâme prière que vous venez faire à Jupiter dans le plus auguste de
ses temples? Vous supposez donc Jupiter moins intègre et plus aisé à corrompre,
quand vous le croyez disposé à vous écouter, et prêt même ta vous exaucer?
Ainsi s'expliquait un païen; ainsi, par de sanglantes ironies, reprochait-il à
des païens les scandales de leur religion, et peut-être les corrigeait-il. Or,
c'est bien ici, Chrétiens, que l'infidélité nous fait des leçons et qu'elle nous
condamne. Appliquons ceci à nos mœurs.
En effet, comment regardons-nous
notre Dieu, je dis ce Dieu de sainteté? est-il donc le fauteur de nos vices?
est-il le complice de nos crimes? et le veut-il, le peut-il être? Toutefois
c'est sur ce principe que nous agissons et que nous traitons avec lui. Car,
quand je prie ne perdez pas cette remarque de saint Chrysostome), quand je
prie, mon intention est que Dieu, par un effet de sa miséricorde et par une
condescendance toute paternelle, se conforme
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à moi ; que sa volonté, qui est efficace et toute-puissante,
se joigne à la mienne, qui n'est que faiblesse ; et qu'il accomplisse enfin ce
que je veux, mais ce que sans lui je veux inutilement. Si donc, aveuglé par
l'esprit du monde, bien loin de prier en chrétien, je prie dans la vue de
satisfaire mon ambition, mon orgueil, mon ressentiment, ma vengeance, que
fais-je? je demande à Dieu qu'il s'accorde là-dessus avec moi; c'est-à-dire
qu'il soit vain comme moi, passionne comme moi, violent comme moi ; et que pour
moi, qui suis sa créature, il veuille ce qu'il ne peut vouloir sans cesser
d'être mon Dieu. Or, le prier delà sorte, est-ce le prier en Dieu, et n'est-ce
pas plutôt le déshonorer? n'est-ce pas autant qu'il dépend de moi, le faire servir
à mes iniquités, comme il s'en plaint lui-même par son prophète : Verumtamen
servire me fecisti peccatis tuis, et laborem mihi prœbuisti in iniquitatibus
tuis (1) ? Observez cette expression : Et laborem mihi prœbuisti ;
comme s'il disait au pécheur : Votre prière m'a été un sujet de peine , car
j'aurais voulu, d'une part, me rendre propice à vos vœux, et de l'autre , je
n'y pouvais répondre favorablement : mon cœur était donc dans une espèce de
violence, et comme partagé entre ma sainteté et ma bonté; ma bonté, qui s'intéressait
pour vous, et ma sainteté, qui s'opposait à vous ; ma bonté, qui nie portait à
vous écouter, et ma sainteté, qui m'obligeait à vous rejeter : Et laborem
mihi prœbuisti in iniquitatibus tuis. Et certes, Chrétiens, si Dieu,
oubliant ce qu'il est, avait alors égard à nos prières, ne serait-ce pas un
scandale pour nous, et ne commencerions-nous pas nous-mêmes à douter de sa
providence ?
Je sais, et saint Jean nous
l'apprend, que nous avons un puissant avocat auprès du Père, qui est le Fils ;
et que c'est par les mérites de ce Fils adorable que nous prions. Mais ce que
d'abord et en général j'ai dit de Dieu, pour rappliquer en particulier à
l'Homme-Dieu , voulons-nous en faire le patron de cette aveugle concupiscence
qui nous domine? et si ce n'est pas la le sentiment que nous en avons, pourquoi
comptons-nous sur ses mérites, dans des prières que la seule concupiscence nous
a inspirées?
Non. mes Frères, non; ce n'est
point pour un tel usage que Dieu, dans la personne de Jésus-Christ, nous a
donné un médiateur. Il est l'avocat des pécheurs ; mais il ne le fut jamais et
il ne le peut être des péchés ; et vouloir me servir ainsi de son crédit, ce
n'est rien moins,
dans la doctrine de saint Augustin, que de vouloir
l'anéantir lui-même. Comment cela? parce qu'au lieu que la foi nous le
représente comme l'auteur des grâces et des vertus, c'est en faire malgré lui
le médiateur de notre vanité, le médiateur de notre avarice, le médiateur de
notre concupiscence et de notre sensualité. Car si vous en jugiez autrement,
reprend saint Augustin, auriez-vous l'assurance d'interposer le nom du
Rédempteur, pour demander ce qui détruit l'ouvrage de la rédemption ; et,
rempli de vos projets ambitieux, oseriez-vous prendre pour intercesseur auprès
de Dieu, celui même qui se réduit dans la plus profonde humiliation pour vous
enseigner l'humilité?
Heureux encore que Dieu, pour
votre salut, devienne inflexible à votre prière. C'est dans cette rigueur
apparente que vous devez reconnaître sa miséricorde ; et où en seriez-vous si
c'était un Dieu plus indulgent et selon votre gré? Ce qui a perdu les Pompée et
les César, ajoutait ce fameux satirique dont je n'ai pas fait difficulté
d'emprunter ici les pensées, et qui semble n'avoir parlé que pour nous-mêmes ;
ce qui a renversé et ce qui renverse tous les jours des familles entières, ne
sont-ce pas des souhaits trop vastes et sans bornes, des souhaits criminels,
accomplis par des divinités d'autant plus mortellement et plus malignement
ennemies, qu'elles étaient plus condescendantes et plus faciles : Magna
numinibus vota exaudita malignis ? Et moi je dis, pour consacrer ces
paroles : Quelle a été la source de la réprobation de tant de chrétiens?
n'est-ce pas d'avoir obtenu du ciel ce que le ciel ne leur accordait, et ce qu'il
ne pouvait leur accorder que dans l'excès de sa colère? Et d'où vient encore la
perte de tant de mondains qui se damnent au milieu de l'opulence et dans la
mollesse, si ce n'est pas de ces prétendues faveurs de Dieu, qui les exauce
selon les désirs insensés de leurs cœurs, plutôt que selon les desseins de son
aimable providence? Vous demandez à Dieu ce qui flatte votre passion ; et si
Dieu vous le donne, lui qui prévoit ce qui vous pervertira, ce qui vous
corrompra, ce qui vous entraînera dans l'abîme, peut-il exercer sur vous un
jugement plus rigoureux et une vengeance plus terrible? N'en demeurons pas là.
Si l'on ne demande pas toujours à
Dieu des choses préjudiciables, et dans des vues directement contraires au
salut, au moins lui demande-t-on des biens purement temporels, et inutiles au
salut. Je ne veux pas dire que les biens temporels ne soient pas des dons de
Dieu,
272
ni qu'ils soient absolument contraires au salut: mais quand
le sont-ils, et pourquoi Dieu les refuse-t-il alors? quand nous ne les
demandons, ni selon l'ordre qu'il a établi, ni par rapport à la fin qu'il a
marquée.
Car, premièrement, on ne lui
demande que les grâces temporelles, qui toutes se terminent aux besoins de
cette vie ; et à peine pense-t-on aux spirituelles, à quoi le salut est attaché
: les avantages de la fortune, la prospérité, le repos ; voilà ce que nous
désirons et ce que nous recherchons, et ce que désirent, ce que recherchent
aussi bien que nous les infidèles : Hœc enim omnia gentes inquirunt (1),
Ce sont des biens, je l'avoue : mais ce sont des biens périssables, des biens
d'un ordre inférieur à l'homme, et surtout à l'homme chrétien ; des biens
dangereux, et sujets à se convertir en de vrais maux. Pour les biens solides et
incorruptibles, c'est-à-dire la pureté des mœurs, la bonne conscience,
l'humilité, la foi, l'amour du prochain, tout ce qui sert à sanctifier l'âme et
qui en fait la perfection,, disons-le, et confondons-nous en le disant, c'est à
quoi nous sommes peu sensibles, et ce qui rarement nous attire au pied des
autels. Qui de vous a jamais eu recours à Dieu pour devenir plus modéré dans
ses passions et plus réglé dans sa conduite? On visite les tombeaux des martyrs
; mais pourquoi ? pour être guéri d'une maladie, et non point pour être délivré
d'une tentation. On invoque les saints; mais pourquoi? pour être plus heureux
et plus opulent, et non point pour être plus humble et plus ennemi des
plaisirs. Ah ! mes Frères, s'écriait Salvien, si nous sommes affligés de
calamités publiques, si nous sommes menacés d'une famine ou d'une contagion,
s'il règne une mortalité parmi nous, nous courons en foule au temple du Dieu
vivant; tout retentit de nos gémissements et de nos prières : mais s'agit-il
d'un libertinage qui déshonore le christianisme et qui désole l'Eglise, on nous
voit tranquilles et sans inquiétude ; et, au lieu d'engager le ciel à faire
cesser de scandaleuses impiétés, nous vivons en paix et dans la plus affreuse
indolence. Ainsi nous prions comme ce malheureux Antiochus, dont la prière
intéressée ne put trouver grâce devant Dieu : Orabat scelestus Dominun a quo
non erat misericordiam consecuturus (2). Il priait, Orabat; et l'on
ne peut douter qu'il ne priât avec toute l'ardeur possible : mais il priait en
mondain , Orabat scelestus ; car il ne demandait à Dieu ni l'esprit
de pénitence, ni le don de piété, ni le respect des choses
saintes qu'il avait profanées, mais une santé qu'il préférait à tout le reste,
et dont il était idolâtre : Orabat scelestus Dominum; et c'est pour cela que le sein de
la miséricorde lui était fermé : A quo non erat misericordiam consecuturus.
Voilà comment nous prions; mais en vain, puisque le Fils de Dieu n'a jamais
prétendu se faire garant de telles prières, Pourquoi? Consultons l'Evangile, il
va nous l'apprendre.
Le Fils de Dieu dit à ses
disciples : Si vous demandez quelque chose à mon Père, et que ce soit en mon
nom que vous le demandiez, il vous l'accordera : Si quid petieritis Patrem
in nomine meo, dabit vobis (1). Mais
remarqua (c'est la réflexion de saint Augustin), remarquez bien cette parole :
Si quid, par où Jésus-Christ nous fait entendre que ce que nous demandons en
son nom doit être quelque chose, et quelque chose digne de lui, parce
qu'autrement il ne lui conviendrait pas de s'employer pour nous. Or, tous les
biens de la terre, séparés du salut éternel, ne sont rien devant Dieu. Les
demander donc précisément à Dieu, c'est ne rien demander ; et quoique la
promesse du Sauveur du monde soit générale ou semble l'être, ils n'y sont point
par eux-mêmes compris. Pour vous en convaincre, écoutez ce qu'il ajoute à ses
apôtres : Usque modo non petistis quidquam in nomine meo (2) : Jusques à
présent vous n'avez rien demandé en mon nom. Mais comment est-ce, reprend saint
Augustin,que le Fils de Dieu leur pouvait tenir ce langage, puisqu'il est
évident que les apôtres lui avaient déjà demandé plusieurs grâces? saint
Pierre, de demeurer sur le Thabor ; les enfants de Zébédée, d'être élevés aux
deux premières places de son royaume. Ah ! répond ce saint docteur, il est vrai
qu'ils lui avaient demandé ces sortes de grâces ; mais parce que ces grâces
n'étaient que des avantages humains, et que dans l'idée du Sauveur, tous les
avantages humains ne] méritaient nulle estime, il croyait avoir droit de
compter pour rien tout ce qu'ils lui avaient demandé : Usque modo non
petistis quidquam. En effet, demeurer avec lui sur le Thabor, ce n'était
qu'une douceur sensible que saint Pierre eût voulu goûter : occuper les
premières places de son royaume, ce n'était dans l'intention des deux disciples
qu'un vain honneur dont se repaissait leur ambition, parce qu'ils ne le concevaient
pas tel qu'il est : mais le zèle des âmes, mais la constance dans les
persécutions,
273
mais le renoncement à eux-mêmes, c'étaient les grâces
essentielles dont ils avaient besoin, et qui devaient les soutenir, les animer,
les perfectionner dans leur ministère apostolique; et c'est ce qu'ils n'avaient
jamais demandé à leur Maître : Usque modo non petistis quidquam. Or, à
combien de chrétiens ne pourrais-je pas faire aujourd'hui la même plainte ; et
à combien même de ceux qui m'écoutent n'aurais-je pas lieu de dire, par la même
raison : Mondain, vous n'avez rien demandé jusques à présent à votre Dieu,
parce que vous ne lui avez encore jamais demandé le détachement et le mépris du
monde : pécheur, vous ne lui avez rien demandé , parce que dans l'état de votre
péché, vous ne lui avez encore jamais demandé voire conversion, jamais un cœur
contrit et humilié, jamais la grâce de vous surmonter vous-même et de renoncer
à vos habitudes : c'étaient là néanmoins les grâces, mais les grâces par excellence,
que vous deviez désirer et rechercher.
De plus, quand le Sauveur du
monde nous assure, dans l'Evangile , que tout ce que nous demanderons en son
nom nous sera donné, il entend que nous demanderons selon la règle qu'il nous a
lui-même prescrite. Car, comme remarque Tertullien, c'est lui-même qui, réduit
la prière et l'animant de son esprit, lui a communiqué le pouvoir spécial et le
privilège qu'elle a de monter au plus haut des cieux, et de toucher le cœur de
Dieu, en lui exposant les misères des hommes : Ab ipso enim ordinata, et de
ipsius spiritu animata jam tunc oratio,suo quasi privilegio ascendit in cœlum, commendans
Patri quœ Filius docuit. Or , quelle est cette règle divine selon laquelle
le Fils de Dieu nous a ordonné de prier ? La voici : Cherchez, nous dit-il,
avant toutes choses le royaume de Dieu et sa justice, et rien ne vous manquera.
Demandez au Père céleste la sanctification de son nom, l'avènement de son
règne, l'accomplissement de sa volonté, sans lui demander d'abord ce pain
matériel qui vous doit servir d'aliment, et alors je vous seconderai. Mais si
vous renversez cet ordre ; si, par un attachement au monde, indigne de votre
profession , vous demandez le pain matériel avant le royaume de Dieu, ne vous
appuyez plus sur mes mérites, tout infinis qu'ils sont, puisque votre prière, toute
fervente qu'elle peut être , n'est plus selon le plan que j'ai tracé : Quœrite
primum regnum Dei et justitiam ejus (1).
Ce n'est donc pas, Chrétiens,
qu'on ne puisse absolument demander à Dieu les biens temporels, l'Eglise les
demande elle-même pour nous : mais demandons-les comme l'Eglise, demandons-les
après avoir demandé d'abord et sur toute chose les biens spirituels : demandons
la bénédiction de Jacob, et non point celle d'Esaü. Belle figure, que l'exemple
de ces deux frères 1 Ecoutez l'application que j'en fais à mon sujet, et prenez
garde : ils eurent tous deux dans leur partage la rosée du ciel, et tous deux
ils eurent pareillement la graisse de la terre. En quoi furent-ils différents,
et quelle marque l'Ecriture donne-t-elle de l'élection de Jacob et de la
réprobation d'Esaü? Ah! Chrétiens, c'est que dans la bénédiction de Jacob, la
rosée du ciel fut exprimée avant la graisse de la terre : De rore cœli et de
pinguedine terrœ sit benedictio tua (1) ; au lieu que dans la bénédiction
d'Esaü, il est parlé de la graisse de la terre avant la rosée du ciel : Det
tibi de pinquedine terrœ et de rore cœli. Voilà ce qui se passe encore
parmi nous, et ce qui discerne les prières chrétiennes de celles qui ne le sont
pas. Un juste et un homme du monde prient dans le même temple et au même autel;
mais l'un prie en juste et l'autre en mondain. Comment cela? Est-ce que l'un ne
demande à Dieu que les biens de la grâce, et l'autre que les biens de la terre?
Non; car il se peut faire que le juste , avec les biens de la grâce, demande
encore quelquefois les biens de la fortune, comme le mondain , et que le
mondain, avec les biens de la fortune, demande aussi les biens de la grâce,
comme le juste. Mais le mondain, conduit par l'esprit du monde, place les biens
de la fortune devant les biens de la grâce : De pinguedine terrœ et de rore
cœli ; et le juste, conduit par l'Esprit de Dieu, donne la préférence aux
biens de la grâce sur les biens de la fortune : De rore cœli et de pinguedine
terrœ. Il dit à Dieu : Seigneur, sanctifiez-moi, rendez-moi chaste,
charitable, miséricordieux, patient : De rore cœli ;et puis, donnez-moi
des biens de la terre ce qui peut m'être utile pour mon salut : Et de
pinquedine terrœ. Mais l'homme du monde dit : Seigneur, faites-moi riche,
grand, puissant : De pinguedine terrœ; et ne me refusez pas aussi les
grâces nécessaires pour bien vivre dans le monde : Et de rore cœli.
Prière de réprouvé. Quand nous prions de la sorte, faut-il s'étonner si Dieu ne
nous écoute pas?
Allons à la source ; et pour
connaître plus à
274
fond sur quoi l'importante vérité que je vous prêche est
établie, comprenez ce principe de saint Cyprien , que nos prières n'ont de
vertu qu'autant qu'elles sont unies aux prières de Jésus-Christ. Car il n'y a
que Jésus-Christ de qui l'on puisse dire avec saint Paul, qu'il a été exaucé
pour le respect dû à sa personne : Exauditus est pro sua reverentia (1).
Quand Dieu nous exauce, ce n'est point en vue, ni de ce que nous sommes, ni de
ce que nous méritons, puisque par nous-mêmes nous ne sommes rien, et que par nous-mêmes
nous ne méritons rien ; mais il nous exauce en vue de son Fils, et parce que
son Fils a prié pour nous avant que nous fussions en état de prier nous-mêmes.
Cela supposé, comment Dieu pourrait-il agréer des prières où, par préférence au
salut, nous lui demandons des biens
temporels, puisqu'elles n'ont
alors nulle conformité, nulle liaison
avec les prières de cet Homme-Dieu qui s'est fait notre médiateur? Qu'a-t-il
demandé pour nous? vous le savez : que nous soyons unis par le lien de la charité
: Rogo, Pater, ut sint unum (2); que sans ostentation, sans déguisement,
nous soyons saints en esprit et en vérité : Pater, sanctifica eos in
veritate (3) ; que vivant au milieu du monde , selon notre vocation et
notre état, nous soyons assez attentifs sur nous-mêmes, et assez heureux pour
nous préserver de son iniquité : Non rogo ut tollas eos de mundo, sedut
serves eos a malo (4). Mais que faisons-nous? nous demandons à Dieu des
richesses, des honneurs, une vaine réputation, une vie commode; et sans les
demander après le salut et par rapport au salut, nous ne les demandons, ces
richesses, que pour être dans l'abondance; ces honneurs, que pour être dans
l'éclat; cette réputation, que pour être connus et distingués; cette vie
commode, que pour en jouir : c'est-à-dire que nous demandons ce que
Jésus-Christ n'a jamais demandé pour nous. Et pourquoi ne l'a-t-il jamais
demandé ? appliquez-vous à ceci : parce qu'il n'a pu prier, ajoute saint
Cyprien, que conformément à la fin pour laquelle il était envoyé. Or il était
envoyé en qualité de Sauveur, et la mission qu'il avait reçue ne regardait que
le salut de l'homme. C'est donc uniquement pour le salut de l'homme qu'il a dû
travailler, qu'il a dû souffrir, qu'il a dû mériter; et par une conséquence
nécessaire, c'est uniquement pour le salut de l'homme et pour tout ce qui se
rapporte au salut de l'homme , qu'il a dû prier.
De là, Chrétiens, vous demandez,
mais vous n'obtenez rien , parce que vous ne demandez pas avec Jésus-Christ; et
que vous pourriez dire, si vos prières, indépendamment de cette union, étaient
efficaces, que vous avez reçu des biens sans en être redevables à ce Dieu
Sauveur : ce qui, dans les maximes de la religion que nous professons, est un
blasphème. Et voilà sur quoi s'appuie saint Augustin, quand il prouve si
solidement que l'espérance chrétienne n'a point pour objet les biens de cette
vie. Non, disait ce saint docteur, ne vous y trompez pas, et que personne de
vous ne se promette une félicité temporelle, parce qu'il a l'honneur
d'appartenir à Jésus-Christ : Nemo sibi promittat felicitatem hujus mundi,
quia christianus est. Ce n'est point pour cela que Jésus-Christ nous a
choisis, ni à cette condition qu'il nous a appelés. Il peut, sans manquer à sa
parole, nous laisser dans la pauvreté, dans l'abaissement, dans la souffrance.
Il s'est engagé à présenter lui-même vos prières devant le trône de Dieu; mais
il a supposé que vous prieriez en chrétiens, et pour le ciel, où il a placé votre
héritage. Excellente raison dont se servait encore le même Père contre les
railleries des païens. Vous nous reprochez, leur répondait-il, que malgré nos
prières nous vivons dans la disette et dans l'abandon de tontes choses. Mais
pour nous justifier pleinement de ce reproche aussi bien que notre Dieu, il
suffit de vous dire que quand nous le prions, ce n'est point précisément pour
les biens de la terre, mais pour les biens de l'éternité. Si donc nous sommes
pauvres en ce monde, non-seulement cet état pauvre où nous vivons n'est point
une preuve de l'inutilité de nos prières, mais c'est une assurance que le fruit
nous en est réservé ailleurs, et dans une vie immortelle.
Telle était la réponse de saint
Augustin, qu'il concluait par la pensée la plus touchante. Car c'est en cela,
poursuivait-il, que nous devons admirer la libéralité de notre Dieu. Il ne
borne pas ses faveurs à des biens temporels, parce que ce sont des biens
au-dessous de nous, parce que ce sont des biens incapables de nous satisfaire,
parce que ce sont des biens trop peu proportionnés, et à la noblesse de notre
être, et à la valeur de nos prières. Il ne veut pas nous traiter comme des
enfants, que l'on amuse par des bagatelles : il ne vent pas nous traiter comme
les idolâtres, dont il récompense dans cette vie les vertus morales par un
bonheur apparent. Mais il veut être lui-même tout notre bonheur, lui-même toute
notre
275
récompense. Ah ! mes Frères, ne prenons donc pas le change
dans le choix des biens que nous demandons. Tenons-nous-en à la parole de notre
Dieu, qui nous a promis de se donner à nous; et pour l'engager à s'y tenir
lui-même, nu lui demandons que lui-même. Il y en a plusieurs qui espèrent en
Dieu, mais qui, sans nul égard à Dieu, espèrent tout autre chose que Dieu : Multi
de Deo sperant, sed non Deum. Gardons-nous de faire une séparation si
désavantageuse pour nous; et comme nous n'espérons rien que de Dieu, n'espérons
rien aussi que Dieu, ou que par rapport à Dieu : A Deo mihi petunt prœter
Deum; tu ipsum Deum pete.
Mais ce ne sont point en effet
des grâces temporelles que je demande à Dieu : ce sont des grâces
surnaturelles, des grâces de salut : et cependant je ne les ai pas. Non, mon
cher auditeur, vous ne les avez pas, parce que sur cela même vous faites un
troisième abus de la prière, dont vous ne vous apercevez pas peut-être, et que
je vais vous découvrir.
C'est qu'au lieu d'envisager la
prière comme l'instrument que Dieu nous a mis en main pour l'aire descendre sur
nous les véritables grâces du salut, c'est-à-dire les grâces réelles et
possibles, les grâces solides et nécessaires, les grâces réglées et mesurées
selon l'ordre des décrets divins; nous nous en servons pour demander des grâces
chimériques, des grâces superflues, des grâces selon notre goût et selon nos fausses
idées. Je m'explique. Nous prions, et nous prions, à ce qu'il nous semble, dans
un vrai désir de parvenir au salut : mais, par une confiance aveugle, nous
faisons fond sur la prière, comme si la prière suffisait sans les œuvres, comme
si tout le salut roulait sur la prière; comme si Jésus-Christ en nous disant :
Priez, ne nous avait pas dit au même temps : Veillez et agissez; comme s'il y
avait des grâces qui pussent et qui dussent nous sauver sans nous. Nous prions
et nous demandons la grâce d'une bonne mort, persuadés que c'est assez de la
demander sans se mettre en peine de la mériter, et sans s'y préparer par une
bonne vie. Nous prions et nous demandons des grâces de pénitence, des grâces de
sanctification : mais des grâces pour l'avenir, et non pour le présent; mais
des grâces qui lèvent toutes les difficultés, et non qui nous laissent des
efforts a faire et des obstacles à vaincre; mais des grâces miraculeuses qui
nous entraînent comme saint Paul, et non des grâces qui nous disposent peu à
peu, et avec lesquelles nous soyons obligés de marcher; mais des grâces qui
nous suivent partout, qui nous soient assurées partout, qui nous permettent de
nous exposer partout, et non des grâces que nous ayons soin de ménager :
c'est-à-dire que nous demandons des grâces qui changent tout l'ordre de la
Providence, et qui renversent toute l'économie de notre salut.
Concluons, Chrétiens, cette
première partie, par la prière du Prophète
: Unam petit a Domino (1)
: je ne demande plus proprement au Seigneur qu'une seule chose : Hanc
requiram; c'est ce que je dois uniquement rechercher. Et quoi? Ut inhabitem
in domo Domini (2) : de demeurer dans sa sainte maison, et de le posséder
éternellement dans sa gloire. Car, je le reconnais, ô mon Dieu! ajoute saint
Augustin; et je vois bien maintenant pourquoi vous avez si souvent rejeté les
prières de votre serviteur. C'est que pour répondre aux desseins de votre
miséricorde, je devais vous demander des choses qui ne me fussent
pas communes avec les païens et les impies : Ea quippe a te desiderare
debui, quœ mihi cum impiis non essent communia. Vous vouliez que mes
prières me distinguassent des ennemis de votre nom ; cependant je trouve
qu'entre leurs prières et les miennes il n'y a presque point eu jusqu'à présent
de différence, sinon qu'ayant demandé
comme eux des faveurs temporelles, ils les ont communément obtenues, et que
vous me les avez ordinairement refusées, ou parce qu'elles étaient par
elles-mêmes contraires à mon salut, ou parce que je ne les demandais pas pour
mon salut. Mais en cela, Seigneur, je confesse encore que vous m'avez fait
grâce, parce que ces faveurs temporelles que je vous demandais auraient achevé
de me pervertir, au lieu que les fléaux de votre justice ont servi à me
corriger. En devenant heureux dans le monde, je vous aurais plus aisément
oublié. J'aurais imité l'exemple des autres, si mes vœux eussent été suivis de
la même prospérité. Ainsi, mon Dieu, bien loin de me plaindre de vos refus, je
vous en bénis, et je compte pour un bienfait de ne m'avoir pas exaucé selon mes
désirs, mais selon l'ordre de votre sagesse et pour mon salut : Et gaudeo
quodnon exaudieris ad voluntatem, ut exaudires
ad salutem. Mais maintenant,
mon Dieu, vous écouterez mes demandes, parce que je ne veux plus vous demander
que les biens éternels, parce que si je vous en demande d'autres, je ne veux
plus vous les demander que par subordination, et par rapport
276
aux biens éternels; parce qu'entre les grâces du salut que
je vous demanderai, je ne veux plus vous demander que celles qui me doivent
être utiles, que celles qui peuvent plus sûrement, plus directement me conduire
aux biens éternels. Ainsi, Chrétiens, la parole de Jésus-Christ s'accomplira-t-elle
à notre égard : nous demanderons, et nous recevrons. Au lieu que nous ne
recevons pas, ou parce que nous ne demandons pas ce qu'il faut, c'a été la
première partie, ou parce que nous ne demandons pas comme il faut, c'est la
seconde.
DEUXIÈME PARTIE.
Si Dieu veut écouter nos prières,
c'est à certaines conditions nécessaires et essentielles : mais de quelque
manière, Chrétiens, que Dieu en use avec nous, et qu'il ait plu à sa providence
de disposer les choses, ce serait une erreur, et une grossière erreur, de se
persuader que les conditions de la prière fussent un obstacle à
l'accomplissement de nos vœux, et un prétexte dont Dieu se servît pour avoir
droit de nous refuser ses dons. Ah! mes Frères, disait saint Augustin, à Dieu
ne plaise que nous entrions jamais dans ce sentiment, puisqu'il n'est rien de
plus opposé à la conduite de notre Dieu! Lui qui, selon l'Ecriture, ne peut
arrêter le cours de ses miséricordes, lors même que nous irritons sa colère : Numquid
continebit in ira sua misericordias suas (1)? lui qui n'attend pas qu'on le
prie, mais qui, dans la pensée du Prophète royal, se plaît à exaucer les
simples désirs : Desiderium pauperimi exaudivit Dominus (2) ; lui dont
l'oreille est si délicate, qu'il entend jusqu'à la préparation des cœurs : Prœparationem
cordis eorum audivit auris tua (3) ; il n'a garde, si j'ose parler ainsi,
d'être de si difficile composition quand on l'invoque de bonne foi ; et bien
loin qu'il se prévale de sa grandeur, dans le commerce qu'il nous permet
d'avoir avec lui par la prière, on pourrait plutôt douter s'il ne s'y relâche
point trop de ce qui lui est dû, et s'il ne supporte point avec trop de
condescendance nos faiblesses et nos imperfections. J'avoue que la prière, pour
être efficace, doit être revêtue de certaines qualités : mais en cela je
soutiens qu'on ne peut accuser Dieu, ni de restreindre ses promesses, ni
d'enchérir ses grâces. Pourquoi? parce qu'à bien examiner ses qualités, il n'y
en a aucune qui ne soit aisée dans la pratique, aucune dont la raison ne nous
justifie la nécessité, aucune que les hommes même
n'exigent par proportion les uns des autres; et ce que je
vous ai déjà fait remarquer, aucune dont cette femme de notre évangile ne nous
ait donné l'exemple, et dont elle ne soit pour nous le plus sensible modèle.
Car enfin, demande saint
Chrysostome, dans l'excellente homélie qu'il a composée sur ce sujet, quelles
conditions exige notre Dieu pour l'infaillibilité de la prière? l'humilité, la
confiance, la persévérance, l'attention de l'esprit, l'affection du cœur. Or y
a-t-il rien là, je ne dis pas d'impraticable et d'impossible, mais de pénible
et d'onéreux?
Prier dans la disposition d'un
esprit humble, quoi de plus raisonnable et même de plus naturel? Peut-on avoir
une juste idée de la prière, et oublier en priant cette règle fondamentale?
Prie-t-on autrement les princes et les monarques de la terre? Se fait-on une
peine de leur rendre des hommages et des respects, lorsqu'on a des requêtes à
leur présenter? et si, par ces respects et par ces hommages, on vient à bout de
ses prétentions, se plaint-on qu'il en ait trop coûté? Dit-on qu'ils fassent
acheter trop cher leurs grâces, quand ils les refusent à un téméraire qui les
demande avec hauteur? et pourquoi le dirait-on de Dieu, devant qui il est d'ailleurs
bien plus raisonnable et par conséquent bien plus facile de s'humilier que
devant les hommes? La Chananéenne dont parle saint Matthieu fit-elle difficulté
de se prosterner en la présence de Jésus-Christ, et de l'adorer? Fut-ce un
grand effort pour elle de confessera ses pieds son indignité, et compta-t-elle
pour beaucoup d'essuyer les rebuts auxquels elle se vit d'abord exposée? Non,
non, lui dit le Sauveur du monde, il ne faut pas donner le pain des enfants aux
chiens : Non est bonum numere panem filiorum, et mittere canibus (1).
Est-il une comparaison plus humiliante? mais tout humiliante qu'elle pût être,
cette Chananéenne en parut-elle touchée et contrastée? que dis-je ? ne
reconnut-elle pas elle-même la vérité de ces paroles, en se les appliquant? Il
est vrai, Seigneur : Etiam, Domine (2). Ce fut ainsi qu'elle pria. Mais
comment prions-nous? Elle était païenne, et cette païenne s'humilie; nous sommes
chrétiens, et nous apportons à la prière un esprit d'orgueil dont nous ne
pouvons nous défaire, lors même que nous sommes forcés à reconnaître nos
misères et nos besoins; et parce que cet esprit nous domine, nous prions avec
présomption, comme si Dieu devait avoir des égards pour nous, comme s'il devait
nous distinguer,
277
comme s'il devait nous tenir compte de nos prières. Sans
parler de ce faste extérieur qui souvent accompagne nos sacrifices, et qui,
bien loin d'engager Dieu à nous écouter, l'engage à nous punir ; sans parler de
ce luxe que nous portons jusque dans le sanctuaire, de cet air de grandeur et
de suffisance que nous y retenons, de ces postures vaines et négligées que nous
y affectons ; états bien contraires à l'action d'un suppliant, et qui, selon
l'Ecriture, rendent nos prières abominables devant Dieu, puisque Dieu ne hait
rien davantage qu'un pauvre orgueilleux : Pauperem superbum (1) ; sans
en venir à ce détail, nous demandons à Dieu des grâces, mais comment? non point
comme des grâces, mais comme des dettes, prêts à nous élever et à nous enfler s'il
nous les accorde, prêts à murmurer et à nous plaindre s'il ne nous les accorde
pas. Nous les demandons, pour oublier, après les avoir reçues, que nous les
tenons de lui ; pour les posséder et en user sans les rapporter à lui. Or,
devons-nous être surpris alors que Dieu nous ferme son sein? voulons-nous qu'il
nous exauce aux dépens de sa propre gloire? et ne serait-ce pas prodiguer ses
biens que de les répandre indifféremment et sur les superbes et sur les
humbles?
Prier dans le sentiment
d'une vive confiance, quoi de plus juste? C'est notre souverain et notre
Dieu qui, par un effet de sa miséricorde, non-seulement veut être prié de la
sorte, mais se tient même honoré de cette confiance, qui, dans mille endroits
de l'Ecriture, lui attribue plutôt qu'à sa
miséricorde (ne vous offensez pas de ma proposition, elle est saine et
orthodoxe), qui, dis-je, en mille endroits de l'Ecriture, attribue à cette
confiance, plutôt qu'à sa miséricorde, même la vertu miraculeuse de la prière;
ne disant pas à ceux qui ont recours à lui et qui le réclament : C'est ma bonté
et ma puissance, mais c'est votre foi et votre confiance qui vous a sauvés : Fides
tua te salvam fecit (2). Pouvait-il nous proposer un parti plus avantageux?
Tout infidèle qu'était la Chananéenne, n'est-ce pas celui qu'elle embrassa
d'abord ? Cette ouverture de cœur qu'elle marqua à Jésus-Christ, en lui portant
elle-même la parole : Seigneur, ayez pitié de moi : Miserere mei, Domine
(3) ; ce motif tendre et affectueux par où elle l'intéressa, en l'appelant fils
de David : Filii David; ces cris qu'elle redoubla à mesure que les apôtres la
reprenaient et lui ordonnaient de se taire :
Dimitte eam, quia clamat post nos (1) ; cette
assurance qu'elle eut de renoncer volontiers au pain de la table, pourvu qu'on
lui donnât seulement les miettes qui en tombaient; c'est-à-dire, selon
l'explication de saint Jérôme, de se contenter des moindres efforts de la
puissance du Sauveur, convaincue que ce serait assez pour opérer le miracle
qu'elle demandait : Nam et catelli edunt de micis quœ cadunt de mensa
dominorum suorum (2); tout cela n'était-il pas d'une âme bien sûre du Dieu
qu'elle invoquait? Qu'eût-elle fait, si déjà chrétienne, elle eût connu
Jésus-Christ aussi parfaitement que nous ; si, comme nous, au lieu de le
connaître pour fils de David , elle l'eût connu pour Fils du Dieu vivant? Et
n'est-il pas néanmoins vrai qu'avec toutes les idées que notre religion nous
donne de cet Homme-Dieu, nous ne le prions presque jamais de cette manière
simple, mais héroïque, qui nous est marquée par l'Apôtre, je veux dire avec foi
et sans aucun doute? Postulet autem in fide, nihil hœsitans (3). Quoique
Jésus-Christ ait pu faire pour nous y aider, et quoique, pour vaincre notre
incrédulité et notre défiance, il se soit engagé à nous par le serment le plus
solennel, et qu'il en ait juré par lui-même, lui, comme dit saint Paul, qui
n'avait point de plus grand que lui-même par qui il pût jurer, notre défiance
et notre incrédulité l'emportent. Nous croyons un homme sur sa parole, et nous
ne croyons pas un Dieu ; nous prions, mais en même temps nous nous troublons,
nous nous entretenons dans de vaines inquiétudes, nous nous abandonnons à de
secrets désespoirs ; nous avons recours à Dieu, mais toujours dans l'extrémité,
et quand tout le reste nous manque; nous comptons moins sur Dieu que sur
nous-mêmes, et nous faisons plus de fond sur notre prudence que sur nos
prières. Aveuglement que déplorait saint Ambroise, et qui justifie bien la
conduite de Dieu quand il raccourcit son bras à notre égard, et qu'il ne daigne
pas l'étendre pour nous secourir.
Prier avec persévérance, quoi de
plus convenable? Dieu, maître de ses dons, et à qui seul il appartient d'en
disposer, ne peut-il pas les mettre à tel prix qu'il lui plaît; et ses grâces
ne sont-elles pas en effet assez précieuses pour les demander souvent et
longtemps? Quand Jésus-Christ, par son silence, éprouva cette mère de
l'Evangile, et qu'il ne lui répondit pas même une parole : Et non respondit
ei verbum (4) ; quand il sembla vouloir l'éloigner
278
par un refus sévère et mortifiant, et que devant elle il
déclara aux apôtres qu'il n'était point envoyé pour elle : Non sum missus,
nisi ad oves quœ perierunt domus Israël (1), cessa-t-elle pour cela de
prier, de solliciter, de presser? Non, Chrétiens ; la résistance de
Jésus-Christ augmenta sa persévérance, et sa persévérance triompha de la
résistance de Jésus-Christ. Elle comprit d'abord le mystère et les inclinations
de ce Dieu Sauveur ; et dans l'engagement où elle se trouva d'entrer, pour
ainsi dire, en lice avec lui, opposant à une dureté apparente les empressements
véritables d'une sainte opiniâtreté, elle força en quelque sorte les lois de la
Providence; elle mérita, quoique étrangère, d'être traitée en Israélite : elle
obtint le double miracle, et de la délivrance de sa fille, et de sa propre
conversion. 0 charité de mon Dieu, s'écrie un Père, que vous êtes adorable dans
vos dissimulations, et dans les stratagèmes dont vous usez pour combattre en
apparence contre ceux mêmes pour qui vous combattez en effet! O dissimulatrix
clementia, quœ duritiem te simulas, quanta pietate pugnas adversus eos pro
quibus pugnas! Ne désespérez donc point, ajoutait-il, ô âme chrétienne,
vous qui avez commencé dans la prière à lutter avec votre Dieu ! car il aime
que vous lui fassiez violence ; il se plaît à être désarmé par vous : Noli
igitur desperare, o anima, quœ cum Leo luctari cœpisti ; amat utique vim abs te
pati, desiderat a te superari. Et ne craignons pas, mes Frères, conclut-il,
que ce Dieu de miséricorde puisse, être fort et invincible contre nous, lui
qui, par le plus étonnant prodige, a voulu jusques à la mort être faible pour nous
: Et absit, Fratres, ut fortis sit adversum nos, qui pro nobis usque ad
mortem infirmatus est. Ainsi le concevaient les Saints : mais nous, vous le
savez, prévenus d'une erreur toute contraire, et emportés par un esprit volage
et léger, nous cédons à Dieu malgré lui-même ; nous lui cédons lorsqu'il
voudrait lui-même nous céder ; nous nous ennuyons de lui dire que nous sommes
pauvres et que nous attendons son secours, et il veut être importuné. Cette
assiduité nous fatigue , nous gêne, nous cause des dégoûts et des impatiences.
Nous voudrions en être quittes, pour nous être une fois présentés à la porte ;
et nous oublions la grande maxime du Sage, qui nous avertit de supporter les
lenteurs de Dieu : Sustine sustentationes Dei (2). Nous ne pouvons nous
accommoder de cette parole d'Isaïe : Expecta, attendez ; Reexpecta
(3), attendez encore. Le
moindre délai nous rebute ; et souvent sur le point même de
voir nos vœux remplis, nous en perdons tout le mérite et tout le profit. A qui
nous en devons-nous prendre? Est-ce à Dieu? ou n'est-ce pas à nous-mêmes?
Enfin, prier avec attention, avec
affection, je dis avec attention de l'esprit, avec affection du cœur, quoi de
plus nécessaire et de plus essentiel à la prière? Je finis parce point, le plus
important de tous. Attention de l'esprit, affection du cœur, c'est ce que
j'appelle, après saint Thomas , l'âme de la prière , et sans quoi elle ne peut
pas plus subsister qu'un corps sans l'esprit qui le vivifie et qui l'anime. Car
qu'est-ce que la prière? ne consultons point ici la théologie, mais le seul bon
sens, et l'idée commune que nous avons de ce saint exercice; qu'est-ce, encore
une fois, que la prière?un entretien avec Dieu, où l'âme admise, pour m'exprimer
de la sorte , et introduite dans le sanctuaire, expose à Dieu ses besoins, lui
représente ses faiblesses, lui découvre ses tentations, lui demande grâce pour
ses infidélités. Or, tout cela ne suppose-t-il pas un recueillement et un
sentiment intérieur? Si donc il arrive qu'au moment que je traite avec Dieu,
mon esprit s'égare jusques à perdre absolument et volontairement cette attention
intérieure et cette dévotion , quoi que je fasse du reste, ce n'est plus une
prière. Quand je chanterais les louanges du Seigneur, quand j'emploierais les
nuits entières au pied des autels; quand mon corps, selon l'expression et
l'exemple de David, demeurerait comme attaché et collé à la terre; dès que je
cesse de m'appliquer, je cesse de prier. Et de là, Chrétiens, le Docteur
angélique tirait trois grandes conséquences auxquelles je n'ajouterai rien,
mais que je vous prie de bien méditer pour votre édification; conséquences terribles,
et qui vous feront pleinement connaître pourquoi nos prières ont si peu d'efficace
auprès de Dieu.
Première conséquence. Puisqu'il
est vrai que l'attention est de l'essence de la prière, on peut dire avec
sujet, mais encore avec plus de douleur, que l'exercice de la prière est comme
anéanti dans le christianisme; pourquoi? parce que si l'on y prie encore
quelquefois, c'est sans réflexion. A quoi se réduit toute notre piété? à
quelques prières que nous récitons, mais du reste avec un esprit dissipé et
presque toujours distrait. Nous remuons les lèvres, non pas comme cette mère de
Samuel, dont le grand-prêtre Héli jugea témérairement; mais comme les Juifs, à
qui Dieu reprochait que leur cœur
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était bien loin de lui, tandis qu'ils le glorifiaient de
bouche. Ainsi nos prières ne sont plus communément qu'hypocrisie; et
Jésus-Christ pourrait bien nous redire ce qu'il disait aux pharisiens : Hypocrites,
bene prophetavit de vobis Isaias : Populus hic labiis me honorat, cor autem
eorum longe est a me (1). Ce n'est pas seulement le peuple qui tombe dans
ce désordre, et qui, par une fatale grossièreté, prie tous les jours sans
prier, c'est-à-dire sans penser à qui il parle, ni à ce qu'il demande. Ce n'est
pas seulement le sexe dévot, qui, plus adonné à la prière, fait son capital de
dire beaucoup, mais sans fixer sa légèreté naturelle, et en l’appliquant
très-peu. Ce sont même les hommes les plus éclairés et les mieux instruits ; ce
sont lus personnes mêmes consacrées à Dieu, les ministres mêmes de Dieu, qui,
par le plus déplorable renversement, à force de prier ne prient point du tout;
et au lieu de perfectionner une si sainte pratique par l'habitude, la
corrompent et la détruisent.
Seconde conséquence. Puisque la
prière renferme essentiellement l'attention, il s'ensuit que, dans les prières
qui nous sont commandées, l'attention est elle-même de précepte, en sorte qu'il
ne suffit point alors de prononcer, mais qu'une distraction notable et
volontaire doit être considérée comme une offense griève et mortelle. Or, je
dis surtout ceci, mes Frères, et pour vous et pour moi, parce que c'est en cela
que consiste un des premiers engagements de Mitre profession et de la mienne,
et que la prière vocale est comme le sacré tribut que l'Eglise chaque jour
exige de nous. Car il serait bien étrange que cette action, si sainte
d'elle-même, et qui doit nous-mêmes nous sanctifier, ne servît qu'à nous
condamner ; et que ce qui doit être pour nous la source des grâces, devînt une
des sources de notre réprobation. Souvenons-nous qu'en nous obligeant à
l'office divin, nous nous sommes obligés à un acte de religion ; qu'un acte de
religion n'est point une pratique purement extérieure ; et que, comme l'Eglise,
en nous commandant la confession, nous commande la contrition du cœur, aussi
nous commande-t-elle l'attention de l'esprit, en nous commandant la prière.
Soit que cette obligation naisse immédiatement et directement du précepte de
l'Eglise même, comme l'estiment de très-habiles théologiens ; soit qu'elle
vienne du précepte naturel qui accompagne celui de l'Eglise, en vertu duquel
Dieu nous ordonne de l'aire saintement et dignement ce qui
nous est prescrit, comme veulent quelques autres : quoi
qu'il en soit, cette différence de sentiments n'est qu'une subtilité de l'école
; et dans l'une et l'autre opinion, l'on pèche toujours également. Ah! mes
Frères, n'attirons pas sur nous cette malédiction dont le Prophète, dans
l'excès de son zèle, menaçait le pécheur, quand il disait : Que sa prière
devienne un péché pour lui : Oratio ejus fiat in peccatum (1). Or, à
combien de ministres, ou de combien de ministres n'est-il pas à craindre qu'on
en puisse dire autant? Si saint Augustin s'accusait sur cela de négligence,
nous avons bien encore plus lieu de nous en accuser nous-mêmes.
Troisième et dernière
conséquence. Ce n'est donc pas sans raisons que Dieu rejette nos prières,
puisque ce ne sont rien moins que des prières, et que, bien loin de l'honorer,
nous l'offensons et l'irritons contre nous. Car quelle injustice, mon cher
auditeur? Vous voulez que Dieu s'applique à vous quand il vous plaît de le
prier, et vous ne voulez pas, en le priant, vous appliquer vous-même à Dieu.
Vous dites à Dieu comme le Prophète : Seigneur, prêtez l'oreille à mes paroles
: Verba mea auribus percipe (2) ; Seigneur, écoulez mes cris : Intellige
clamorem meam (3); Seigneur, soyez attentif à mes vœux: Intende voci
orationis meœ (4) ; mais au même temps vous portez votre esprit ailleurs.
Vous demandez que Dieu vous parle, et vous ne lui parlez pas ; vous demandez
que Dieu vous écoute, et vous ne l'écoutez pas, vous ne vous écoutez pas
vous-même, vous ne vous comprenez pas.
Réformons-nous, Chrétiens, sur ce
seul article, et nous réformerons toute notre vie ; car on sait bien vivre, dit
saint Augustin, quand on sait bien prier : Recte novit vivere, qui novit
orare. Pourquoi sommes-nous sujets à tant de désordres? c'est parce que
nous ne prions point, ou que nous prions mal; et par un retour trop ordinaire,
pourquoi ne prions-nous point, ou pourquoi prions-nous mal ? c'est parce que
nous ne voulons pas sortir de nos désordres, et que nous craignons de guérir.
Demandons à Dieu des choses dignes de lui et dignes de nous. Demandons-les
d'une manière digne de lui et digne de nous. En deux mots, demandons-lui ses
grâces, et demandons-les bien ; nous les obtiendrons : mais entre les autres
grâces, demandons-lui surtout le don de la prière. Disons-lui comme les apôtres
: Domine,
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doce nos orare (1) : Ah ! Seigneur, notre faiblesse
est telle, que nous ne pouvons pas même, sans vous, vous bien exposer nos
besoins, ni bien implorer votre secours. C'est à vous à nous faire sentir
efficacement nos misères; c'est à vous à nous attirer au pied de votre autel
pour vous les représenter ; c'est à vous à nous inspirer ce que nous devons
vous dire pour vous
toucher. Donnez-nous donc vous-même, ô mon Dieu, cette science
si nécessaire, et par une grâce où sont en quelque sorte renfermées, comme dans
leur source, toutes les autres grâces, apprenez-nous à nous servir de la prière
pour faire descendre sur nous des grâces de conversion, des grâces de
sanctification, des grâces de salut, qui nous conduisent à la gloire, etc.