SECOND SERMON POUR LE MERCREDI DES CENDRES.
SUR LA CÉRÉMONIE DES CENDRES.
ANALYSE.
Sujet. Vous êtes poussière, et vous retournerez en
poussière.
Paroles mémorables que Dieu
dit au premier homme dans le moment de sa désobéissance, et que l'Eglise nous adresse dans la cérémonie de ce jour. Paroles de
malédiction, dans le sens que Dieu les prononça ; mais paroles de grâce et de salut,
dans la fin que l'Eglise se propose en nous les faisant entendre. Dieu commanda
à Moïse de répandre de la cendre sur les Egyptiens : et c'est ce que font
encore aujourd'hui les prêtres par l'ordre de Dieu, mais dans un esprit bien
différent ; car Moïse ne répandit la cendre sur l'Egypte que pour faire sentir
à ce peuple le poids de la colore de Dieu ; et les prêtres ne répandent sur
nous la cendre que pour nous attirer les grâces de Dieu, et pour nous porter à
la pénitence, comme j'entreprends de vous le montrer dans ce discours. Courte
instruction aux nouveaux catholiques sur la cérémonie des cendres.
Division. La pénitence chrétienne, prise dans toute son
étendue, est un double sacrifice que Dieu exige de nous ; sacrifice de
l'esprit, et sacrifice du corps : sacrifice de l'esprit par l'humilité de la
componction, et sacrifice du corps par l'austérité même extérieure île la satisfaction.
Nous avons dans nous deux grands obstacles à ces deux sacrifices, l'esprit
d'orgueil et l'esprit de mollesse. Mais par où les pouvons-nous surmonter ? par le souvenir de la mort que nous retrace l'Eglise dans la
cérémonie des cendres. Il faut, par une pénitence solidement humble, anéantir
devant Dieu l'orgueil de nos esprits; et c'est à quoi nous oblige la vue de ces
cendres, qui sont pour nous les marques et comme les symboles de la mort :
première partie. Il faut, par une pénitence généreusement austère, sacrifier à
Dieu la mollesse et la délicatesse de nos corps ; et c'est à quoi nous engage
l'imposition de ces tendres, qui nous annoncent, ou plutôt qui nous font déjà
sentir l'inévitable nécessité de la mort : deuxième partie.
Première
partie. Il faut, par une pénitence
solidement humble, anéantir devant Dieu l'orgueil de nos esprits; et c'est à
quoi nous oblige la vue des cendres, qui sont pour nous les marques et comme
les symboles de la mort. L'orgueil fut le premier principe du péché, et c'est
le premier obstacle à la pénitence. Mais pour humilier cet orgueil, il n'y a
qu'à faire remonter l'homme à son . et
qu'à lui faire considérer sa fin. Or voilà ce que fait le souvenir de la mort
et la vue des cendres. Quand un homme sans naissance, mais élevé à une haute
fortune, vient à s'enorgueillir, le moyen de réprimer son orgueil est de lui
remettre devant les yeux l'obscurité et la bassesse de son extraction. Mais si
de plus, pénétrant dans l'avenir, on lui faisait voir sa ruine prochaine, ce serait
bien de quoi rabattre l'enflure de son cœur. Double vue dont l'Eglise se sert
aujourd'hui : car en nous présentant les cendres, elle nous avertit que nous
sommes cendres nous-mêmes, et que nous retournerons en cendres.
Examinons
la chose plus en détail. Pourquoi des cendres? parce
que rien ne doit mieux nous faire comprendre ce que c'est que la mort, et
l'humiliation extrême où nous réduit la mort. Oui, ces cendres ont quelque
chose de plus touchant que tous les raisonnements du monde pour humilier
l'homme, en lui faisant connaître son néant. Elles nous apprennent que toutes
ces grandeurs dont le monde se glorifie ne sont que vanité et que mensonge.
Ouvrez le tombeau d'un grand : qu'y trouverez-vous ? un
peu de cendres; rien davantage. Elles nous apprennent combien nous sommes
injustes quand nous affectons avec tant d'ostentation certaines distinctions
dans le monde, puisque nous devons tous être un jour égalés et confondus dans
la cendre. Elles nous apprennent que, malgré les vastes desseins que forme
l'ambitieux, la mort le réduira bientôt, à quoi ? à
une poignée de cendres. Elles nous apprennent que non-seulement la mort
détruira ce fantôme de grandeur après lequel nous courons, mais que notre
mémoire même périra, et qu'il ne sera plus parlé de nous. En un mot, elles nous
apprennent que, quelque enraciné que soit notre orgueil, il ne
182
tient qu'à nous de trouver dans nous-mêmes notre
humiliation, puisque cette partie de nous-mêmes dont nous sommes si idolâtres, ce
corps n'est au fond que le plus abject de tous les êtres, et qu'un sujet de
corruption.
Cependant
vous me demandez pourquoi l'on nous met ces cendres sur la tête. C'est que la
tête est le siège de la raison, et qu'on veut par là nous avertir que la mort
doit être le sujet le plus ordinaire de nos réflexions, afin de nous entretenir
dans telle humilité qui est déjà le commencement de la pénitence.
Aussi
est-ce le souvenir de la mort qui, de tout temps, a plus retenu les hommes dans
l'ordre, et les a mis comme dans la nécessité d'être humbles. De là vient que,
parmi toutes les nations, Grecs, Romains, Juifs, le souvenir de la mort et
l'usage de la cendre ont été une des principales circonstances des pompes les
plus solennelles, et que maintenant encore, dans la consécration des papes, on
fait passer devant les yeux du nouveau pontife quelques étoupes que le feu
consume. De là vient que les peuples les plus barbares se sont fait un devoir
de conserver les cendres de leurs ancêtres : ces cendres leur apprenaient à se
mépriser, à se modérer, à se régler. De là vient que Moïse, sortant de
l'Egypte, se contenta d'emporter les cendres du patriarche Joseph, afin
qu'elles servissent à contenir le peuple dont il était le conducteur. De là
vient qu'il obligea les Israélites, après leur idolâtrie, à boire la cendre du
veau d'or qu'ils avaient adoré. De là vient enfin que quelques princes
chrétiens, pendant leur vie même, ont voulu avoir dans leurs palais et devant
leurs yeux, les uns la bière destinée à leur sépulture, et les
autres le crâne d'un mort.
Or,
soit pour les grands, soit pour les petits, quand une fois l'humilité, par la
pensée de la mort, a pris possession d'un coeur, il est aisé d'y faire entrer
la componction de la pénitence : car du moment que je suis disposé à
m'humilier, je suis disposé à m'accuser, à me condamner, à me punir moi-même.
Et voilà pourquoi l'Eglise, après nous avoir fait considérer deux sortes de
cendres, celle de notre origine, et celle de notre corruption future, nous en
impose une troisième, savoir, la cendre delà pénitence.
Car
que fait le pécheur quand il reçoit aujourd'hui la cendre par les mains du
prêtre? Il se présente à Dieu comme un pénitent humilié, couvert de cendres, et
résolu de satisfaire à sa justice. Et il faut toujours reconnaître que ce
souvenir de la mort et la vue de ces cendres est un admirable moyen pour
préparer à la pénitence les pécheurs les plus orgueilleux. Ne fut-ce pas ainsi
que saint Ambroise dompta la fierté de Théodose, et qu'après la sanglante
journée de Thessalonique, il le rangea à l'ordre de la pénitence et de la
rigoureuse discipline qui s'observait alors ? Si l'on tenait aux grands le même
langage qu'il tint à cet empereur, ils en seraient touchés, et ils penseraient
à se convertir.
Mais
il ne s'agit pas seulement de la conversion des grands : il s'agit de la nôtre,
et le désordre est que, malgré l'anéantissement où la mort doit nous réduire,
et malgré l'aveu solennel que nous en faisons dans cette cérémonie des cendres,
nous n'en sommes ni plus humbles, ni plus détachés de nous-mêmes. Combien de chrétiens
ont reçu la cendre avec des cœurs ambitieux? Combien de femmes l'ont reçue avec
toutes les marques de leur vanité ? Terre, terre, écoulez la voix du
Seigneur, et humiliez-vous sous sa toute-puissante main.
Deuxième
partie. Il faut, par une pénitence
généreusement austère, sacrifier à Dieu la mollesse et la délicatesse de nos corps,
et c'est à quoi nous engage l'imposition de ces cendres, qui nous annoncent, ou
plutôt qui nous font déjà sentir l'inévitable nécessité de la mort. C'est une
illusion de croire que la pénitence soit une vertu purement intérieure. Le
penser de la sorte, ce serait démentir toute l'Ecriture, et en particulier
l'apôtre saint Paul. Il est vrai que l'hérésie a rejeté toutes les pratiques
extérieures de la pénitence : mais quoi que l'hérésie en ait pu dire, il n'y a
point de parfaite pénitence sans la mortification du corps; et puisque le corps
a part au péché, il est juste qu'il ait
part à la peine du péché.
Or,
à cette loi de pénitence s'oppose une autre loi que nous portons dans
nous-mêmes, qui est l'amour déréglé de nos corps. Amour qui, dans le soin de
notre corps, nous fait d'abord chercher le nécessaire, et qui du nécessaire,
nous fait ensuite aller au commode, du commode au superflu, et du superflu au
criminel. Au lieu que la vraie pénitence nous fait premièrement renoncer au
criminel que nous avouons nous-mêmes criminel ; de là nous retranche le
superflu que nous prétendions innocent ; ensuite nous prive même du commode
dont nous avions cru ne nous pouvoir passer ; enfin nous ôte, non pas le
nécessaire, mais l'attachement et l'attention trop grande au nécessaire. Sans
cela les Saints ne comprenaient pas qu'on put être pénitent: mais ce que les
Saints ne comprenaient pas est devenu un des secrets de la dévotion du siècle. Cependant
l'Apôtre l'a dit : On ne peut bien réparer le péché qu'en crucifiant cette chair
de péché, qui est l'ennemie de Dieu.
Considérons
les cendres qu'on nous met sur la tête, et souvenons-nous de la mort : c'est
assez pour nous détacher de l'amour de notre corps; comment cela? en nous faisant connaître là-dessus : 1° notre aveuglement,
2° notre injustice : noire aveuglement, lorsque nous idolâtrons un corps qui
n'est que poussière et que corruption, et qui doit être bientôt dans le tombeau
la pâture des vers. Notre injustice, injustice envers Dieu, d'aimer plus que
lui un corps sujet à la pourriture ; injustice envers notre âme, cette âme
immortelle, de lui préférer un corps qui doit mourir; injustice envers ce corps
même, de l'exposer, pour des voluptés passagères, à des souffrances éternelles.
Si le corps et l'âme d'un réprouvé, selon la supposition de saint Chrysostome,
venaient à être confrontés l'un avec l'autre, et qu'ils pussent s'accuser l'un
l'autre, quels reproches ne se feraient-ils pas ?
C'est
ce qui a toujours produit dans les âmes bien converties une sainte haine de
leurs corps, et ce qui a tant de fois opéré dans le
christianisme des miracles de conversion. Exemple de saint François de Borgia.
Cette
haine de notre corps est encore bien plus vive, quand on pénètre dans le
mystère de ces cendres que l'Eglise nous présente, et qu'on remonte à l'origine
d'une si sainte pratique ; quand on pense qu'elles ont toujours été le symbole
de la pénitence; quand on considère de quelles austérités et de quelles
macérations elles étaient accompagnées, suivant les règles de l'ancienne
discipline ; car enfin, doit dire aujourd'hui un pécheur touché de ces
désordres, ces pénitents de la primitive Eglise n'étaient pas plus criminels
que moi ; et si l'Eglise a pu adoucir les peines qu'elle avait ordonnées pour
chaque espèce de péché, elle n'a rien relâché des peines prescrites par le
droit divin ; et Dieu lui-même nous assure qu'il ne s'en relâchera jamais qu'en
faveur de la pénitence. Il faut donc que ce soit la pénitence qui m'acquitte
auprès de lui. Si nous entrons dans ce saint temps de carême bien pénétrés de
ces sentiments, le jeune ne sera plus pour nous un joug trop pesant : nous
l'entreprendrons avec joie, nous le continuerons avec ferveur, et nous l'achèverons
avec constance.
Pulvis es, et in pulverem reverteris.
Vous êtes poussière, et vous retournerez en poussière. (Genèse, chap.
III, 9)
Ce sont les mémorables paroles
que Dieu dit au premier homme dans le moment de sa désobéissance ; et ce sont
celles que l'Eglise adresse en particulier à chacun de nous, par la bouche de
ses ministres, dans la cérémonie de ce jour. Paroles de malédiction, dans le sens
que Dieu les prononça ; mais paroles de grâce et de salut, dans la fin que
l'Eglise se propose en nous les faisant entendre. Paroles
183
terribles et foudroyantes pour
l'homme pécheur, puisqu'elles lui signifièrent l'arrêt de sa condamnation ;
mais paroles douces et consolantes pour le pécheur pénitent, puisqu'elles lui
enseignent la voie de sa conversion et de sa justification. Ainsi
, remarque saint Chrysostome, Dieu en a-t-il souvent usé, et s'est-il
servi du même moyen, tantôt pour imprimer aux hommes la terreur de ses
jugements , et tantôt pour leur faire éprouver l'efficace de ses miséricordes.
Je ne sais, Chrétiens, si vous
avez jamais fait réflexion à ce que nous lisons dans le livre de l'Exode.
Ecoutez-le : l'application vous en paraîtra naturelle, et elle convient
parfaitement à mon sujet. Quand Dieu voulut punir l'Egypte, il commanda à Moïse
de prendre dans sa main une poignée de cendres; et, en présence de Pharaon, de
la répandre sur tout le peuple : Tollite manus plenas cineris, et spargat
illum Moyses coram Pharaone (1).
L'Ecriture ajoute que cette cendre ainsi dispersée fut comme la matière
dont Dieu forma ces fléaux qui affligèrent toute l'Egypte ,
et qui y causèrent une désolation si générale : Sitque pulvis super omnem
terram Aegypti (2). A en juger par l'apparence, Dieu fait aujourd'hui le
même commandement aux ministres de son Eglise. Il veut que les prêtres de la
loi de grâce, comme dispensateurs de ses
mystères, prennent la cendre de dessus l'autel, et qu'ils la répandent
solennellement sur tout le peuple chrétien : Tollite manus plenas cineris.
Mais, dans l'intention de Dieu , l'effet de cette
cérémonie est par rapport au christianisme, bien différent de ce qu'elle opéra
dans l'ancienne loi. Car, au lieu que Moïse et Aaron ne répandirent la cendre
sur les Egyptiens, que pour leur faire
sentir le poids de la colère de Dieu ; que pour marquer à Pharaon qu'il était
réprouvé de Dieu, que pour dompter l'impiété et l'endurcissement de ce monarque
livré dès lors à la vengeance de Dieu : par une conduite tout opposée, les
prêtres de la loi nouvelle ne répandent aujourd'hui la cendre sur nos têtes que
pour nous attirer les grâces et les faveurs du même Dieu, que pour nous mettre
en état et nous rendre capables d'en éprouver la bonté, que pour exciter dans
nos cœurs les sentiments d'une véritable pénitence. C'est ce que j'entreprends
de vous faire voir, et par où je commence à m'acquitter auprès de vous du
ministère dont Dieu m'a chargé, et que j'ai à remplir pendant tout ce saint
temps du carême.
Vous, mes frères, qui, par la miséricorde
du Seigneur, avez enfin renoncé au schisme pour vous réunir à l'Eglise ; vous
pour qui je suis particulièrement envoyé *, que je regarde ici comme le premier
objet de mon zèle, et plaise au ciel que je puisse vous appeler un jour ma
couronne et ma joie ! Gaudium meum et corona mea (1) ! Vous,
dis-je, nouvelle conquête de la grâce de Jésus-Christ, apprenez à respecter une
de ces cérémonies religieuses dont use l'Eglise catholique dans le sein de
laquelle vous êtes rentrés. Il y en a de plus essentielles : mais sans parler
des autres, ou pour juger des autres par celle-ci, comment l'hérésie l'a-t-elle
pu rejeter, puisque l'auteur même de cette fatale division où vous fûtes
malheureusement engagés, reconnaît que les cérémonies peuvent aider la piété des
fidèles ; qu'il est non-seulement bon, mais nécessaire d'en conserver
quelques-unes ; que pour n'être plus dans la loi de Moïse, il ne s'ensuit pas
qu'il les faille toutes abolir ; qu'il est juste que par des signes extérieurs
l'on montre les sentiments de religion qu'on a dans le cœur : et que d'ôter
tout ce qui s'appelle cérémonie, c'est mettre parmi le troupeau une confusion
monstrueuse? Or, entre les cérémonies, quelle autre a dû moins blesser l'Eglise
protestante que la cérémonie des cendres ? Qu'a-t-elle de superstitieux ? qu'a-t-elle qui ne soit autorisé par l'Ecriture? quel souvenir nous est plus utile que celui de notre
faiblesse, de notre néant ? et n'est-ce pas là ce
qu'elle nous remet devant les yeux? Cependant cette cérémonie, dont la simplicité
et la sainteté devaient édifier, a été un scandale pour ces ministres que vous
avez suivis. Ils l'ont réprouvée, et ils vous l'ont fait réprouver comme eux,
parce qu'ils ne la connaissaient point assez, ou parce qu'ils ne vous la
faisaient point assez connaître. Mais oublions le passé, et bénissons Dieu du
présent. Bénissons-le même par avance de l'avenir, qui nous promet l'entier
accomplissement de ce grand ouvrage que le Seigneur a commencé. Nous nous
unirons tous , et tous de concert nous conspirerons à
le soutenir, à le perfectionner, à le consommer. Qu'il me soit permis d'en
faire ici le vœu solennel et public ; ce ne sera pas en vain. Oui, mon Dieu,
votre œuvre s'achèvera, votre nom sera glorifié, votre loi observée, votre
Eglise reconnue : vous verserez sur mes auditeurs vos grâces les plus
abondantes ; vous les verserez sur moi, et
184
elles donneront de l'efficace à mes
paroles. C'est pour cela même encore que je m'adresse à Marie, et que je lui
dis : Ave, Maria.
Il ne suffit pas pour la foi de
croire de cœur, si l'on ne confesse de bouche : c'est ce que saint Paul nous
déclare en termes exprès, et à quoi j'ajoute, suivant la doctrine du même
apôtre, qu'il ne suffit pas pour la pénitence d'avoir un coeur contrit et
humilié, si le pécheur au même temps n'offre à Dieu, en forme d'hostie, une
chair mortifiée et crucifiée avec ses désirs corrompus. Tel est, dit saint
Grégoire, pape, le devoir d'un homme qui, se trouvant composé d'une âme et d'un
corps, d'une âme spirituelle et toute céleste, d'un corps terrestre et tout
matériel, doit selon l'un et l'autre honorer Dieu, s'il veut rendre à Dieu ce
culte raisonnable en quoi consiste l'intégrité de la religion.
Excellent principe que je suppose
d'abord, et d'où je conclus que la pénitence chrétienne, prise dans toute son étendue , est donc un double sacrifice que Dieu exige de
nous. Sacrifice de l'esprit, et sacrifice du corps : sacrifice de l'esprit, par
l'humilité de la componction ; et sacrifice du corps, par l'austérité même
extérieure de la satisfaction ; sacrifice de l'esprit, sans lequel, comme nous
l'enseigne le maître des Gentils, le sacrifice du corps ne sert à rien ou
presque à rien, ni ne peut jamais apaiser Dieu ; et sacrifice du corps, sans
quoi le sacrifice de l'esprit n'est souvent qu'une illusion ou un fantôme
devant Dieu. En sorte que l'union de ces deux sacrifices est absolument
nécessaire pour rendre parfait l'holocauste dont je parle, et d'où dépend
l'entière réconciliation de l'homme pécheur avec Dieu.
Je m'attache à cette pensée, qui
me conduit naturellement à mon sujet : et parce que ces deux sacrifices, que la
pénitence doit faire à Dieu, trouvent en nous deux grands obstacles, dont le
premier est l'esprit d'orgueil, et le second l'esprit de mollesse ; l'esprit
d'orgueil, incompatible avec l'humilité de la pénitence; l'esprit de mollesse,
essentiellement opposé à l'austérité de la pénitence : je veux, pour ne vous
rien dire aujourd'hui qui ne soit utile et pratique, vous apprendre à les
surmonter par le souvenir de la mort que nous retrace l'Eglise dans la
cérémonie des cendres. C'est tout le dessein de ce discours, que je réduis à
deux propositions. Il faut, par une pénitence solidement humble, anéantir
devant Dieu l'orgueil de nos esprits ; et c'est à quoi nous oblige la vue de
ces cendres, qui sont pour nous les marques et comme les symboles de la mort :
ce sera le premier point. Il faut, par une pénitence généreusement austère,
sacrifier à Dieu la mollesse et la délicatesse de nos corps; et c'est à quoi
nous engage l'imposition de ces cendres, qui nous annoncent, ou plutôt qui nous
font déjà sentir l'inévitable nécessité de la mort : ce sera le second point.
Humiliation de l'esprit sous le joug de la pénitence, mortification de la chair
dans l'exercice de la pénitence : deux fruits du saint usage que nous devons
faire de ces cendres consacrées par la bénédiction des prêtres, et de la pensée
de la mort que nous rappelle une cérémonie si touchante. Donnez-moi votre
attention.
PREMIERE PARTIE.
Comme il est de la foi que
l'orgueil fut le premier péché de l'homme, et qu'il est encore la source et le
principe de tout péché, Initium omnis peccati superbia (1) ; il ne faut
pas s'étonner que le même orgueil soit un obstacle essentiel à la pénitence,
établie de Dieu pour être le remède du péché. Je m'explique. Si l'homme,
persévérant dans le bienheureux état où Dieu l'avait créé, était demeuré dans
les termes de cette humilité, qui lui était connue naturelle, puisque
l'humilité n'est rien autre chose que la parfaite connaissance de soi-même;
quelque avantage ou de la nature ou de la grâce qu'il eût reçu, il n'aurait
jamais couru risque d'en abuser an préjudice de ce qu'il devait à Dieu : et si
dans l'instant que nous violons la loi de Dieu, nous faisions un retour sur
nous-mêmes, il nous suffirait de nous connaître nous-mêmes, pour rentrer dans
l'ordre, et pour nous mettre, comme pécheurs, en disposition de satisfaire à
Dieu. Mais cet esprit de pénitence et de justice qui nous porte à réparer les
offenses de Dieu, se trouve combattu dans nous par un autre esprit, qui est
l'esprit d'orgueil, et de même qu'en péchant nous nous révoltons contre ce
souverain législateur, nous avons après le péché une opposition secrète à lui
en faire la juste réparation qui lui est due.
Quel remède, Chrétiens? celui même que l'Eglise nous propose dans la cérémonie de ce
jour, en nous obligeant à nous souvenir de ce que nous sommes, afin de corriger
notre vanité par notre vanité, comme parle saint Augustin. Car il faut faire de
temps en temps remonter l'homme jusqu'à son origine, dit ce
185
grand docteur; et par la
considération de sa faiblesse, de sa misère, de son néant, le forcer malgré lui
de renoncer aux présomptueuses et vaincs idées qu'il a de lui-même, et qui,
l'empêchant de s'humilier, l'empêchent de se convertir. Or, c'est ce que fait
la pensée de la mort. Quand un homme sans qualité et sans naissance, mais élevé
néanmoins à une haute fortune, et comblé de biens et d'honneurs, vient à
s'enorgueillir et à s'oublier, le moyen de réprimer son orgueil est de lui
remettre devant les yeux l'obscurité et la bassesse de son extraction. Ne vous
enflez point, lui dit-on ; on sait qui vous êtes et d'où vous êtes venu. Cela
seul est capable de le confondre, et de lui inspirer des sentiments de
modestie. Mais si de plus, par une vue anticipée de l'avenir, on lui marquait
ce qui lui doit bientôt arriver; si l'on pouvait lui dire, et lui dire avec
assurance : Prenez garde; quelque grand que vous soyez, vous êtes sur le point
de votre ruine ; une disgrâce dont vous êtes menacé et que vous n'éviterez pas,
va vous réduire à n'être plus que ce que vous étiez dans votre première condition;
si, dis-je, on pouvait lui parler ainsi, en sorte qu'on lui fît connaître à
lui-même la vérité de ce qu'on lui annonce, cette vue sans doute ferait encore
sur lui une bien plus forte impression. Pénétré de celte pensée, Il n'y a plus
pour moi de ressource et je vais périr, il serait doux et humain ; il ne ferait
plus voir dans sa conduite ni arrogance, ni fierté; cette enflure de cœur, que
lui causait la prospérité et l'élévation, s'abaisserait tout à coup : pourquoi?
parce qu'il n'envisagerait plus sa fortune, si je puis
user de cette expression, que comme la hauteur du précipice où il va tomber, et
qu'au lieu de s'éblouir de ce qu'il est, il gémirait sur ce qu'il va devenir.
Or, c'est justement, mes chers
auditeurs, de cette double vue, et de ce que nous avons été, et de ce que nous
serons, que l'Eglise se sert aujourd'hui pour nous tenir devant Dieu dans
l'humilité et dans la soumission. L'homme, dit l'Ecriture, était dans l'honneur
et dans la gloire, où Dieu l'avait élevé par la création; mais, au milieu de sa
gloire, l'homme s'était méconnu : Homo cum in honore esset, non intellexit
(1). Cet oubli de lui-même, par une suite nécessaire, l'avait porté jusqu'à
l'oubli et même jusqu'au mépris de Dieu. Que l'ait l'Eglise? Pour rétablir en
nous ce respect de Dieu, et cette crainte que nous perdons par le péché, et qui
doit être le
fondement de la pénitence, elle
nous engage ou plutôt elle nous oblige à concevoir du mépris pour nous-mêmes,
en nous adressant ces paroles : Memento, homo, quia pulvis es, et in
pulverem reverteris. Comme si elle nous disait : Pourquoi, homme mortel,
vous attribuer sans raison une grandeur chimérique et imaginaire ?
Souvenez-vous de ce que vous étiez il y a quelques années, quand Dieu, par sa
toute -puissance, vous tira de la boue et du néant. Souvenez-vous de ce que
vous serez dans quelques années, quand ce petit nombre de jours qui vous reste encore sera expiré. Voilà les deux termes où il faut
malgré vous que tout votre orgueil se borne. Raisonnez tant qu'il vous plaira
sur ces deux principes ; vous n'en tirerez jamais de conséquence, non-seulement
qui ne vous humilie, mais qui ne vous rappelle à votre devoir, lorsque vous
serez assez aveuglé .et assez insensé pour vous en écarter. Telle est, encore une
fois, Chrétiens, la salutaire et importante leçon que fait l'Eglise comme une
mère sage, à tous ses enfants.
Mais examinons plus en détail la
manière dont elle y procède, et toutes les circonstances de cette cérémonie des
cendres qu'elle observe en ce saint jour. Car il n'y en a pas une qui ne nous
instruise, et qui n'aille directement à ces deux fins, de rabattre notre
orgueil et de nous disposer à la pénitence. En effet, c'est pour rabattre notre
orgueil qu'elle nous présente des cendres, et qu'elle nous les fait mettre sur
la tête. Pourquoi des cendres? parce que rien, dit
saint Ambroise, ne doit mieux nous faire comprendre ce que c'est que la mort,
et l'humiliation extrême où nous réduit la mort, que la poussière et la cendre.
Oui, ces cendres que nous recevons prosternés aux pieds des ministres du
Seigneur; ces cendres dont la bénédiction, selon la pensée de saint Grégoire de
Nysse, est aujourd'hui comme le mystère, ou, si vous voulez, comme le sacrement
de notre mortalité, et par conséquent de notre humilité, si nous les
considérons bien, ont quelque chose de plus touchant que tous les raisonnements
du monde pour nous humilier en qualité d'hommes, et pour nous faire prendre, en
qualité de pécheurs, les sentiments d'une parfaite conversion, et d'un retour
sincère à Dieu. Car elles nous apprennent ce que nous voudrions peut-être ne
pas savoir, et ce que nous tachons tous les jours d'oublier. Mais malheur à
nous, si jamais nous tombons, ou dans une ignorance si déplorable, ou dans un
oubli si funeste !
186
Elles nous apprennent que toutes
ces grandeurs dont le monde se glorifie, et dont l'orgueil des hommes se
repaît; que cette naissance dont on se pique, que ce crédit dont on se flatte,
que cette autorité dont on est fier, que ces succès dont on se vante, que ces
biens dont on s'applaudit, que ces
dignités et ces charges dont on se prévaut, que cette beauté, cette valeur,
cette réputation dont on est idolâtre, que tout cela, malgré nos préventions et
nos erreurs, n'est que vanité et que mensonge. Car que je m'approche du tombeau
d'un grand de la terre, et que j'en examine l'épitaphe : je n'y vois qu'éloges,
que titres spécieux, que qualités avantageuses, qu'emplois honorables : tout ce
qu'il a jamais été et tout ce qu'il a jamais fait y est étalé en termes pompeux
et magnifiques. Voilà ce qui paraît au dehors. Mais qu'on me fasse l'ouverture
de ce tombeau, et qu'il me soit permis de voir ce qu'il renferme ; je n'y
trouve qu'un cadavre hideux, qu'un tas d'ossements infects et desséchés, qu'un
peu de cendres, qui semblent encore se ranimer pour me dire à moi-même : Memento,
homo, quia pulvis es, et in pulverem reverteris.
Elles nous apprennent que nous
sommes donc bien injustes, quand, à quelque prix que ce soit, et souvent contre
l'ordre de la Providence, nous prétendons nous distinguer, et que nous
voulons faire dans le monde certaines
figures qui ne servent qu'à flatter notre vanité : que ces rangs que nous
disputons avec tant de chaleur, ces droits que nous nous attribuons, ces points
d'honneur dont nous nous entêtons, ces singularités que nous affectons, ces
airs de domination que nous nous
donnons, ces soumissions que nous exigeons, ces hauteurs avec lesquelles nous
en usons, ces ménagements et ces égards que nous demandons, sont autant
d'usurpations que fait notre orgueil, en nous persuadant, aussi bien qu'au
pharisien de l'Evangile, que nous ne sommes pas comme le reste des hommes :
erreur dont la cendre où nous réduit la mort nous détrompe bien, par l'égalité
où elle met toutes les conditions, disons mieux, par leur entière destruction.
Car voyez, dit éloquemment saint Augustin au livre de la Nature et de la Grâce;
voyez si dans les débris des tombeaux vous distinguerez le pauvre d'avec le
riche, le roturier d'avec le noble, le faible d'avec le fort; voyez si les
cendres des souverains et des monarques y sont différentes de celles des sujets
et des esclaves. Ah ! l'esclave et le roi ne sont là qu'une même chose; et ce
fut la belle réponse que fit un philosophe à un fameux conquérant, lorsque
interrogé pourquoi il paraissait si attentif à contempler des ossements de
morts entassés les uns sur les autres, «Je tâche, lui dit-il, seigneur, à
discerner dans ce mélange le roi votre père ; je l'y cherche, mais en vain,
parce que ses cendres, confondues avec celles du peuple, n'y retiennent nulle
marque de distinction par où je puisse le reconnaître.» Paroles dont le plus
fier des hommes, quoique païen, ne laissa pas de s'édifier, et qui reviennent à
ce qu'on nous dit aujourd'hui : Memento, homo, quia pulvis es, et in
pulverem reverteris.
Elles nous apprennent que malgré
les vastes desseins que forme l'ambitieux de s'établir, de s'agrandir, de
s'élever, de croître toujours, sans dire jamais : C'est assez; la mort, par une
triste destinée, le bornera bientôt à six pieds de terre : c'est trop, à une
poignée de cendres. Car voilà, mes chers auditeurs, pour m'exprimer ainsi,
jusqu'où Dieu nous pousse à son tour ; voilà à quoi aboutissent tous nos
projets, toutes nos entreprises, toutes nos prétentions, toutes nos intrigues,
en un mot, tontes nos fortunes et toutes nos grandeurs, lorsque nos corps, par
la dernière résolution qu'il s'en fait dans le tombeau, se raccourcissent,
s'abrègent presque jusques à s'anéantir. Ecce vix tolam Hercules implevit
urnam. Quel changement! disait un sage, quoique mondain, en voyant l'urne
sépulcrale où étaient les cendres d'Hercule; cet Hercule, ce héros à qui la
terre ne suffisait pas, est ici ramassé tout entier ! à
peine a-t-il de quoi remplir cette urne ! Réflexion que l'Eglise nous fait
faire aujourd'hui bien plus saintement et bien plus efficacement, quand elle
nous dit : Memento, homo, quia pulvis es, et in pulverem reverteris.
Elles nous apprennent que
non-seulement la mort détruira ce fantôme de grandeur et de fortune après lequel
nous courons, mais que notre mémoire même périra, qu'on ne parlera plus de
nous, qu'on ne pensera plus à nous, qu'on se consolera de notre perte, que
quelques-uns s'en réjouiront, que nos proches seront les premiers à nous
oublier; que ces amis sur qui nous comptions se lasseront bientôt de nous
pleurer; que l'indifférence des uns, que l'ingratitude des autres, effacera
dans peu de jours le souvenir des bons offices que nous leur avons rendus, et
que tout ce que nous aurons fait dans une autre vue que celle de Dieu sera
semblable à la poussière que le vent emporte; car ainsi le concevait Job : Memoria
vestra
187
comparabitur cineri
(1). Ainsi Dieu le marquait-il lui-même, quand il disait, par la bouche
d'Ezéchiel, à ce roi impie : Dabo te in cinerem (2); je te réduirai eu
poudre, et ces éclatantes actions dont tu te promettais clans la mémoire des
hommes une espèce d'immortalité s'évanouiront et se dissiperont comme la
cendre. En effet, Chrétiens, c'est le véritable symbole de cette fausse gloire
dont nous sommes si jaloux, puisqu'il est certain qu'elle a toutes les
propriétés de la cendre ; qu'elle est vile comme la cendre, légère comme la
cendre, stérile et inutile comme la cendre, et que, quand nous en aurions
autant que notre vanité en peut demander, ce qui ne sera jamais, on aurait
toujours droit de nous dire : Memento, homo, quia pulvis es, et in pulverem
reverteris.
Enfin elles nous apprennent que,
quelque enraciné que soit notre orgueil, il ne tient qu'à nous de trouver dans
nous notre humiliation : Humiliatio tua in medio tui (3), puisque cette
partie de nous-mêmes dont nous sommes si occupés et si idolâtres, ce corps
n'est au fond que le plus abject de tous les êtres, qu'un sujet de corruption,
et, selon l'expression de Tertullien, qu'un peu de boue figurée en homme : Limus
titulo hominis incisus. Or, est-il juste que la poussière et la boue s'enfle de ce qu'elle est, et que, par la malice du péché,
elle s'élève contre celui qui, l'animant de son esprit, l'a élevée par sa
miséricorde au-dessus de ce qu'elle était? Quid superbit terra et cinis (4)?
La mort que nous avons sans cesse devant les yeux, devait être sur tout cela
pour nous une continuelle leçon ; mais parce qu'il arrive, comme l'a fort bien
remarqué saint Chrysostome, que tous les hommes voient la mort, mais que peu
ont le don de la comprendre : Mortem omnes rident, pauci intelligunt ;
l'Eglise joint à cette vue de la mort l'usage des cendres qu'elle nous
présente, et qui, sanctifiées par les prières de ses ministres, ont une grâce
spéciale pour faire entier dans nos cœurs ces importantes vérités : Memento,
homo,quia pulvis es, et in pulverem reverteris.
Cependant vous me demandez
pourquoi l'on nous met ces cendres sur la tête et sur le front : autre mystère
qu'il est aisé d'éclaircir, et qui doit encore édifier votre piété. On nous met
ces cendres sur la tête, qui est le siège de la raison, pour nous faire
entendre que l'objet le plus ordinaire de nos réflexions et de nos
considérations pendant la vie doit être la mort et
les suites de la mort. Or c'est ce
que l'on nous déclare quand on nous dit: Memento, Souvenez-vous-en, et
ne l'oubliez jamais; parce qu'en effet il nous servirait peu d'êlre une fois
convaincus que nous sommes mortels, si, par une forte pensée et par un fréquent
souvenir, la conviction que nous en avons n'était pour nous une source de
sagesse, et ne produisait en nous cette disposition d'humilité, qui est déjà le
commencement de la pénitence.
Aussi est-ce le souvenir de la
mort qui , de tout temps, a le plus retenu les hommes
dans l'ordre, et les a mis, malgré les soulèvements de leur orgueil, comme dans
la nécessité d'être humbles. De là vient, dit saint Jérôme (et ce ne sera point
là une digression, ou cette digression n'aura rien d'ennuyeux et de fatigant
pour vous); de là vient que parmi toutes les nations, non-seulement
chrétiennes, mais païennes, le souvenir de la mort, et même l'usage de la
cendre, a été une des principales circonstances des pompes les plus solennelles
et des cérémonies les plus augustes ; que les Grecs, au rapport du cardinal
Pierre Damien, après avoir couronné leurs empereurs, leur offraient un vase
plein d'ossements et de cendres, pour les avertir que la suprême dignité dont
ils venaient d'être revêtus ne les exemptait pas de la mort ; que les Romains,
dans leurs triomphes, faisaient marcher un héraut après le vainqueur, pour lui
crier, au milieu des applaudissements publics, qu'il était homme et sujet à la
mort ; que le grand prêtre, dans l'ancienne loi, se purifiait avec de la cendre
quand il devait entrer dans le sanctuaire ; et que maintenant encore, dans la
consécration des papes, on fait passer devant les yeux du nouveau pontife
quelques étoupes que le feu consume, pour lui faire entendre que la gloire du
monde passe de même, et que la tiare ne l'empêche point d'être tributaire de la
mort : comme si les hommes avaient eux-mêmes reconnu qu'à mesure que le monde
ou la Providence les exalte, ils ont besoin d'un contre-poids qui les rabaisse,
et que le plus puissant et le meilleur est le souvenir de la mort. De là vient
que les peuples les plus barbares, par un secret instinct de religion, se sont
fait un devoir de conserver les cendres de leurs ancêtres. Ces cendres leur faisaient
voir à quoi leur sort devait enfin se terminer ; et ce souvenir les rendait
naturellement humbles, dans le même sens que notre âme, selon le langage de
Tertullien, est naturellement chrétienne. Ces cendres, s'ils se sentaient ou
passionnés ou préoccupés, leur suffisaient
188
pour se dire à eux-mêmes : Memento,
homo ; Souviens-toi, homme, et humilie-toi ; souviens-toi, et modère-toi ;
souviens-toi, et détrompe-toi. De là vient que Moïse sortant de l'Egypte, au
lieu d'emporter les riches dépouilles des Egyptiens, comme les autres Hébreux
dont il était le conducteur, se contenta d'emporter les cendres du patriarche
Joseph ; ne croyant pas pouvoir mieux dompter ni mieux soumettre à l'empire de
Dieu ces esprits fiers et indociles, qu'en leur montrant les cendres de ce
grand homme, dont ils se glorifiaient d'être descendus. De là vient que les
mêmes Israélites ayant abandonné Dieu dans le désert, et l'ayant irrité par une
scandaleuse rébellion, lorsqu'en l'absence de Moïse ils adorèrent un veau d'or,
ce sage législateur, animé de zèle, prit le veau d'or, le brûla, le pulvérisa,
et les obligea d'en boire la cendre, pour confondre leur idolâtrie, en leur
faisant voir la vanité de leur idole. De là vient enfin que quelques princes
chrétiens, par une pratique toute sainte, quoiqu'elle n'ait pas été du goût du
monde, pour se former de la mort une idée plus vive, non contents de la
méditer, ont voulu se la rendre sensible et palpable ; et que les uns, pendant
leur vie même, ont fait placer dans leur palais la bière destinée à leur
sépulture ; les autres ont gardé, parmi leurs meubles les plus précieux, le
crâne d'un mort, qui semblait leur redire sans cesse : Memento, homo, quia
pulvis es, et in pulverem reverteris. Excellente dévotion pour les grands
du monde, qui, dans l'éclat de leur condition, éblouis eux-mêmes de la pompe
qui les environne, ne peuvent presque devenir humbles que par la pensée et le
souvenir de la mort.
Or, soit pour les grands, soit
pour les petits, quand une fois l'humilité a pris possession d'un cœur, il est
aisé d'y faire entrer la componction et la pénitence. Pourquoi ? non-seulement parce que le grand obstacle de la pénitence
est levé, j'entends ce fonds de présomption et d'orgueil avec lequel nous
naissons ; mais parce qu'à bien examiner les choses, l'humilité est en effet la
partie la plus essentielle de la conversion du pécheur. Car, du moment que je
suis disposé à m'humilier, dès là je le suis à m'accuser, à me condamner, à me
punir moi-même ; dès là je suis dans la voie de chercher Dieu, d'implorer la
miséricorde de Dieu, de satisfaire à la justice de Dieu, de me remettre sous
l'obéissance de la loi de Dieu : dispositions les plus nécessaires à la
pénitence chrétienne. Et voilà pourquoi l'Eglise, après nous avoir fait
considérer deux sortes de cendres, celle de notre origine, Memento quia
pulvis es, et celle de notre corruption future, et in pulverem
reverteris : la première, qui nous apprend que nous ne sommes que néant ;
et la seconde, qui nous dit que nous sommes encore quelque chose de moins, ou
plutôt quelque chose de plus mauvais, puisque nous ne sommes que péché : après,
dis-je, nous avoir mis devant les yeux cette double cendre, nous en impose une
troisième, qui se rapporte parfaitement à l'une et à l'autre, savoir, la cendre
de la pénitence.
Car que fait le pécheur quand il
reçoit aujourd'hui, par les mains du prêtre, la cendre qui lui est présentée
(apprenez, mes chers auditeurs, à vous acquitter en chrétiens de ce devoir
chrétien), que fait le pécheur converti, quand il reçoit cette cendre consacrée
à la pénitence? C'est comme s'il disait à Dieu : Oui, je veux, Seigneur,
accomplir dès à présent en esprit ce que vous achèverez bientôt d'accomplir
réellement et en effet. Vous avez résolu, pour la punition de mon péché, de me
réduire un jour en cendres, et j'en viens faire dès aujourd'hui moi-même
l'essai. Je préviens l'arrêt de votre justice, et je l'exécute déjà. Ces
cendres, dans l'ordre de vos divins décrets, doivent être une partie de la
satisfaction et de la vengeance que vous voulez tirer de moi: commencez, sans
attendre davantage, à vous satisfaire, Seigneur, et à vous venger; car me voilà
couvert de cendres. Il est vrai que cène sont pas encore les cendres de la
mort; mais au moins sont-ce les cendres de la pénitence, qui est une espèce de
mort, bien plus propre à vous fléchir et à vous apaiser que la mort même.
Apaisez-vous donc, ô mon Dieu, en voyant ces cendres, qui ne sont que les
signes extérieurs de l'humiliation et de la contrition de mon âme; et faites
que la pénitence me rende auprès de vous ce bon office de prévenir dans moi
l'effet de la mort, c'est-à-dire de me soumettre volontairement et librement à
votre justice adorable, avant que la mort m'y soumette par cette inévitable
nécessité dont le souvenir, quoique amer, m'est si salutaire: Memento, homo,
quia pulvis es, et in pulverem reverteris.
Voilà, Chrétiens, les sentiments
qu'une âme vraiment touchée conçoit en ce jour au pied des autels ; et il faut
toujours reconnaître que ce souvenir de la mort est un admirable moyen pour
préparer à la pénitence les pécheurs les plus orgueilleux. En effet, nous
voyons que ce moyen, en certaines occasions, ménagé avec
189
prudence et avec vigueur, a opéré
des changements qui parurent comme des miracles de la grâce. Et ne fut-ce pas
ainsi que saint Ambroise dompta, si j'ose me servir de ce terme, la fierté de
Théodose, et qu'après la sanglante journée de Thessalonique, il le rangea à
Tordre de la pénitence, et de la rigoureuse discipline qui s'observait alors
dans l'Eglise? « Peut être, lui dit-il, ô empereur! (car
c'est la remontrance qu'il lui fit, rapportée par Théodoret ; je n'y ajouterai
rien, et je n'en fais qu'une traduction simple et fidèle;) peut-être, ô
empereur! cette souveraine puissance que vous exercez dans le monde est-elle
comme un nuage épais qui obscurcit votre raison, et qui vous empêche de voir l’énormité
de votre péché. Mais pour dissiper ce nuage, considérez le commencement et la
fin de toute votre grandeur, c'est-à-dire considérez cette cendre dont vous
avez été formé, et où vous êtes prêt à retourner ; et alors je me promets tout
de votre religion. Avouez qu'assis sur le trône, vous ne laissez pas d'être
homme, un homme rempli de misères et sujet à la mort. Avouez que ces hommes qui
vous révèrent et qui tremblent devant vous sont de même nature que vous ; et
puisque vous clés mortel et pécheur comme eux, pensez connue eux à vous
humilier devant ce Dieu de majesté, auprès de qui vous ne devez point espérer
grâce, si vous ne vous hâtez de détourner son courroux par votre pénitence et
par vos larmes. » Ces paroles émurent Théodose : il se prosterna aux pieds de
saint Ambroise ; il pleura son crime, il le détesta ; et tout empereur qu'il
était, il en fit la pénitence la plus exemplaire et la plus édifiante. Pourquoi?
parce qu'on lui fit connaître ce qu'il était et ce
qu'il devait être un jour : Memento , quia pulvis es, et in pulverem
reverteris. Or, si l'on en usait ainsi avec tous les grands du siècle qui
vivent dans le dérèglement des mœurs, et qu'on leur répétât souvent qu'ils
doivent mourir, que l'arrêt qui les y condamne est sans appel, que pendant
qu'ils abusent des biens de la vie et qu'ils se laissent emporter au torrent de
leurs passions, la mort s'avance à grands pas; qu'elle n'aura nul égard à tout
ce faste qui les accompagne; mais que la dernière de toutes les humiliations,
qui consiste à devenir poussière et cendre, est le sort infaillible qui les
attend ; et qu'au même temps que la mort leur fera subir toute la rigueur de sa
loi, elle les conduira devant ce Juge redoutable qui doit rendre à chacun selon
ses œuvres : si ceux qui les approchent leur tenaient souvent ce langage, quelque
endurcis dans le péché que nous nous les figurions, ils penseraient à se
convertir. Ce qui les entretient dans l'impénitence, c'est un profond oubli de
celte grande et incontestable vérité : c'est qu'au lieu de leur parler de leur
misère et de leur faiblesse, on ne leur parle que de leur grandeur et de leur
pouvoir; c'est qu'au lieu de les faire souvenir de la mort, on les flatte sans
cesse d'une prétendue immortalité de gloire ; c'est qu'au lieu de leur dire
qu'ils sont hommes, on voudrait presque leur faire accroire qu'ils sont des
dieux.
Mais il ne s'agit pas seulement
ici de la conversion des grands ; il s'agit, mes chers auditeurs
, de la vôtre et de la mienne, qui n'est peut-être ni moins difficile ni
moins éloignée. Car, pour être peu de chose dans le monde, on n'est pas exempt
de la corruption de l'orgueil ; et l'orgueil, dans une condition médiocre, est
encore, selon l'Ecriture, plus réprouvée de Dieu. Cependant, Chrétiens, tel est
souvent notre caractère, et voilà le désordre affreux qui doit être aujourd'hui
le sujet de notre confusion. Malgré l'anéantissement où nous réduit la mort,
malgré l'aveu solennel que nous en faisons dans la cérémonie des cendres, nous
ne laissons pas d'être pleins d'estime pour nous-mêmes, et, par une funeste
conséquence, d'être entêtés, d'être infatués, d'être enivrés de l'amour de
nous-mêmes. Malgré le soin que prend l'Eglise de nous retracer et de nous
imprimer vivement ces vérités mortifiantes et tout ensemble vivifiantes :
mortifiantes selon l'homme, vivifiantes selon Dieu, nous n'en sommes ni plus
morts à nous-mêmes, ni plus détachés de nous-mêmes. Dieu, dit le Prophète
royal, nous humilie dans ce jour d'affliction, en nous couvrant de l'ombre de
la mort : Humiliasti nos in loco afflictionis, et cooperuit nos umbra mortis
(1) : mais renversant les desseins de Dieu, plus nous paraissons humiliés,
moins nous sommes humbles; plus l'ombre de la mort nous couvre, moins le
souvenir de la mort nous convertit. Combien de chrétiens hypocrites (car
pourquoi craindrais-je de les qualifier de la sorte, lorsque je vois une si
monstrueuse opposition entre ce qu'ils professent au dehors et ce qu'ils cachent
dans l'âme?), combien de chrétiens, et peut-être de ceux qui m'écoutent, ont
reçu la cendre de la pénitence avec des cœurs pleins d'ambition, avec des cœurs
vains, avec des cœurs durs et incirconcis, avec des cœurs rebelles au
Saint-Esprit! Or, cela même, n'est-ce pas une hypocrisie grossière? Combien
190
de femmes mondaines et criminelles
ont paru devant les autels pour y recevoir cette cendre, mais y ont paru avec
toutes les marques de leur vanité, avec tout l'étalage de leur luxe , et, ce
qui en est comme inséparable, avec toute l'enflure de leur orgueil! Or, en de
telles dispositions , ont-elles eu l'esprit de la
pénitence ; et n'ayant eu que l'extérieur de la pénitence, sans en avoir
l'esprit, ne sont-elles pas du nombre des hypocrites que condamne aujourd'hui
le Fils de Dieu dans l'Evangile? Ce sont néanmoins, me direz-vous, des femmes réglées , et du reste, hors la vanité qui les possède,
irréprochables dans leur conduite : mais, Chrétiens, jugerons-nous toujours des
choses selon les fausses idées du monde, et jamais selon les pures maximes de
la loi de Dieu? Appelez-vous femmes réglées celles qui n'ont pour principe de
toutes leurs actions que l'amour d'elles-mêmes? appelez-vous
femmes irréprochables celles qui voudraient n'être au monde que pour y être
adorées et idolâtrées? appelez-vous simple vanité
celle qui exclut et qui bannit d'une âme deux vertus les plus nécessaires au
salut, savoir, l'humilité et la pénitence? Terre, terre, disait le Prophète,
écoutez la voix du Seigneur : Terra , terra,
audi vocem Domini; c'est-à-dire : Pécheurs, qui, formés de la terre, devez
bientôt retourner dans le sein de la terre ; vous cependant qui oubliez ce que
vous êtes, et qui vivez tranquilles dans l'état de votre péché, écoutez Dieu
qui vous parle par ma bouche, et ne méprisez pas sa voix. Pour faire de dignes
fruits de pénitence, humiliez-vous sous sa toute-puissante main : Humiliamini
sud potenti manu Dei (1) ; et que cette humiliation ne soit pas seulement
extérieure et superficielle, mais qu'elle pénètre jusque dans l'intérieur de
vos âmes. Déchirez vos cœurs, et non point vos vêtements : Scindite corda vestra , et non vestimenta vestra (2), et ne ressemblez
pas à celui que le Saint-Esprit réprouve dans ces paroles : Est qui nequiter
se humiliat, et interiora ejus plena sunt dolo (3). Tel s'humilie en
apparence, dont le cœur est rempli de mensonge et d'artifice; tel prend la
cendre de la pénitence, qui, sous cette cendre et sous un visage de pénitent,
entretient un orgueil de démon ; tel dit : Je suis poudre et je serai poudre,
qui voudrait, s'il était possible, s'élever comme Lucifer au dessus des cieux.
Préservons-nous de cette malédiction par l'humilité et la sincérité de notre
conversion. C'est ce que la voix du Seigneur
vous fait entendre. Ecoutez-la, et
respectez-la: Terra , terra , audi vocem
Domini. Mais elle vous dit encore qu'outre le sacrifice du vos esprits par
l'humilité, la pénitence demande le sacrifice de vos corps par la
mortification; et j'ajoute que rien ne doit plus vous faciliter ce second
sacrifice que le souvenir de la mort et la vue des cendres : c'est la seconde
partie.
DEUXIÈME PARTIE.
C'est une illusion dont l'esprit
du monde, cet esprit de mollesse , a voulu de tout temps se prévaloir, de
croire que la pénitence soit une vertu purement intérieure , et qu'elle
n'exerce son empire que sur les puissances spirituelles de notre âme ; qu'elle
se contente de changer le cœur, qu'elle n'en veuille qu'à nos vices et à nos
passions, et qu'elle puisse être solidement pratiquée, sans que la chair s'en
ressente , ni qu'il en coûte rien à cet homme extérieur et terrestre qui fait
partie de nous-mêmes. Si cela était, dit saint Chrysostome, il faudrait
retrancher de l'Ecriture des livres entiers, où l'Esprit de Dieu a confondu sur
ce point la prudence charnelle, par da témoignages aussi contraires à notre
amour-propre , que la vérité est opposée à l'erreur. Il faudrait dire que saint
Paul ne l'entendait pas, et qu'il concevait mal la pénitence chrétienne, quand
il enseignait qu'elle doit faire de nos corps des hosties vivantes : Exhibeatis
corpora vestra hostiam viventem (1) ; quand il voulait que cette vertu même
allât jusqu'au crucifiement de la chair : Qui sunt Christi, carnem suam
crucifixerunt cum vitiis et concupiscentiis (2); quand il recommandait aux
fidèles, on plutôt quand il leur faisait une loi de porter sensiblement et
réellement dans leurs corps la mortification de Jésus-Christ : Semper mortificationem
Jesu in corpore vestro circumferentes (3); enfin quand, pour leur donner
l'exemple, il matait lui-même son corps, et le réduisait en servitude;
craignant, ajoutait-il, qu'après avoir prêché aux autres la pénitence et ne la
pratiquant pas, il ne devînt un réprouvé : Castigo corpus meum, et in
servitutem redigo ; ne forte cum aliis prœdicaverim, ipse reprobus efficiar
(4).
Je sais que l'hérésie, avec sa
prétendue réforme , n'a pu s'accommoder de ces pratiques extérieures ; et
qu'après avoir anéanti la pénitence dans ses parties les plus essentielles, en
lui ôtant et la confession et la contrition
191
même du péché, au moins ne les
admettant pat comme nécessaires, elle a encore trouvé moyen de l'adoucir, en
rejetant comme inutiles les œuvres satisfactoires, en abolissant le précepte du
jeûne, et en traitant de faiblesses il de folies toutes les austérités des
Saints. Mais il suffit que ce soient les ennemis de l'Eglise qui en aient jugé
de la sorte, pour ne pas suivre l'attrait pernicieux d'une doctrine aussi
capable que celle-là, de séduire les âmes il de les corrompre. Non, Chrétiens,
de quelque manière que nous prenions la chose, il n'y a point de véritable
pénitence sans la mortification du corps; et tandis que nos corps, après le
péché, demeurent impunis , tandis qu'ils ne subiront
pas les châtiments qu'un saint zèle de venger Dieu nous oblige à leur imposer,
jamais nos cœurs ne seront bien convertis, ni jamais Dieu ne se tiendra
pleinement satisfait. Depuis que le Sauveur du monde a fait pénitence pour nous
aux dépens de sa chair adorable, il est impossible, dit saint Augustin, que
nous la fassions autrement nous-mêmes. Il faut que nous accomplissions dans
notre chair ce qui manque, par un admirable secret de la sagesse de Dieu, aux
satisfactions et aux souffrances de notre divin Médiateur. Puisque c'est dans
notre chair que le péché règne, comme parle saint Paul, c'est dans notre chair
que doit régner la pénitence ; car elle doit régner partout où règne le péché. Nos corps, par une malheureuse contagion , et par
l'intime liaison qu'ils ont avec nos âmes, deviennent les complices du péché,
servent d'instrument au péché, sont souvent l'origine et la source du péché,
jusque-là que le même apôtre ne craint point de les appeler des corps de péché
: Corpus peccati (1) ; comme si le péché était en effet incorporé dans
nous , et que nos corps fussent par eux-mêmes des substances de péché :
expression dont abusaient autrefois les manichéens, mais qui, dans le sens
orthodoxe , ne signifie rien davantage que des corps sujets au péché, des corps
par où subsiste le péché, des corps où habite le péché. Nos corps, dis-je, ont
part au péché; il est donc juste qu'ils participent à l'expiation et à la
réparation du péché, qui se doit faire par la pénitence. Quoique la vertu et le
mérite de la pénitence soit dans la volonté,
l'exercice et l'usage de la pénitence doit consister en partie dans la
mortification du corps; et quiconque raisonne autrement, est dans l'erreur, et
s'égare. Voilà, mes chers auditeurs, la disposition où nous devons entrer
aujourd'hui, si nous voulons
profiter de la grâce que Dieu nous offre pendant ce saint temps d'abstinence et
de jeûne.
Or, à cette loi de pénitence
ainsi établie, s'oppose une autre loi que nous portons dans nous-mêmes , et qui est l'amour déréglé de nos corps. Amour
(concevez-en bien le progrès, pour en éviter le désordre et la corruption),
amour de tout ce qui nous paraît nécessaire, ou plutôt de tout ce qu'une
aveugle cupidité nous représente comme nécessaire pour l'entretien de nos
corps; amour de toutes les commodités que nous recherchons avec tant de soin,
et qui flattent nos corps; amour des délices de la vie , qui, par leur
superfluité et leurs excès, affaiblissent souvent, ou même détruisent nos
corps; amour des plaisirs défendus et des voluptés illicites, qui souillent nos
corps. Car ce sont là (confessons-le devant Dieu, Chrétiens, et apprenons au
moins à nous connaître par ce qu'il y a dans nous de plus grossier), ce sont là
les démarches d'une âme qui se dérègle, en se rendant esclave de son corps.
Elle ne va pas d'abord au crime ; mais sous ombre d'entretenir ce corps et de
pourvoir à ses besoins, du nécessaire elle passe au commode, du commode au
superflu, et du superflu au criminel; au lieu, dit saint Grégoire, pape, que la
pénitence, qui a pour but d'assujettir et de mortifier le corps, par une
conduite toute contraire, nous fuit d'abord renoncer au criminel que nous
avouons nous-mêmes criminel, ensuite, à mesure que nous avançons dans ses
voies, nous retranche le superflu, que nous prétendions innocent ; de là nous
prive même du commode, dont nous avions cru ne nous pouvoir passer ; enfin nous
ôte, non pas le nécessaire , mais l'attachement et l'attention trop grande au
nécessaire : excellente idée de la pénitence et de ses divers degrés. S'il y en
a où notre faiblesse n'ose encore espérer d'atteindre, du moins ne les ignorons
pas, et désirons d'y parvenir. Elle nous fait renoncer au criminel, c'est-à-dire
aux plaisirs impurs que la loi de Dieu nous défend, parce qu'il n'y a point de
péché plus opposé à la sainteté de Dieu, ni plus incompatible avec son esprit,
que l'impureté : Non permanebit Spiritus meus in homine, quia caro est (1).
Elle nous retranche le superflu, c'est-à-dire les délices delà vie,parce qu'il
n'y a rien de plus difficile à accorder ensemble qu'une vie molle et
l'innocence des mœurs, et que cette innocence, dit Job, ne se trouve point
parmi ceux qui ne pensent qu'à
192
satisfaire leurs sens : Non
invenitur in terra suaviter viventium (1). Elle nous prive du commode , c'est-à-dire des aises de la vie, qui, quoique
absolument permises, ne laissent pas de fomenter la rébellion de la chair; et
elle nous ôte même une trop grande attention au nécessaire, parce que c'est un
point de morale inconnu aux Saints, de prétendre ne souffrir rien, ne se
refuser rien, ne manquer de rien, et faire néanmoins pénitence. Mais ce que les
Saints ne comprenaient pas, est devenu un des secrets de la dévotion du siècle.
Car on peut dire que jamais siècle n'a parlé avec plus d'ostentation que le
nôtre de la pénitence sévère, ni n'a porté plus loin dans la pratique le
raffinement sur tout ce qui s'appelle vie douce. Ne s'aveugle-t-on pas même
quelquefois jusqu'à se faire un devoir de ménager son corps? ne
va-t-on pas jusqu'à se persuader qu'on est nécessaire au monde, et que c'est
une raison supérieure pour se dispenser des lois les plus communes de la
mortification chrétienne? Cependant l'Apôtre l'a dit, et il est vrai : la
pénitence, pour être parfaite, doit s'étendre jusqu'à la haine de soi-même: et
l'on ne peut bien réparer le péché qu'en crucifiant cette chair de péché, qui
est l'ennemi de Dieu : Qui sunt Christi, carnem suam crucifixerunt (2).
Or, le moyen d'arriver là? souvenons-nous de la mort, et considérons les cendres qu'on
répand aujourd'hui sur nos têtes ; c'est assez : Memento. Occupons-nous
de la pensée qu'il faut mourir , et rendons-nous-la
familière : Memento. Entrons , par de sérieuses
et de solides réflexions, dans le mystère de ces cendres : Memento : et
jamais l'esprit de mollesse ne l'emportera sur l'esprit de mortification,
Oui, Chrétiens
, le souvenir de la mort vous détachera peu à peu et presque malgré
vous-mêmes de l'amour de votre corps : comment cela ? en
vous faisant connaître là- dessus votre aveuglement et votre injustice. Votre
aveuglement : car dites-moi s'il en fut jamais un plus déplorable, que
d'idolâtrer un corps qui n'est que poussière et que corruption ; un corps
destiné à servir de pâture aux vers, et qui bientôt sera, dans le tombeau,
l'horreur de toute la nature ! Or voilà le terme de tous les plaisirs des sens
; c'est là que se réduisent toutes ces grâces extérieures de beauté, de santé,
de teint, d'embonpoint, qui vous font négliger les plus précieuses grâces du
salut; c'est là qu'elles vont aboutir : à un corps qui commence déjà à se
détruire, et qui, après un certain nombre
de jours, ne sera plus qu'un
affreux cadavre dont on ne pourra pas même supporter la vue, Ah! mes chers auditeurs, quelle indignité, qu'une âme chrétienne
capable de posséder Dieu s'attache à un sujet si méprisable ! Vous surtout,
Mesdames, à qui je parle, et qui avez de la piété, ne devez-vous pas gémir pour
ces personnes de votre sexe, qui semblent n'être sur la terre et n'avoir une
âme que pour servir leurs corps? Combien en voit-on dans le
christianisme uniquement appliquées à le parer, à le nourrir, à
l'embellir, à le plâtrer? Combien en feraient, s'il leur était possible,
l'idole du monde, et en font, sans y penser, une victime de l'enfer? Puisque ce
corps est quelque chose de si vil et de si abject, n'est-on pas bien plus sensé
de le mépriser, de le dompter, de l'assujettir, et de lui l'aire porter le joug
de la pénitence ! Pour peu que nous consultions et la raison et la foi, ne
doit-on pas rougir de se rendre si attentif à étudier ses goûts, de s'asservir
à ses appétits, et de lui donner honteusement tout ce qu'il demande, et souvent
plus qu'il ne demande?
Mais d'ailleurs quelle injustice
dans cet amour immodéré de notre corps, si nous envisageons la mort? Prenez
garde à ces trois pensées. Quelle injustice envers Dieu, ce Dieu éternel,
d'aimer plus que lui un corps sujet à la pourriture, et de l'aimer, comme dit
saint Paul, jusqu'à s'en faire une divinité! Quelle injustice envers notre âme,
cette âme immortelle, de lui préférer un corps qui doit mourir; et, tout
immortelle qu'elle est, d'abandonner sa félicité et sa gloire aux sales désirs
d'une chair corruptible! Quelle injustice envers ce corps même, de l'exposer
pour des voluptés passagères à des souffrances qui ne finiront jamais, et de
lui faire acheter un moment de plaisir par une éternité de supplices! Ah! mes Frères, s'écrie saint Chrysostome, faisant une
supposition qui vous surprendra, mais qui n'a rien dans le fond que de chrétien
et de solide; si le corps d'un réprouvé, maintenant enseveli dans le sein de la
terre, mais pour être un jour enseveli dans l'enfer, pouvait, au jugement de
Dieu, s'élever contre son âme et l'accuser, quel reproche n'aurait-il pas à lui
faire sur la cruelle indulgence dont elle a usé à son égard? Et si cette âme,
qui s'est perdue parce qu'elle a trop aimé son corps, pouvait, autrement que je
parle, revenir du lieu de son tourment, pour voir ce corps dans le tombeau,
quels reproches ne se ferait-elle pas à elle-même du criminel attachement,
qu'elle a eu
193
pour lui? Disons mieux, que ne se
reprocheraient-ils pas l'un à l'autre, si Dieu venait à les confronter? Permettez-moi
de pousser cette figure, qui, tout irrégulière et tout outrée
qu'elle peut paraître, vous fera plus vivement sentir la vérité que je vous prêche. Ame infidèle, dirait l'un,
deviez-vous me trahir de la sorte? fallait-il, pour me
rendre un moment heureux, me précipiter avec vous dans l'abîme d'une
éternelle damnation? fallait-il avoir pour moi une si
funeste condescendance? fallait-il déférer lâchement à
mes inclinations? ne les deviez-vous pas réprimer? ne deviez-vous pas prendre l'ascendant sur moi? que ne m'avez-vous condamné aux salutaires rigueurs de la
pénitence? pourquoi ne m'avez-vous pas forcé à vivre
selon les règles que Dieu vous obligeait à me prescrire? n'était-ce
pas pour cela qu'il m'avait soumis à vous ? Mais, corps rebelle et sensuel,
répondrait l'âme, à qui dois-je imputer ma perte, qu'à toi-même? je ne te connaissais pas; je me laissais séduire à tes
charmes, parce que je ne pensais ni à ce que lu avais été, ni à ce que tu
devais être. Si j'avais toujours eu en vue l'affreux état où la mort devait te
réduire, je n'aurais eu pour toi que du mépris; et dans la solide qui nous
unissait, je ne t'aurais regardé que connue le compagnon de mes misères, ou
plutôt comme le complice de mes crimes, obligé par là même à en partager avec
moi les châtiments et les peines.
En effet, Chrétiens, c'est de
tout temps ce qui a produit dans les âmes bien converties, non-seulement ce
mépris héroïque, mais celte sainte haine de leur corps : c'est ce qui a tant de
fois opéré dans le christianisme des miracles de conversion. Il n'en fallut pas
davantage à un François de Borgia, pour le
déterminer à quitter le monde : la vue du cadavre d'une reine et d'une
impératrice, qu'il eut ordre de faire solennellement inhumer, et qu'il ne
reconnut presque plus lorsqu'il fallut attester que c'était elle-même, tant
elle lui parut hideuse et défigurée, ce spectacle acheva de le persuader. Il ne
put voir cette beauté que la mort, par un changement si soudain et si
prodigieux, avait détruite, sans former la résolution de mourir lui-même à
toutes les vanités du siècle. L'image de la mort, en frappant ses jeux, lit
naître dans son cœur tous les sentiments de la pénitence. Car pourquoi, se
dit-il a lui-même et se sont dit comme lui les Saints, pourquoi traiter mollement
un corps condamné à la mort? Quand on a prononcé l'arrêt à un criminel, on ne
se met plus en peine de le bien nourrir : s'il faut encore le soutenir pendant
quelques heures, on se contente de lui donner le nécessaire, et l'on ne pense à
lui conserver la vie, que pour lui faire mieux sentir les douleurs de la mort.
Or, telle est la condition de nos corps : ce sont des criminels que la justice
divine a condamnés. L'arrêt en est porté, et l'on ne diffère l'exécution que de
quelques jours; mais ce sera bientôt. Il ne s'agit donc plus de leur procurer
des douceurs et de les flatter; il s'agit de les maintenir dans l'ordre de
cette justice rigoureuse à laquelle Dieu les a livrés : il s'agit de leur faire
déjà goûter la mort par la pratique de la pénitence, afin de les préserver de
cette seconde et dernière mort, bien plus terrible que la première, puisque
c'est une mort éternelle. Ainsi raisonne un pécheur pénitent. Memento, homo,
quia pulvis es, et in pulverem reverteris.
Mais cette haine de son corps est
encore bien plus vive, quand il vient à pénétrer dans le mystère des cendres
que l'Eglise lui présente : quand, remontant plus haut et jusques aux sources
mêmes de sa religion, il cherche l'origine d'une si sainte pratique, et qu'il
pense que ces cendres, qui dans l'une et dans l'autre loi ont toujours été le
symbole de la pénitence, n'étaient pas un symbole vide, ni une pure cérémonie :
quand il se représente les austérités et les macérations dont elles devaient
être-accompagnées, suivant les règles de l'ancienne discipline : quand ,
instruit par les prophètes, il apprend que le cilice et le jeûne, dans
l'observance commune des fidèles, étaient inséparables de la cendre : Accingere
cilicio, et conspergere cinere, filia populi mei * : quand il remarque dans
les conciles avec quelle sévérité l'on condamnait à des œuvres pénibles et
laborieuses ces sortes de pénitents que Tertullien appelait conciliati
et concinerati, couverts de cendres, quoique déjà réconciliés. Car
enfin, doit dire aujourd'hui dans l'amertume de son âme un homme touché de la
vue de ses désordres et de l'esprit de componction, ces pénitents de la
primitive Eglise n'étaient pas plus chargés de crimes, ni plus coupables que je
le suis, et ces cendres qu'on leur imposait ne devaient pas être pour eux un
engagement plus étroit à la pénitence, qu'elles le doivent être pour moi. Il
serait donc bien étrange que j'en fisse un usage tout différent; et que cette
cérémonie ayant été à leur égard un exercice de mortification, et de la plus
réelle, de la plus
194
dure mortification, elle n'en fût
pour moi que l'apparence et que l'ombre. Il serait bien indigne, après avoir
reçu ces cendres, de penser encore aux divertissements et aux joies profanes du
monde ; et, comme parlait un solitaire, de chercher jusque dans la cendre de la
pénitence les délices de la vie.
Car quoique nous ne soyons plus à
ces premiers siècles, où les pécheurs achetaient si cher la grâce de leur
absolution et de leur réconciliation, nous n'en devons pas moins satisfaire à
Dieu. L'Eglise a pu adoucir les peines qu'elle avait ordonnées pour chaque
espèce de péché : mais elle n'a rien relâché des peines prescrites par le droit
divin, et Dieu lui-même nous assure qu'il ne s'en relâchera jamais qu'en faveur
de la pénitence. Il faut donc que ce soit la pénitence qui m'acquitte auprès de
lui. Et comme il s'agit de son intérêt, qui maintenant ou après la mort doit
être pleinement réparé, il faut que je prenne le bon parti, et que par la
pénitence de cette vie je m'épargne la pénitence de l'autre. Il faut qu'en
m'imposant des peines volontaires, qu'en me privant de certains plaisirs, même
permis, qu'en me faisant quelques violences, qu'en me réduisant à une vie plus
exacte et plus réglée, et qu'unissant enfin ma pénitence à la pénitence de
Jésus-Christ, je prévienne les affreux châtiments que Dieu réserve à ceux qui
refusent de se punir eux-mêmes. Ah! mon Dieu, que
votre miséricorde est adorable, de nous en quitter à ce prix, de vouloir bien
accepter l'un en échange de l'autre, et de nous remettre ainsi pour une
pénitence temporelle une pénitence éternelle !
Prenons, mes chers auditeurs, des
sentiments si raisonnables : ce sont ceux que nous doit inspirer la cérémonie
des cendres. Si nous entrons dans ce carême bien pénétrés de ces vérités, le
jeûne ne sera plus un joug trop pesant pour nous, comme il l'est pour les
chrétiens lâches; beaucoup moins un sujet de scandale et de péché, comme il
l'est pour les libertins. Nous l'entreprendrons avec joie, nous le continuerons
avec ferveur, et nous l'achèverons avec constance. Heureux de nous trouver
engagés par un précepte à ce qui nous est d'ailleurs si utile et si nécessaire,
nous ne ferons point tant les délicats; mais pour peu que nous soyons disposés
à nous faire justice, nous avouerons que si le jeûne nous paraît impossible,
cette impossibilité prétendue n'est qu'un pur défaut de notre volonté. Nous ne
raisonnerons point tant sur notre santé, ni sur notre tempérament; mais nous
nous souviendrons que nous sommes enfants de l'Eglise et pécheurs devant Dieu :
enfants de l'Eglise, et par conséquent que nous devons lui obéir : pécheurs
devant Dieu, et par conséquent que nous devons l'apaiser. Car c'est là de quoi
nous rendrons compte à Dieu, dit saint Bernard, ou de quoi nous devons nous rendre
compte à nous-mêmes; ayant plus d'égard à notre état et à notre profession,
qu'à nos forces et à notre complexion : Non de complexione judicandum, sed
de professione. Nous ne nous prévaudrons point, pour rompre le jeûne, d'une
indisposition légère, puisque suivant cette règle la loi du jeûne deviendrait
une loi chimérique, et qu'il n'y aurait plus personne dans le christianisme qui
n'en fût exempt. Nous ne craindrons pas même en l'observant de nous incommoder,
puisqu'il est vrai que si le jeune ne nous incommodait en rien, il ne serait
plus ce qu'il doit être. Nous ne demanderons plus de fausses dispenses,
persuadés qu'on ne trompe point Dieu, et que toutes les dispenses des hommes ne
sont rien, si elles ne sont reçues et autorisées de Dieu. Bien loin de nous
plaindre que l'Eglise en établissant le jeûne du carême, ou, comme il est plus
vraisemblable, en nous le proposant et nous l'expliquant, ait trop exigé de
nous; nous serons surpris qu'elle nous ait tant ménagés, et nous aurons honte
que ce soit notre lâcheté qui l'ait en quelque sorte réduite à nous traiter
avec tant d'indulgence. Ce n'est pas assez; et après avoir rempli ce que
l'Eglise nous ordonne dans le commandement du jeûne, nous ne croirons pas avoir
pour cela satisfait au précepte naturel de la pénitence. Nous ferons état que
ce qu'elle a réglé ne nous exempte pas de ce qu'elle a du reste abandonné à notre prudence et à notre zèle. Et c'est ainsi
que la pensée de la mort et la vue des cendres servira à humilier notre
orgueil, à mortifier notre délicatesse; et que l'humilité nous conduira à la
vraie gloire, et la pénitence au souverain bonheur, que je vous souhaite, etc.