Ier DIMANCHE- EPIPHANIE

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VOLUME II
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ESSAI SAINT-SACREMENT

SERMON POUR LE PREMIER DIMANCHE APRÈS L'EPIPHANIE.

 

SUR LE DEVOIR DES PÈRES PAR RAPPORT A LA VOCATION DE LEURS ENFANTS.

 

ANALYSE.

 

Sujet. La mère de Jésus-Christ lui dit : Mon fils, pourquoi en avez-vous usé de la sorte avec nous? Votre père et moi, nous vous cherchions avec beaucoup d'inquiétude. Il leur répondit : Pourquoi me cherchiez-vous ? ne savez-vous pas qu'il faut que je m'emploie aux choses qui regardent mon Père? Et ils ne comprirent pas ce qu'il leur dit.

Le Sauveur du monde, dans cette réponse qu'il fit à Marie, apprend aux pères et aux mères comment ils doivent se conduire à l'égard de leurs enfants, surtout en ce qui concerne le choix de l'état où Dieu les appelle.

Division. Il n'appartient pas aux pères de disposer de leurs enfants en ce qui regarde leur vocation et le choix qu'ils ont à faire d'un état : première partie. Les pères néanmoins sont responsables à Dieu du choix que font leurs enfants et de l'état qu'ils embrassent : deuxième partie.

Première partie. Il n'appartient pas aux pères de disposer de leurs enfants en ce qui regarde leur vocation et le choix qu'ils ont à faire d'un état. Un père qui veut se rendre maître de la vocation de ses enfants commet deux injustices, l'une envers Dieu, l'autre envers ses enfants.

1° Injustice envers Dieu, parce qu'il n'appartient qu'à Dieu de décider de la vocation des hommes : pourquoi? deux raisons: c'est qu'il est le premier père de tous les hommes, et c'est qu'il n'y a que sa providence qui puisse bien s'acquitter d'une fonction aussi importante que celle de marquer aux hommes leur vocation. Il est le premier père, et c'est la qualité qu'il prend dans l'Ecriture. Il est même, remarque saint Grégoire, le seul père que nous reconnaissions selon l'esprit, et par conséquent le seul qui ait droit d'exercer sur les esprits et les volontés des hommes cette supériorité de conduite qui fait l'engagement de la vocation. Aussi tous les maîtres de la morale chrétienne ont-ils toujours regardé comme une offense griève d'embrasser un état sans la

 

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vocation de Dieu, et c'est à cette vocation que sa grâce est attachée. De plus, il n'y a que Dieu qui puisse bien appliquer les hommes à un emploi et leur assigner la condition qui leur convient, parce qu'il n'y a que lui qui puisse connaître les voies de leur salut et de leur prédestination éternelle. C'est donc une témérité insoutenable dans un père de disposer d'un enfant; soit pour l'Eglise, soit pour le monde; et il ne le peut faire sans blesser les droits de Dieu. N'est-ce pas néanmoins ce qu'on fait tous les jours?

2° Injustice envers les enfants, parce qu'il est du droit naturel et du droit divin que celui-là choisisse lui-même son état, qui en doit porter les charges et accomplir les obligations. Là où il s'agit de vocation, il s'agit de salut. Or, dès qu'il s'agit du salut, point d'autorité du père sur le fils, parce que tout y est personnel. Un père, comme on le dira dans la suite, peut bien redresser le choix d'un enfant par de sages avis et même par la force de l'autorité paternelle, si cet enfant choisit mal; mais du reste, il ne peut disposer absolument de sa personne. Quels reproches recevront un jour là-dessus de la part de leurs enfants tant de pères et de mères!

Deuxième partie. Les pères sont responsables à Dieu du choix que font leurs enfants, et de l'état qu'ils embrassent. Car ils doivent intervenir à ce choix comme directeurs et comme surveillants, puisque Dieu leur a donné ce droit de direction et de surveillance. Ainsi, un enfant ne peut contracter un engagement, un mariage, sans l'aveu et la participation de son père; et si le fils veut prendre un parti qui, selon Dieu, lui soit pernicieux, le père est non-seulement en pouvoir, mais dans l'obligation de s'y opposer.

Afin de mieux entendre ce point, il faut remarquer que le choix d'un état peut être mauvais en trois manières : ou par lui-même, ou par l'incapacité du sujet qui s'y engage, ou par les voies qu'il prend pour y entrer.

1° Choix d'un état mauvais par lui-même, pane que l'état est contraire au salut, ou du moins très-dangereux pour le salut. Il est évident qu'un père doit faire tous ses efforts pour en détourner un enfant; et si par des vues d'intérêt il est le premier à l'y porter, il se rend coupable devant Dieu, et il répondra à Dieu de la perte de son fils.

2° Choix mauvais par l'incapacité du sujet, parce qu'il n'a pas les qualités requises pour l'état qu'il embrasse. Un père qui connaît cette indignité est criminel de mettre son fils dans une place dont il ne pourra remplir les devoirs. Toutefois rien n'est plus ordinaire aux pères que d'établir ainsi leurs enfants, et de là tant de désordres.

3° Choix mauvais par rapport aux moyens d'entrer dans un état, et aux voies qu'on prend pour cela. Il y a des moyens injustes, et ne sont-ce pas souvent ceux dont un père se sert pour avancer un fils qu'il aime? Abus qu'on ne peut trop condamner, et qui fera tout ensemble la réprobation des pères et des enfants.

Ce n'est pas qu'il ne soit permis aux pères et aux mères de procurer à leurs enfants des emplois convenables. Mais leur premier soin doit être de les perfectionner et de les rendre dignes des emplois qu'ils leur procurent. Cette éducation des enfants leur coûtera bien des soins et bien des peines ; mais ce sera aussi pour eux un grand fonds de mérites auprès de Dieu.

 

Et dixit mater ejus ad illum : Fili, quid fecisti nobis sic ? Ecce pater tuus et ego, dolentes quœrebamus te. Et ait ad illos : Quid est quod me quœrebatis? nesciebatis, quia in his, quœ Patris mei sunt, oportet me esse ? Et ipsi non intellexerunt verbum quod locutus est ad eos.

 

La mère de Jésus-Christ lui dit : Mon fils, pourquoi en avez-vous usé de la sorte avec nous ? Voire père et moi nous vous cherchions avec beaucoup d'inquiétude. Il leur répondit : Pourquoi me cherchiez-vous ? ne savez-vous pas qu'il faut que je m'emploie aux choses qui regardent mon Père ? Et ils ne comprirent pas ce qu'il leur dit. (Saint Luc, chap. II, 48-50.)

 

C'est la réponse que l'Enfant-Jésus fit à Marie , lorsqu'après l'avoir cherché pendant trois jours, elle le trouva dans le temple de Jérusalem. Réponse qui pourrait nous surprendre, et qui peut-être nous paraîtrait trop sévère et trop forte, si nous ne savions pas qu'elle fut toute mystérieuse. Car le Fils de Dieu, dit saint Ambroise, reprit sa mère en cette occasion, parce qu'elle semblait vouloir disposer de sa personne , et s'attribuer un soin qui n'était pas de son ressort. Ainsi l'a pensé ce saint docteur; mais comme cette opinion, Chrétiens, n'est pas tout à fait conforme à la haute idée que nous avons tous de l'irrépréhensible sainteté de la Hère de Dieu , adoucissons la pensée de saint Ambroise, et contentons-nous de dire que, dans l'exemple de Marie, le Sauveur du monde voulut donner aux pères et aux mères une excellente leçon de la conduite qu'ils doivent tenir à l'égard de leurs enfants, surtout en ce qui regarde le choix de l'état où Dieu les appelle. Ce sujet, mes chers auditeurs, est d'une conséquence infinie ; et, tout borné qu'il paraît, vous le trouverez néanmoins dans l'importante morale que je prétends en tirer, si général et si étendu, que de toute cette assemblée, il y en aura peu à qui il ne puisse convenir, et qu'il ne puisse édifier. Il est bon de descendre quelquefois aux conditions particulières des hommes, pour y appliquer les règles universelles de la loi de Dieu. Or, c'est ce que je fais aujourd'hui. Car, en expliquant aux pères et aux mères ce qu'ils doivent à leurs enfants, et aux enfants ce qu'ils doivent à leurs pères et à leurs mères, dans une des plus grandes affaires de la vie, qui est celle de la vocation et de l'état, je ferai comprendre à tous ceux qui m'écoutent ce que c'est que la vocation, quelles maximes on doit suivre sur la vocation, ce qu'il faut craindre dans ce qui s'appelle vocation, ce qu'il y faut éviter et ce qu'il y faut rechercher. Nous avons besoin pour cela des lumières du Saint-Esprit : demandons-les par l'intercession de sa divine épouse. Ave, Maria.

 

N'est-il pas étrange, Chrétiens, que Marie et Joseph, comme le remarque saint Luc dans les paroles mêmes de mon texte, ne comprissent pas le mystère, et n'entendissent pas le Fils de Dieu, quand, pour leur rendre raison de ce qu'il avait fait dans le temple, il leur dit que son

 

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devoir l'obligeait de vaquer aux choses dont son Père l'avait chargé? Que Joseph n'ait pas tout à fait pénétré le sens de cette réponse, j'en suis moins surpris; car, tout éclairé qu'il pouvait être par les fréquentes et intimes communications qu'il eut avec Jésus-Christ, il n'était pas nécessaire qu'il connût tous les mystères de l'incarnation divine. Mais ce qui doit nous étonner, c'est que Marie , après avoir reçu la plénitude de toutes les grâces et de toutes les lumières célestes, après avoir conçu dans son sein le Verbe incarné, ait paru ignorer un des points les plus essentiels de la mission de cet Homme-Dieu et de son avènement sur la terre. Ne nous arrêtons point, mes chers auditeurs, à éclaircir cette difficulté, et laissons aux interprètes le soin de la résoudre. Voici ce qui doit encore plus nous toucher, et ce qui demande , s'il vous plaît, une réflexion toute particulière. En effet, si Marie et Joseph ne comprirent pas ce que leur disait le Sauveur des hommes touchant les emplois où il était appelé de son Père, n'est-il pas vrai que la plupart des pères et des mères dans le christianisme n'ont jamais bien compris leurs obligations les plus indispensables par rapport à la disposition de leurs enfants, et en matière d'état et de vocation? 11 est donc d'une extrême importance qu'on les leur explique, et voilà ce que j'entreprends dans ce discours. Prenez garde, je vous prie : je ne veux point entrer dans l'intérieur de vos familles ; je ne viens point vous donner des règles pour les gouverner en sages mondains. Vous me diriez, et avec raison, que cela n'est pas de mon ministère : mais s'il y a quelque chose dans le gouvernement de vos familles où la religion et la conscience soient intéressées , n'est-ce pas à moi de vous en instruire? Or, je prétends qu'il y a deux choses que vous ne savez point assez, et qu'il vous est néanmoins, non-seulement utile, mais d'une absolue nécessité de bien apprendre. Ecoutez-les. Je dis qu'il ne vous appartient pas de disposer de vos enfants en ce qui regarde leur vocation , et le choix qu'ils ont à faire d'un état. Et j'ajoute toutefois que vous êtes responsables à Dieu du choix que font nos enfants, et de l'état qu'ils embrassent. Il semble d'abord que ces deux propositions se contredisent; mais la suite vous fera voir qu'elles s'accordent parfaitement entre elles. Dieu ne veut pas que de vous-mêmes et de votre pleine autorité, vous déterminiez à vos enfants l'état où ils doivent s'engager; c'est la première partie. Et Dieu  cependant vous demandera compte de l'état où vos enfants s'engagent ; c'est la seconde. Toutes deux feront le partage de cet entretien, et le sujet de votre attention.

 

PREMIÈRE PARTIE.

 

Il n'appartient qu'à Dieu de disposer absolument de la vocation des hommes; et il n'appartient qu'aux hommes de déterminer,chacun avec Dieu, ce qui regarde le choix de leur état et de leur vocation. Ce principe est un des plus incontestables de la morale chrétienne. D'où je conclus qu'un père, dans le christianisme, ne peut se rendre maître de la vocation de ses enfants, sans commettre deux injustices évidentes : la première, contre le droit de Dieu ; la seconde au préjudice de ses enfants mêmes : l'une et l'autre , sujettes aux conséquences les plus funestes en matière de salut. Voilà le point que je dois maintenant développer, et en voici les preuves.

Je dis qu'il n'appartient qu'à Dieu de décider de la vocation des hommes : pourquoi? parce qu'il est le premier père de tous les hommes, et parce qu'il n'y a que sa providence qui puisse bien s'acquitter d'une fonction aussi importante que celle-là. Ce sont deux grandes raisons qu'en apporte le docteur angélique saint Thomas. Si je suis père, disait Dieu par le prophète Malachie, ouest l'honneur qui m'est dû : Si pater ego sum, ubi est honor meus (1)? C'est-à-dire, pour appliquera mon sujet ce reproche que faisait le Seigneur à son peuple, si je suis père par préférence à tous les autres pères, où est le respect que l'on me rend en cette qualité? où est la marque de ma paternité souveraine, si les autres pères me la disputent, et si je ne dispose plus de ceux à qui j'ai donné l'être, pour les placer dans le rang et dans la condition de vie qu'il me plaira? Vous entreprenez, ô homme, de le faire : qui vous en a donné le pouvoir? Dans une famille dont je ne vous ai confié que la simple administration, vous agissez en maître, et vous ordonnez de tout selon votre gré. Vous destinez l'un pour l'Eglise et l'autre pour le monde : celle-ci pour une telle alliance, et celle-là pour la religion; et il faut, dites-vous, que cela soit, parce que les mesures en sont prises. Mais avec quelle justice parlez-vous ainsi? Je n'ai donc plus que le nom de père, puisque vous vous en attribuez toute la puissance. C'est donc en vain que vous me témoignez quelquefois que ces enfants sont plus à moi qu'ils ne sont à vous : car s'ils sont à moi plus qu'à vous, ce n'est pas à vous, mais

 

1 Malach., I, 6.

 

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à moi, d'avoir la principale et essentielle direction de leurs personnes.

Ajoutez à cela, Chrétiens, la réflexion de saint Grégoire, pape, que non-seulement Dieu est le premier père de tous les hommes, mais qu'il est le seul que les hommes reconnaissent selon l'esprit ; et par conséquent que c'est à lui, et non point à d'autres, d'exercer sur les esprits et sur les volontés des hommes cette supériorité de conduite ou plutôt d'empire qui fait l'engagement de  la vocation.   Quand la mère des Machabées vit ses enfants entre les mains des bourreaux souffrir avec tant de constance, elle leur dit une belle parole que nous lisons dans l'Ecriture. Ah ! mes chers enfants, s'écria-t-elle,   ce   n'est pas moi qui vous ai donné une âme si héroïque : cet esprit si généreux qui vous anime n'a point été formé de ma substance ; c'est du souverain Auteur du monde que vous l'avez reçu : Neque enim ego spiritum et  animam  donavi vobis (1). Je  suis votre mère selon la chair; mais la plus noble partie de vous-même, qui est l'esprit, est immédiatement l'ouvrage de Dieu. Ainsi leur parla cette sainte femme. Or de là, chrétienne compagnie, il s'ensuit que Dieu seul est en droit de déterminer aux hommes leurs vocations et leurs états : pourquoi? parce que c'est proprement en cela que consiste ce domaine qu'il a sur les esprits. Un père sur la terre peut disposer de l'éducation de ses enfants, il peut disposer de leurs biens et de leurs  partages ; mais de leurs personnes, c'est-à-dire de ce qui porte avec soi engagement d'état, il n'y a que vous, ô mon Dieu ! disait le plus sage des hommes, Salomon, il n'y a que vous qui en soyez l'arbitre ; c'est un droit qui vous est réservé : Tu autem cum magna reverentia disponis nos (2). Expression admirable, et qui renferme un sentiment encore plus digne  d'être remarqué : Cum magna reverentia. Car c'est comme s'il disait : Vous n'avez pas voulu, Seigneur, que cette disposition de nos personnes fût entre les mains de nos pères temporels, ni qu'ils en fussent les maîtres. Vous avez bien prévu qu'ils n'en useraient jamais avec les égards, ni avec le  respect que  nos   personnes méritent.  Et en effet, mon Dieu, nous voyons qu'autant de fois qu'ils s'ingèrent dans cette fonction, c'est toujours avec des motifs indignes de la grandeur du sujet et de la chose dont il s'agit. Car il s'agit de pourvoir des âmes chrétiennes, et de les établir dans la voie qui les doit conduire au salut; et eux n'y procèdent que par

 

1 2 Malach., VII, 22. — 2 Sap., XII, 18.

 

des vues basses et charnelles, que par de vils intérêts, que par je ne sais quelles maximes du monde corrompu et réprouvé : se souciant peu que cet enfant soit dans la condition qui lui est propre, pourvu qu'il soit dans celle qui leur plaît, dans celle qui se trouve plus conforme à leurs fins et à leur ambition ; ayant égard à tout, hors à la personne dont ils disposent ; et, par un désordre très-criminel et très-commun, accommodant le choix de l'état, non pas aux qualités de celui qu'ils y engagent, mais aux désirs de celui qui l'y engage. Or, n'est-ce pas là blesser le respect dû à vos créatures, et surtout à des créatures raisonnables? Mais vous, Seigneur, qui êtes le Dieu des vertus : Tu autem dominator virtutis (1) ; vous nous traitez bien plus honorablement. Car disposant de nous, vous ne considérez que nous-mêmes ; et à voir comment en use votre providence, on dirait en quelque sorte qu'elle nous respecte : Cum magna reverentia disponis nos.

Concluons  donc , Chrétiens, que c'est de Dieu seulement que doit dépendre et que doit venir notre destinée, par rapport aux différentes professions de la vie. Et pourquoi pensez-vous, demande saint Bernard, que tout ce qu'il y a d'états dans le monde, qui partagent la société des hommes, soient autant de vocations, et portent en effet le nom de vocations? Car nous disons qu'un tel a vocation pour le siècle et un tel pour le cloître, un tel pour la robe et un tel pour l'épée. Que veut dire cela, sinon que chacun est appelé à un certain état que Dieu lui a marqué dans le conseil de sa sagesse ? Pourquoi les Pères de l'Eglise , dans leur morale, ont-ils regardé comme une offense si griève, d'embrasser un état sans la vocation de Dieu, si ce n'est parce que tout autre que celui où Dieu veut nous placer n'est pas sortable pour nous, et que nous sommes hors du rang où nous devons être, quand ce n'est pas Dieu qui nous y a conduits? Sur quoi je reprends, et je raisonne. Si tous les états du monde sont des vocations du ciel ; s'il y a une grâce attachée à tous ces états pour nous y attirer selon l'ordre de Dieu ; s'il est d'un danger extrême pour le salut de prendre un état sans cette grâce, ce n'est donc pas à un père d'y porter ses enfants, beaucoup moins de les y engager ; et ce serait le dernier abus, de leur faire pour cela violence et de les forcer. Car enfin un père dans sa famille n'est pas le distributeur des vocations. Cette grâce n'est point

 

1 Sap., XII, 18.

 

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entre ses mains, pour la donner à qui il veut, ni comme il veut. Il ne dépend point de lui que cette fille soit appelée à l'état religieux ou à celui du mariage, et la destination qu'il en fait est un attentat contre le souverain domaine de Dieu : pourquoi? parce que toute vocation étant une grâce, il n'y a que Dieu qui la puisse communiquer ; et de prétendre en disposer à l'égard d'un autre, c'est faire injure à la grâce même, et s'arroger un droit qui n'est le propre que de la Divinité.

En effet, Chrétiens, pour bien appliquer les hommes à un emploi, et pour leur assigner sûrement la condition qui leur est convenable, il ne faut pas moins qu'une sagesse et une providence infinie. Or cette sagesse, cette providence si étendue, Dieu ne l'a pas donnée aux pères pour leurs enfants. Il n'a donc pas dû conséquemment donner aux pères le pouvoir de décider du sort de leurs enfants ; et comme il a seul pour cela toutes les connaissances nécessaires, j'ose dire qu'il eût manqué dans sa conduite, s'il eût confié ce soin à tout autre qu'à lui-même. Vous me demandez pourquoi un père ne peut se croire assez éclairé ni assez sage pour ordonner de la vocation d'un enfant. Ecoutez une des plus grandes vérités de la morale chrétienne. C'est que rien n'a tant de rapport au salut que la vocation à un état, et que souvent c'est à l'état qu'est attachée toute l'affaire du salut : comment cela? parce que l'état est la voie par où Dieu veut nous conduire au salut; parce que les moyens du salut que Dieu a résolu de nous donner ne nous ont été destinés que conformément à l'état ; parce que, hors de l'état, la providence de Dieu n'est plus engagée à nous soutenir par ces grâces spéciales qui assurent le salut, et sans lesquelles il est d'une extrême difficulté de parvenir à cet heureux terme. Et ce qu'il faut bien remarquer, comme une conséquence de ces principes, c'est que ce qui contribue davantage à notre salut, ce n'est point précisément la sainteté de l'état, mais la convenance de l'état avec les desseins et les vues de Dieu, qui nous l'a marqué et qui nous y a fait entrer. Mille se sont sauvés dans la religion, et celui-ci devait s'y perdre; mille se sont perdus dans le monde, et celui-là devait s'y sauver. O altitudo ! ô abîme de la science de Dieu ! Mais revenons. Que faudrait-il donc à un père, afin qu'il eût droit de disposer de la vocation de ses enfants? Je n'exagérerai rien, mes chers auditeurs; vous savez la profession que je fais de dire la vérité telle que je la conçois, sans jamais aller au delà. Que faudrait-il, dis-je, à un père pour prescrire à un enfant la vocation qu'il doit suivre? Il faudrait qu'il connût les voies de son salut, qu'il entrât dans le secret de sa prédestination, qu'il sût l'ordre des grâces qui lui sont préparées, les tentations dont il sera attaqué, les occasions de ruine où il se trouvera engagé ; qu'il pénétrât dans le futur, pour voir les événements qui pourront changer les choses présentes; qu'il lût jusque dans le cœur de cet enfant, pour y découvrir certaines dispositions cachées, qui ne se produisent point encore au dehors. Car c'est sur la connaissance de tout cela qu'est fondé le droit d'assigner aux hommes des vocations; et quand Dieu appelle quelqu'un, il y emploie la connaissance de tout cela. Mais où est le père sur la terre qui ait la moindre de ces connaissances? Et n'est-ce donc pas dans un père une témérité insoutenable , de vouloir se rendre maître des vocations et des états dans sa famille? N'est-ce pas, ou s'attribuer la sagesse même de Dieu, ce qui est un crime, ou entreprendre, avec la sagesse de l'homme, ce qui demande une sagesse supérieure et divine ? entreprise qu'on ne peut autrement traiter que de folie.

Ceci est général ; mais venons au détail. Je soutiens que cette conduite est également injurieuse à Dieu, soit qu'un itère dispose de ses enfants pour une vocation sainte d'elle-même, soit qu'il en dispose pour le monde. Appliquez-vous à ceci. Votre dessein, dites-vous, est d'établir un enfant dans l'Eglise, de le pourvoir de bénéfices, et même de l'engager, s'il est besoin, dans les ordres sacrés. Je dis s'il est besoin ; car hors du besoin, on n'aurait garde d'y penser : et vous entendez bien quel est ce besoin. A peine est-il né cet enfant, que l'Eglise est son partage ; et l'on peut dire de lui, quoique dans un sens bien opposé, ce qui est écrit d'Isaïe, que dès le ventre de sa mère il est destiné à l'autel, non par une vocation divine comme le prophète, mais par une vocation humaine : Ab utero vocabit me (1). En vérité, mes chers auditeurs, est-ce là agir en chrétiens, et est-ce traiter avec Dieu comme on doit traiter avec un maître et un souverain? Quoi! il faudra que Dieu en passe par votre choix, et qu'il soit réduit, pour ainsi parler, à recevoir cet enfant aux plus saintes fonctions de l'Eglise, parce que cela vous accommode et que vous y trouvez votre compte ? Que diriez-vous (c'est la pensée de saint Basile), que diriez-vous d'un homme qui

 

1 Isa., XLIX, 1.

 

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voudrait vous obliger à prendre chez vous tels officiers et tels domestiques qu'il lui plairait? N'aurait-il pas bonne grâce de vous en faire la proposition? Et vous, par une présomption encore plus hardie, vous remplirez la maison de Dieu de qui il vous semblera bon ? vous en distribuerez les places et les dignités à votre gré!

Voilà néanmoins ce qui se passe tous les jours dans le christianisme. Ce n'est plus seulement la pratique de quelques pères; c'est une coutume dans toutes les familles, c'est une espèce de loi. Loi dictée par l'esprit du monde, c'est-à-dire par un esprit ou ambitieux ou intéressé. Loi reconnue universellement dans le monde, et contre laquelle il est à peine permis aux ministres de l'Eglise et aux prédicateurs de s'élever. Loi même communément tolérée par ceux qui devraient s'employer avec plus de zèle à l'abolir, par les directeurs des âmes les plus réformés en apparence et les plus rigides, par les docteurs les plus sévères dans leur morale, et qui affectent plus de l'être ou de le paraître. Enfin, loi aveuglément suivie par les enfants, qui n'en connaissent pas encore les pernicieuses conséquences, qui n'ont pas encore assez de résolution pour s'opposer aux volontés paternelles, qui se trouvent dans une malheureuse nécessité d'entrer dans la voie qu'on leur ouvre, et d'y marcher. Ce cadet n'a pas l'avantage de l'aînesse : sans examiner si Dieu le demande, ni s'il l'accepte, on le lui donne. Cet aîné n'a pas été en naissant assez favorisé de la nature, et manque de certaines qualités pour soutenir la gloire de son nom : sans égards aux vues de Dieu sur lui, on pense, pour ainsi dire, à le dégrader, on le rabaisse au rang du cadet, on lui substitue celui-ci, et pour cela on extorque un consentement forcé ; on y fait servir l'artifice et la violence, les caresses et les menaces. L'établissement de cette fille coûterait : sans autre motif, c'est assez pour la dévouer à la religion. Mais elle n'est pas appelée à ce genre de vie : il faut bien qu'elle le soit, puisqu'il n'y a point d'autre parti à prendre pour elle. Mais Dieu ne la veut pas dans cet état : il faut supposer qu'il l'y veut, et faire comme s'il l'y voulait. Mais elle n'a nulle marque de vocation : c'en est une assez grande que la conjoncture présente des affaires et la nécessité. Mais elle avoue elle-même qu'elle n'a pas cette grâce d'attrait : cette grâce lui viendra avec le temps, et lorsqu'elle sera dans un lieu propre à la recevoir. Cependant on conduit cette victime dans le temple, les pieds et les mains liés, je veux dire dans la disposition d'une volonté contrainte, la bouche muette par la crainte et le respect d'un père qu'elle a toujours honoré. Au milieu d'une cérémonie, brillante pour les spectateurs qui y assistent, mais funèbre pour la personne qui en est le sujet, on la présente au prêtre, et l'on en fait un sacrifice, qui, bien loin de glorifier Dieu et de lui plaire, devient exécrable à ses yeux, et provoque sa vengeance.

Ah ! Chrétiens, quelle abomination 1 Et faut-il s'étonner, après cela, si des familles entières sont frappées de la malédiction divine? Non, non, disait Salvien par une sainte ironie, nous ne sommes plus au temps d'Abraham, où les sacrifices des enfants par les pères étaient des actions rares. Rien maintenant de plus commun que les imitateurs de ce grand patriarche. On le surpasse même tous les jours : car, au lieu d'attendre comme lui l'ordre du ciel, on le prévient. On immole un enfant à Dieu, et on l'immole sans peine, même avec joie ; et on l'immole sans que Dieu le commande , ni même qu'il l'agrée ; et on l'immole lors même que Dieu le défend, et qu'il ne cesse point de dire : Non extendas manum super puerum (1). Ainsi parlait l'éloquent évêque de Marseille, dans l'ardeur de son zèle. Mais bientôt corrigeant sa pensée : Je me trompe, mes Frères, reprenait-il ; ces pères meurtriers ne sont rien moins que les imitateurs d'Abraham ; car ce saint homme voulut sacrifier son fils à Dieu : mais ils ne sacrifient leurs enfants qu'à leur propre fortune et qu'à leur avare cupidité. Voilà pourquoi Dieu combla Abraham d'éloges et de récompenses, parce que son sacrifice était une preuve de son obéissance et de sa piété; et voilà pourquoi Dieu n'a pour les autres que des reproches et des châtiments, parce qu'il se tient justement offensé de leurs entreprises criminelles.

Et ne me dites point, mes chers auditeurs, que sans cette voie si ordinaire, d'obliger vos enfants à embrasser l'état de l'Eglise ou celui de la religion, vous êtes dans l'impuissance de les établir. Abus. Ce n'est point à moi d'entrer avec vous en discussion de vos affaires domestiques, ni d'examiner ce que vous pouvez et ce que vous ne pouvez pas ; mais c'est à moi de vous dire ce que la loi de Dieu vous ordonne et ce qu'elle vous défend. Or, que l'impuissance où vous prétendez être soit vraie ou qu'elle soit fausse, jamais il ne sera permis à un père de disposer de ses enfants pour la vocation, jamais

 

1 Genes., XXII, 12.

 

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de leur chercher un patrimoine dans l'Eglise, jamais de regarder la religion comme une décharge de sa famille; et s'il le fait, il irrite Dieu. Qu'il les laisse dans un état moins opulent, ils en seront moins exposés à se perdre, et n'en deviendront que plus fidèles à leurs devoirs; qu'il les abandonne à la Providence, Dieu est leur père, il en aura soin. C'est ce que je pourrais vous répondre : mais je ne vous dis rien de tout cela; et voici à quoi je m'en tiens. Car, quoi qu'il puisse arriver dans la suite, j'en reviens toujours à mon principe, qu'il faut être chrétien et obéir à Dieu ; que Dieu ne veut pas que la vocation de vos enfants dépende de vous, et que vous ne devez point là-dessus vous ingérer dans une fonction qui ne fut ni ne sera jamais de votre ressort. Voilà ce que je vous déclare, et c'est assez.

Vous me direz : Mais ne sera-t-il pas du moins permis à un père de disposer de ses enfants pour le monde ? Et moi je vous réponds : Pourquoi lui serait-il plus permis d'en disposer pour le monde, que pour l'Eglise? Est-ce que les états du monde relèvent moins du souverain domaine de Dieu et de sa providence, que ceux de l'Eglise? est-ce qu'il ne faut pas une grâce de vocation pour l'état du mariage, aussi bren que pour celui de la religion? est-ce que les conditions du siècle n'ont pas autant de liaison que les autres avec le salut? Dès que ce sont des états de vie, c'est à Dieu de nous y appeler; et s'il y en avait où la vocation parût plus nécessaire, je puis bien dire que ce seraient ceux qui engagent à vivre dans le monde, parce que ce sont sans contredit les plus exposés, parce que les dangers y sont beaucoup plus communs, les tentations beaucoup plus subtiles et plus violentes, et qu'on y a plus de besoin d'être conduit par la sagesse et la grâce du Seigneur. Mais arrêtons-nous précisément au droit de Dieu. Vous voulez, mon cher auditeur, pousser cet aîné dans le monde : il faut qu'il y paraisse, qu'il s'y avance, qu'il y soit le soutien de sa maison. Mais que savez-vous si Dieu ne se l'est pas réservé? et, si vous le saviez, oseriez-vous lui disputer la préférence? Ne le sachant pas, pouvez-vous moins faire que de le consulter là-dessus, que de lui demander quel est son bon plaisir, que de le prier qu'il vous découvre sa divine volonté, que d'employer tous les moyens ordinaires pour la connaître, et de vous y soumettre dès le moment qu'elle vous sera notifiée? Mais que faites-vous? vous savez que Dieu veut cet enfant dans la profession religieuse, et vous vous obstinez à le vouloir dans le monde. Vous voilà donc, pour ainsi parler, aux prises avec Dieu. Il s'agit de savoir qui des deux en doit être le maître : car Dieu l'appelle à lui, et vous voulez l'avoir pour vous-même. Ou c'est Dieu qui entreprend sur vos droits, ou c'est vous qui entreprenez sur les droits de Dieu. Or dites-moi, homme vil et faible, quels sont vos droits au préjudice de votre Dieu, et sur quoi ils sont fondés. Mais, en même temps, apprenez à rendre aux droits inviolables d'un Dieu créateur le juste hommage qui lui est dû.

Il y a, dans saint Ambroise, un trait bien remarquable. C'est au premier livre des Vierges, où ce Père décrit le combat d'une jeune chrétienne, non pas contre les persécuteurs de la foi, mais contre la chair et le sang, contre ses proches. Elle se trouvait sollicitée, d'une part, à s'engager dans une alliance qu'on lui proposait, et, de l'autre, inspirée de prendre au pied des autels le voile sacré. Que faites-vous? disait cette généreuse fille à toute une parenté qui la pressait, et pourquoi perdre vos soins à me chercher un parti dans le monde? je suis déjà pourvue : Quid in exquirendis nuptiis sollicitatis animum ? jam provisas habeo. Vous m'offrez un époux, et j'en ai choisi un autre. Donnez-m'en un aussi riche, aussi puissant et aussi grand que le mien ; alors je verrai quelle réponse j'aurai à vous faire. Mais vous ne me présentez rien de semblable ; car celui dont vous me parlez est un homme ; et celui dont j'ai fait choix est un Dieu. Vouloir me l'enlever ou m'enlever à lui, ce n'est pas établir ma fortune, c'est envier mon bonheur : Non providetis mihi, sed invidetis. Paroles, reprend saint Ambroise, qui touchèrent tous les assistants : chacun versait des larmes, en voyant une vertu si ferme et si rare dans une jeune personne ; et comme quelqu'un se fut avancé de lui dire que si son père eût vécu, il n'eût jamais consenti à la résolution qu'elle avait formée : Ah ! répliqua-t-elle, c'est pour cela peut-être que le Seigneur l'a retiré; c'est afin qu'il ne servît pas d'obstacle aux ordres du ciel, et aux desseins de la Providence sur moi.

Non, non, Chrétiens, quelque intérêt qu'ait un père de voir un enfant établi selon le monde, il ne peut, sans une espèce d'infidélité, se plaindre de Dieu , quand Dieu l'appelle à une vie plus sainte ; et traverser cette vocation ou par artifice, ou par de longues et d'insurmontables résistances, c'est ce que je puis appeler une rébellion contre Dieu et contre sa grâce. Pourquoi tant de soupirs et tant de pleurs? écrivait saint Jérôme à une dame

 

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romaine, lui reprochant son peu de constance et son peu de foi, dans la perte qu'elle avait faite d'une fille qui lui était chère et que le ciel lui avait ravie. Vous vous affligez , vous vous désolez; mais écoutez Jésus-Christ même qui vous parle , ou qui peut bien au moins vous parler de la sorte : Eh quoi ! Paule, vous vous laissez emporter contre moi, parce que votre fille est présentement tout à moi ; et, par des larmes criminelles que vous répandez sans mesure et sans soumission, vous offensez le divin époux qui possède le sujet de votre douleur et de vos regrets ! Irasceris, Paula, quia filia tua mea facta est, et rebellibus lacrymis facis injuriam possidenti. Beau reproche, mes chers auditeurs, qui ne convient que trop à tant de pères chrétiens. Et ne pensez pas que ce soit une bonne raison à y opposer, de me répondre que ce fils est le seul qui vous reste d'une ancienne et grande famille, et que sans lui elle va s'éteindre; comme si Dieu était obligé de s'accommoder à vos idées mondaines ; comme si la conservation de votre famille était quelque chose de grand, lorsqu'il s'agit des volontés de Dieu ; comme si, tôt ou tard, toutes les familles ne devaient pas finir, et que la vôtre pût avoir une fin plus honorable que par l'exécution des ordres du Seigneur votre Dieu.

Voilà, Chrétiens, ce qui regarde l'intérêt de Dieu. Que serait-ce si je m'étendais sur celui de vos enfants, et sur l'injustice que vous leur faites quand vous disposez d'eux an préjudice de leur liberté, et communément au préjudice de leur salut? Car, hélas! le seul droit qu'ils aient indépendamment de vous, c'est de disposer d'eux-mêmes avec Dieu sur ce qui concerne leur âme et leur éternité ; et ce droit unique, vous le leur ôtez, ou vous les empêchez de s'en servir. Droit, au reste, le plus juste, puisqu'il est autorisé par toutes les lois, approuvé par toutes les coutumes, appuyé de toutes les raisons, tiré de tous les principes de la nature, fondé sur toutes les maximes de la religion, et par conséquent inviolable. Prenez garde à ceci, s'il vous plaît. Oui, toutes les lois l'autorisent : les unes, favorisant par toutes sortes de voies la liberté des enfants, je dis une liberté raisonnable ; les autres, réprimant, par les plus grièves censures, les fausses prétentions des pères et des mères qui voudraient attenter à cette liberté et en troubler l'usage : celles-ci permettant aux enfants de disposer d'eux-mêmes pour l'état religieux, dans un Age où du reste ils ne peuvent disposer de rien ; ce qu'on ne peut condamner, remarque le docte Tostat, sans préférer son jugement à celui de toute l'Eglise,   qui l'a ordonné de la sorte: celle-là ratifiant la   profession solennelle du vœu de religion, faite à l'insu même des,parents, qui, par nul moyen, ne la peuvent invalider ; enfin, ce qui est essentiel , n'y ayant jamais eu de  loi, ni ecclésiastique ni civile, qui ait obligé un enfant d'en passer par le choix et la volonté de son père en fait d'état, et s'en trouvant au contraire plusieurs qui déclarent de nulle valeur et de nulle force toutes les paroles données, tous les engagements contractés par des enfants, s'il paraît qu'il y ait eu de la contrainte, et qu'elle ait été au delà des bornes d'une obéissance respectueuse. Pourquoi tout cela, Chrétiens? au détriment, ce semble, de l'autorité paternelle, et au hasard des résolutions indiscrètes que peuvent prendre de jeunes personnes. Il était nécessaire que cela fût ainsi ; des raisons substantielles et fondamentales le demandaient,  et voici celle à quoi je m'arrête : c'est qu'il est du droit naturel et du droit divin que celui-là choisisse lui-même son état, qui en doit porter les charges et accomplir les obligations. Ce principe est incontestable : car, si dans la suite de ma vie il y a des peines à supporter, je suis bien aise que le choix libre et exprès que j'en ai fait, en me les rendant volontaires, serve à me les adoucir; et s'il s'élève dans mon cœur quelque répugnance et quelques murmures contre les devoirs de mon état, je veux avoir de quoi en quelque sorte les apaiser, par la pensée que c'est moi-même qui m'y suis soumis, moi-même qui m'y suis déterminé, moi-même qui ai consenti à tout ce que j'aurais de plus rigoureux et de plus pénible à éprouver. Or, tout le contraire arrive, quand des enfants se trouvent forcés de prendre un état pour lequel ils ne se sentent  ni inclination ni vocation : et lorsque vous les engagez, par exemple, à la profession religieuse, vous ne vous obligez pas pour eux à en subir le joug et la dépendance, à en pratiquer les austérités, à en digérer les amertumes et les dégoûts : vous les conduisez jusque dans le sanctuaire , et là vous leur imposez tout le fardeau, sans en rien retenir pour vous. Quand vous faites accepter à cette fille une alliance dont elle a de l'éloignement, vous ne lui garantissez pas les humeurs de ce mari bizarre et chagrin, qui la tiendra peut-être dans l'esclavage; vous ne l'acquittez pas des soins infinis que demandera l'éducation d'une famille, et qui seront pour elle autant d'obligations indispensables. C'est donc une iniquité

 

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de vouloir ainsi disposer d'elle ; car si elle doit être liée, n'est-il pas juste que vous lui laissiez au moins le pouvoir de choisir elle-même sa chaîne ?

Mais ce qu'il y a là-dessus de plus important, c'est ce que j'ai dit, et ce que je me trouve obligé de reprendre, pour vous le proposer dans un nouveau jour, et pour l'appliquer encore au point que je traite , savoir que là où il s'agit de vocation, il s'agit du salut éternel. Or, dès qu'il s'agit du salut, point d'autorité du père sur le fils, parce que tout y est personnel. Nous paraîtrons tous devant le tribunal de Dieu, dit saint Paul, pour y répondre de notre vie. Il faut donc que nous en ayons tous la disposition libre, conclut saint Jean Chrysostome : car nous devons disposer des choses dont nous sommes responsables. Vous ne serez pas jugé pour moi, et par conséquent il ne vous appartient pas de disposer de moi ; et si vous le voulez, si vous entreprenez de me faire entrer dans un état où mon salut soit moins en assurance, je puis vous dire alors ce que le saint empereur Valentinien dit à l'ambassadeur de Rome, qui, de la part du sénat, lui parlait de rétablir les temples des faux dieux : Que Rome qui est ma mère, me demande toute autre chose, je lui dois mes services; mais je les dois encore plus à l'auteur de mon salut : Sed magis debeo salutis auctori. C'est pour cela que les Pères de l'Eglise, après avoir employé toute la force de leurs raisonnements et toute leur éloquence à persuader aux enfants une humble et fidèle soumission envers leurs parents , ont été néanmoins les premiers à les décharger de toute obéissance, dès qu'il était question d'un état auquel on voulût les attacher, ou dont on prétendît les détourner au péril de leur salut. Quelle réponse vous ferais-je ? écrivait saint Bernard à un homme du monde, qui se sentait appelé à la vie religieuse, et que sa mère tâchait à retenir dans le monde', que vous dirais-je? Que vous abandonniez votre mère ? mais cela paraît contraire à la piété. Que vous demeuriez avec elle? mais il n'est pas juste qu'une molle complaisance vous fasse perdre votre âme. Que vous soyez tout ensemble et à Jésus-Christ et au monde ; mais, selon l'Evangile , on ne peut être à deux maîtres. Ce que veut votre mère est opposé à votre salut, et, par une suite nécessaire, au sien même. Prenez donc maintenant votre parti, et choisissez, ou de satisfaire seulement à sa volonté, ou de pourvoir au salut de tous les deux. Mais si vous l'aimez, quittez-la pour l'amour d'elle-même , de peur que vous retenant auprès d'elle et vous faisant quitter Jésus-Christ, elle ne se perde avec vous et pour vous. Car, comment ne se perdrait-elle pas, en vous faisant perdre la vie de l'âme, après vous avoir donné la vie du corps? Et tout ceci, ajoute le même Père, je vous le dis pour condescendre à votre faiblesse. Car l'oracle y est exprès, et ce devrait être assez de vous en rappeler le souvenir, que quoiqu'il y ait de l'impiété à mépriser sa mère, il y a de la piété à la mépriser pour Jésus-Christ.

Ah ! Chrétiens, profitez de ces grandes instructions. Dans la conduite de vos familles, respectez toujours les droits de Dieu, et jamais ne donnez la moindre atteinte à ceux de vos enfants. Laissez-leur la même liberté que vous avez souhaitée, et dont peut-être vous avez été si jaloux. Faites pour eux ce que vous avez voulu qu'on fît pour vous; et si vous avez sur cela reçu quelque injustice, ne vous en vengez pas sur des âmes innocentes qui n'y ont eu nulle part, et qui d'ailleurs vous doivent être si chères. Ayez égard à leur salut, qui s'y trouve intéressé ; et ne soyez pas assez cruels pour le sacrifier à vos vues humaines. Ne vous exposez pas vous-mêmes à être un jour l'objet de leur malédiction, après avoir été la source de leur malheur. Car leur malédiction serait efficace, et attirerait sur vous celle de Dieu. Si vous ne pouvez leur donner d'amples héritages, et s'ils n'ont pas de grands biens à posséder, ne leur ôtez pas au moins, si je l'ose dire, la possession d'eux-mêmes. Dieu ne vous oblige point à les faire riches, mais il vous ordonne de les laisser libres. Eh quoi ! me répondrez-vous, si des enfants inconsidérés et emportés par le feu de l'âge font un mauvais choix, faudra-t-il que des pères et des mères les abandonnent à leur propre conduite , et qu'ils ferment les yeux à tout? Je ne dis pas cela, mes chers auditeurs, et ce n'est point là ma pensée, comme je dois bientôt vous le faire voir. Si cet enfant choisit mal, vous pouvez le redresser par de sages avis; s'il ne les écoute pas, vous pouvez y ajouter le commandement ; et s'il refuse d'obéir, vous y pouvez employer toute la force de l'autorité paternelle. Car tout cela n'est point disposer de sa personne, ni de sa vocation ; mais au contraire c'est le mettre en état d'en mieux disposer lui-même. J'appelle disposer de la vocation d'un enfant, lui marquer précisément l'état que vous voulez qu'il embrasse, sans examiner s'il est ou s'il n'est pas selon son gré. J'appelle disposer de la vocation d'un enfant, le détourner d'un choix raisonnable qu'il a fait avec Dieu,  et

 

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former d'insurmontables difficultés pour en arrêter l'exécution. J'appelle disposer de la vocation d'un enfant, abuser de sa crédulité pour le séduire par de fausses promesses , pour lui faire voir de prétendus avantages qu'on imagine, et pour le mener insensiblement au terme où l'on voudrait le conduire. J'appelle disposer de la vocation d'un enfant, laisser de longues années une fille sans l'établir, n'avoir pour elle que des manières dures et rebutantes, exercer par mille mauvais traitements toute sa patience, jusqu'à ce qu'elle se soit enfin dégoûtée du monde, et que d'elle-même elle ait pris le parti de la retraite. Voilà, dis-je, ce que j'appelle disposer de la vocation des enfants, et voilà ce que Dieu défend. Que lui répondrez-vous un jour, quand il vous reprochera de vous être opposé à ses desseins, dans la conduite d'une maison qu'il vous avait confiée? Quand il vous demandera compte, non point du sang, mais de l'âme de cet enfant qu'il voulait sauver, à qui il avait préparé pour cela toutes les voies, et que vous en avez éloigné, que vous avez égaré, que vous avez perdu? Que répondrez-vous à vos enfants mêmes; car ils s'élèveront contre vous et ils deviendront vos accusateurs, comme vous aurez été leurs tentateurs et leurs corrupteurs. Non pas, encore une fois, que vous ne puissiez les diriger dans le choix qu'ils ont à faire; que vous ne puissiez les conseiller, les exhorter, user de tous les moyens que Dieu vous a mis en main pour les préserver des écueils où une jeunesse volage et sans réflexion se laisse entraîner. Je dis plus, et je prétends même que non-seulement vous le pouvez, mais que vous le devez ; et c'est sur quoi j'établis l'autre proposition que j'ai avancée, savoir, que s'il ne vous est pas permis de déterminer vos enfants à un état, vous êtes néanmoins responsables à Dieu de l'état auquel ils se déterminent. Encore quelques moments de votre attention pour cette seconde partie.

 

DEUXIÈME   PARTIE.

 

C'est un principe reçu dans toute la morale, que nous devons, autant qu'il dépend de nous, garantir les choses où nous sommes obligés de nous intéresser et de prendre part; et qu'à proportion de la part que nous y avons et de l'intérêt qui nous y engage, nous en devenons plus ou moins responsables. Cette maxime est évidente, et j'en tire la preuve de ma seconde proposition. Car, quoiqu'il ne soit pas au pouvoir des pères de déterminer à leurs enfants le choix d'une vocation et d'un état, ils ne laissent pas néanmoins d'intervenir à ce choix, d'y participer, d'y avoir un droit de direction et de surveillance, non-seulement en qualité de pères, mais beaucoup plus en qualité de pères chrétiens. D'où il faut conclure qu'ils doivent donc répondre de ce choix, et que Dieu peut, sans injustice, leur en faire rendre compte. Quelques questions que je vais résoudre d'abord, serviront à éclaircir ce point.

On demande en général si dans certains états, surtout dans ceux qui ne sont pas de la perfection évangélique, un enfant est maître de contracter un engagement et de se lier, sans l'aveu et la participation de ses parents. Il ne le peut, Chrétiens ; mais il est de son devoir, et d'un devoir rigoureux, de les consulter, d'écouter leurs remontrances, d'y déférer autant que la raison le prescrit. Car, disent les théologiens, l'honneur dû aux pères et aux mères est un commandement exprès de Dieu. Or, de n'avoir nul égard à leurs sentiments, de ne se mettre point en peine d'en être instruit, d'agir sur cela dans une pleine indépendance et de n'en vouloir croire que soi-même, ce serait un mépris formel de leur autorité; et ce mépris, dans une matière aussi importante que l'est le choix de l'état, doit être regardé comme une griève transgression de la loi divine. On demande en particulier si, dans un certain âge déjà avancé, un enfant peut, sans que le père en soit informé et sans requérir son consentement, conclure un mariage où la passion le porte; s'il le peut, dis-je, en sûreté de conscience. Non, répondent les docteurs; et s'il le fait, le père est en droit de le punir selon les lois, et de le priver de son héritage : peine censée juste, et qui par conséquent suppose une offense. On demande si le père, voyant son fils embrasser un parti qu'il juge, selon Dieu, lui être pernicieux, peut se taire sur cela, et, par son silence, y coopérer en quelque sorte et l'autoriser. Ce serait, suivant la décision de tous les maîtres de la morale, un crime dans lui; et si là-dessus il dissimule, s'il n'y fait pas toutes les oppositions nécessaires, il se rend prévaricateur. De là il s'ensuit donc que les pères, sans disposer de leurs enfants, ont néanmoins part à leur choix en plusieurs manières : par exhortation, par conseil, par tolérance, par consentement, par droit d'opposition et de punition. Et voilà, Chrétiens, le fondement de la vérité que je vous prêche. Car si Dieu ne vous avait pas engagés à lui garantir le choix que font vos enfants, pourquoi seriez-vous criminels, lorsque vous manquez à employer, ou la voie de l'autorité,

 

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ou celle du conseil et de l'instruction, pour les aider à bien choisir? Pourquoi serait-ce dans vous une tolérance condamnable, quand vous les abandonnez à eux-mêmes, et que vous les laissez choisir impunément et inconsidérément ce que vous savez ne leur pas convenir et leur devoir être nuisible? Pourquoi pourriez-vous vous opposer à leur choix, traverser leur choix, les punir de leur choix, s'il est contre votre gré, et qu'à votre égard ils ne se soient pas acquittés des soumissions ordinaires? Dieu sans doute ne vous a donné ce pouvoir qu'à raison des charges qui y sont attachées ; et de tous ces devoirs qu'il a imposés à vos enfants, résulte en vous une obligation naturelle de répondre d'eux et de leur état. Si donc il arrive qu'ils s'égarent, ou parce que vous n'avez pas pris soin de les éclairer, ou parce que vous n'avez pas eu la force de leur résister, ou parce qu'une lâche tolérance vous a fait même seconder leurs désirs insensés; Dieu n'a-t-il pas droit de s'en prendre à vous, et de vous dire : Rendez-moi compte, non-seulement de vous-même, mais de ce fils, mais de cette fille, auprès de qui vous deviez être, en qualité de père, mon ministre, pour leur servir de guide et de conducteur. Et certes, Chrétiens, qui ne sait pas qu'un père est responsable à Dieu de l'éducation de ses enfants? Or, dans l'éducation des enfants, qu'y a-t-il de plus essentiel que la condition où ils doivent entrer, et la forme de vie sur laquelle ils ont à délibérer?

Développons encore ceci, et mettons-le dans un nouveau jour, pour le rendre plus instructif et plus pratique. Le choix d'un état, dit saint Bonaventure, peut être mauvais en trois manières : ou par lui-même, parce que l'état est contraire au salut, du moins très-dangereux; ou parce que celui qui embrasse l'état est incapable de le soutenir; ou parce que tout honnête qu'est l'état que l'on choisit, tout propre qu'on est à-en remplir les fonctions, on n'y entre pas néanmoins, si je puis ainsi m'exprimer, par la porte de l'honneur, ni par des voies droites. Prenez garde : je dis d'abord choix d'un état mauvais par lui-même, ou du moins très-dangereux. J'en donne un exemple : c'est celui de saint Matthieu. Qu'était-ce que cet apôtre, avant qu'il eût été appelé et converti par Jésus-Christ? c'était un publicain ; et il faut bien dire que cet emploi, qui consistait à lever certains deniers publics, s'exerçait alors communément contre la conscience, puisque Jésus-Christ, dans l'Evangile, parlant du royaume des cieux, mettait les publicains au même rang que les femmes perdues : Publicani et meretrices (1).C'est la remarque de saint Jérôme : à quoi saint Grégoire en ajoute une autre. Car les apôtres, après leur conversion, reprirent leur première forme de vie, et retournèrent à leur pêche ; il n'y eut que saint Matthieu qui, absolument et pour toujours, abandonna sa recette. D'où vient cette différence, demande saint Grégoire, sinon parce que l'emploi de saint Pierre et des autres apôtres était innocent, et que celui de saint Matthieu l'engageait au moins dans un péril certain et très-présent? Si donc il y avait de semblables professions dans le monde, je m'explique; s'il y avait, ce que je n'examine point et ce que j'aurais peine à penser ; si, dis-je, il y avait de ces états où, selon l'estime commune, il fût moralement impossible de se conserver et d'être chrétien, un père qui craint Dieu pourrait-il permettre qu'un fils s'y jetât en aveugle et qu'il y demeurât? Ah! mes chers auditeurs, bien loin de l'approuver, de l'autoriser, de le tolérer, il ferait tous ses efforts pour lui en inspirer de l'horreur et pour l'en éloigner. Il lui dirait comme le saint homme Tobie : Prenons confiance , mon fils ; nous serons toujours assez riches, si nous avons la crainte du Seigneur. Préférons-la à tous les trésors de la terre, et ne consentons jamais, pour des biens temporels, à perdre, ni même à risquer des biens éternels : Satis multa bona habebimus, si timuerimus Deum (2). C'est ainsi qu'il lui parlerait, ou qu'il lui devrait parler. Mais s'il se laissait dominer et conduire par l'intérêt; si dans la vue d'une fortune temporelle et d'un gain assuré, prompt, abondant, il agréait le choix que fait son fils d'une profession au moins dangereuse selon Dieu; s'il était le premier à lui en procurer l'entrée, à le favoriser, à le seconder dans ses poursuites, à lui chercher pour cela des intercesseurs et des patrons : qui peut douter que par là il ne se chargeât de toutes les suites funestes qu'il y aurait à craindre; que par là le père ne se rendît coupable de tous les désordres du fils ; que la damnation de ce jeune homme ne lui dût être imputée, et que ce ne fût un des principaux articles sur quoi il aurait à se justifier devant le tribunal de Dieu? N'en disons pas là-dessus davantage : c'est à vous, Chrétiens, à faire l'application de cette morale, et à voir, dans l'usage du siècle présent, quelles conséquences vous en devez tirer. Avançons.

Outre que le choix d'un état peut être mauvais dans la substance, il l'est encore plus

 

1 Matth., XXI, 32. — 2 Tob., IV, 23.

 

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souvent par rapport au sujet, c'est-à-dire parce que celui qui fait ce choix est indigne de l'étal qu'il choisit, n'a pas pour cet état toutes les qualités requises, et se trouve absolument incapable d'en accomplir les devoirs. De là cette corruption générale que nous voyons dans le monde et dans toutes les conditions du monde; de là tant d'abus qui se sont introduits et qui règnent dans l'Eglise, de là ce dérèglement presque universel dans l'administration des charges, et surtout dans la dispensation de la justice ; de là presque tous les maux dont la société des hommes est troublée; mais delà même aussi pour les pères un fonds d'obligations qui les doit faire trembler, une matière infinie de péchés, une source inépuisable de scrupules, un des comptes les plus terribles qu'ils aient à rendre : car si nous remontons au principe, et que nous examinions bien ce qui cause un tel renversement dans tous les états de la vie, et d'où viennent tous ces désordres que nous déplorons assez, mais que nous ne corrigeons pas, nous reconnaîtrons qu'ils doivent être communément attribués aux pères, qui, sans égard à l'incapacité de leurs enfants, les ont eux-mêmes placés dans des rangs et leur ont confié des ministères dont les fonctions étaient au-dessus de leurs forces et de leurs talents. En effet, si ce père n'eût point traité de cette charge dont il a pourvu son fils, ce fils ne serait rien aujourd'hui de ce qu'il est, et, n'étant point ce qu'il est, il n'abuserait pas d'une puissance qu'il a reçue sans la pouvoir exercer; il ne ferait pas servir l'autorité dont il est revêtu aux vexations, aux violences, aux injustices que le public ressent et qui le font souffrir. Il a donc été possible au père de prévenir et d'arrêter de si fâcheuses conséquences. Instruit des dispositions de ce jeune homme, il pouvait, au lieu de l'élever si haut, ou de l'aider à y parvenir, lui refuser pour cela ses soins et son secours. Non-seulement il le pouvait, mais il le devait; et qui s'étonnera que Dieu là-dessus entre en jugement avec lui, et qu'il lui en fasse porter la peine?

Voilà, néanmoins, mes chers auditeurs, l'abus de notre siècle. Le zèle des pères pour leurs enfants ne va pas à les voir capables d'être employés ; mais il leur suffît qu ils soient employés. Il faut pour cet aîné tel office ; et cela se suppose comme un principe. Y a-t-il de quoi en faire les frais? c'est ce qu'on examine avec toute l'attention nécessaire. Cette avance une l'ois l'aile, restera-t-il assez de fonds pour toutes les autres dépenses? c'est ce que l'on suppute très-exactement. Mais d'ailleurs cet enfant que l'on veut ainsi pousser, est-il propre à remplir la place qu'on lui destine? la chose ne se met pas en délibération : s'il en a le mérite, à la bonne heure ; s'il ne l'a pas , sa charge lui en tiendra lieu. Mais on sait bien qu'il ne l'a pas en effet, et l'on ne peut espérer qu'il l'acquière jamais. On le sait, et on agit toujours comme si on ne le savait pas. Car où sont maintenant les pères qui ressemblent à cet empereur de Rome, lequel exclut authentiquement son fils de l'empire, parce qu'il n'y trouvait pas les dispositions requises pour en soutenir le poids? Ce jeune homme est de telle famille, où telle dignité est héréditaire ; dès là son sort est décidé : il faut que le fils succède au père. Et de cette maxime que s'ensuit-il? vous en êtes tous les jours témoins : c'est qu'un enfant à qui l'on n'aurait pas voulu confier la moins importante affaire d'une maison particulière, a toutefois dans ses mains les affaires de toute une province et les intérêts publics. Il peut prononcer comme il lui plaît, ordonner selon qu'il lui plaît, exécuter tout ce qu'il lui plaît. On en soutire, on en gémit, le bon droit est vendu , toute la justice renversée : c'est ce qui importe peu à un père, pourvu qu'il n'en ressente point le dommage, et que ce fils soit établi. Car voilà comment raisonnent aujourd'hui la plupart des pères, ignorant leurs obligations ou négligeant d'y satisfaire; se persuadant que tout est fait, dès qu'un enfant se trouve placé ; s'imaginant que c'est en cela que consiste la grandeur du monde, et du reste se flattant qu'il y a une providence générale pour suppléer à tout ce qui pourrait manquer de leur part. Oui, Chrétiens, il y en a une, n'en doutez point ; mais c'est une providence rigoureuse , pour punir tous ces manquements dans vos personnes, avant que d'y suppléer dans l'ordre de l'univers : il y en a une; mais c'est une providence de justice, et non de miséricorde, pour vous demander raison de tous les maux que vous pouviez arrêter dans leur source, et que vous avez permis, que vous avez causés, que vous avez perpétués. Il est vrai, l'Ecriture nous dit, dans un sens, qu'au tribunal de Dieu chacun répondra pour soi, et rien davantage ; que le fardeau de l'un ne sera pas le fardeau de l'autre, et que chacun portera le sien : mais il n'est pas moins vrai que la même Ecriture, dans un autre sens, nous avertit que Dieu fera retomber sur le père l'iniquité du fils, que le jugement du père ne sera point séparé de celui du fils, que le fils sera condamné par le père, et le père par le fils.

 

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Deux oracles partis l'un et l'autre de la vérité même ; par conséquent l'un et l'autre infaillibles. Deux oracles opposés, ce semble, l'un à l'autre, et qui néanmoins ne se contredisent en aucune sorte. Mais oracles que vous ne concilierez jamais, qu'en reconnaissant à quoi vous engage la qualité de pères, et quel crime vous commettez, quand un amour aveugle pour des enfants, ou quelque autre vue que ce puisse être, vous fait coopérer à leur choix malgré leur insuffisance, qui vous est connue , et la disproportion qui se rencontre entre leur faiblesse et les ministères qu'ils prétendent exercer.

Mais si le choix enfin n'est mauvais ni en lui-même , ni à l'égard du sujet, est-ce assez? Non, Chrétiens, car j'ajoute qu'il peut être mauvais par rapport aux moyens, et que c'est encore ce qui doit exciter toute votre vigilance. Je le veux : cet état par lui-même n'a rien qui blesse, ni les règles de l'honneur, ni les droits de la conscience : on y peut être chrétien, et vivre en chrétien. Je vais plus loin, et je conviens même avec vous de tout le mérite de cet enfant : mais fût-il doué de mille qualités, le mérite n'est pas toujours la porte par où l'on trouve accès et l'on s'introduit, soit dans l'Eglise, soit dans le monde. Il y a de plus d'autres moyens auxquels on est souvent obligé d'avoir recours ; et, parmi ces moyens, il y en a de légitimes qui sont permis, et d'injustes que la loi défend. Or, dans le choix des uns et des autres , laisser les moyens permis parce qu'ils ne suffisent pas, parce qu'ils ne sont pas assez prompts, parce qu'on ne les a pas, et prendre des voies criminelles qui, tout indirectes qu'elles sont, conduisent néanmoins au terme et plus sûrement et plus vite, voilà une des plus ordinaires et des plus grandes iniquités du siècle. De vous en faire voir l'injustice, de déplorer avec vous la triste décadence où nous sommes là-dessus tombés en ces derniers temps, et de regretter l'ancienne probité des premiers âges, ce n'est point précisément mon sujet. Mais ce qui me regarde, et ce que je ne dois pas omettre ; ce qui demande toute l'ardeur de mon zèle et toute la force de la parole évangélique, c'est que des pères ouvrent eux-mêmes à leurs enfants dételles routes pour s'établir et pour s'avancer : car voilà de quoi nous avons sans cesse de tristes exemples. On veut que ce fils parvienne à certain degré dans le monde, et pour cela quelles intrigues n'imagine-t-on pas? quelles cabales ne forme-t-on pas? à quels excès ne se porte-t-on pas contre des concurrents qui se présentent et qui font ombrage? On jette les yeux sur certain parti pour cette fille; et afin de mieux engager celui-ci, le dirai-je? quelles libertés ne donne-t-on pas à celle-là? quelles entrevues ne lui permet-on pas? à quel péril ne l'expose-t-on pas? Ce sont, dites-vous, les moyens de réussir, et tout demeure sans cela : mais sont-ce des moyens que Dieu approuve ? sont-ce des moyens que l'Evangile autorise ? sont-ce des moyens que l'équité même naturelle inspire, et avec lesquels elle puisse concourir? par conséquent sont-ce des moyens qu'un père puisse suggérer à ses enfants, où un père puisse prêter la main à ses enfants, dont un père puisse donner l'exemple à ses enfants? Si donc il se laisse aveugler par sa passion jusqu'à les voir tranquillement, et sans nulle résistance de sa part, suivre de pareilles voies jusqu'à les leur tracer lui-même et aies y conduire, en participant aux crimes de ses enfants, ne doit-il pas s'attendre à être compris dans l'arrêt que Dieu prononcera contre eux, et y a-t-il une excuse légitime qui l'en puisse préserver ?

Ah! mes chers auditeurs, ne sera-ce pas assez d'être chargés de nous-mêmes et d'avoir à répondre de nous-mêmes? ne sera-ce pas même encore trop pour notre faiblesse? Mais, à l'égard des pères et des mères, il n'est pas possible que le jugement de Dieu se réduise là; et, par une triste nécessité et un engagement inévitable, il faut qu'il passe plus loin : car un père ne peut répondre de lui-même sans répondre de ses enfants, puisqu'il n'aura été bon père selon Dieu, ou père criminel, qu'autant qu'il aura rempli ses devoirs dans la conduite de sa famille, et en particulier dans celle de ses enfants, ou qu'il les aura négligés. Dieu donne l'autorité aux pères; c'est afin qu'ils l'emploient, et pour les juger selon l'usage qu'ils en auront fait. Dieu leur donne des grâces particulières et propres de leur état; c'est afin qu'ils s'en servent, et non pas pour qu'elles demeurent inutiles dans leurs mains. Tout ce que j'ai dit, au reste, du choix de vos enfants et du compte que vous en rendrez à Dieu, ne doit point s'entendre de telle sorte qu'il ne vous soit pas permis de les avancer dans des emplois convenables, ou de l'Eglise, ou du monde, quand Dieu les y appellera ; car bien loin de vous en faire un crime, je prétends au contraire que c'est une de vos obligations; et jamais je n'approuverai l'indifférence, pour ne pas dire la dureté de ces pères et de ces mères qui, tout occupés d'eux-mêmes, et ne voulant se dessaisir

 

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de rien, laissent languir de jeunes personnes sans établissement, et leur font manquer les occasions les plus favorables : mais mon dessein est d'exciter en vous un saint zèle de la perfection de vos enfants, dont Dieu vous a commis le soin, et qu'il soumet à votre discipline ; de vous faire travailler, tandis qu'ils sont encore sous la main paternelle, à les instruire, à les former, à les rendre capables, intelligents, dignes des places où, selon leur naissance, ils peuvent aspirer. Or, il n'y a point pour cela de plus puissant motif que de vous dire à vous-mêmes : Ou il faut que mes enfants soient exclus de tout, et qu'ils mènent une vie obscure et sans emplois; ou il faut que je m'applique à les dresser, afin qu'ils puissent devenir quelque chose et faire quelque chose dans la vie ; ou, si je veux les pousser sans nulle disposition de leur part, et malgré leur incapacité, il faut que je me damne avec eux. Qu'ils soient exclus de tout, ce serait pour eux une honte, et un reproche pour moi; que je me damne avec eux, ce serait une extrême folie et le souverain malheur. La conséquence est donc que je n'oublie rien, mais que j'use de toute mon adresse et de tout mon pouvoir de père, pour leur faire acquérir les qualités et do l'esprit et du cœur, dont ils pourront dans la suite avoir besoin, selon les états où la Providence les a destinés : car d'espérer que Dieu, en les appelant, fasse par lui-même tout le reste, et qu'il leur donne des connaissances infuses, c'est compter sur un miracle, et renverser l'ordre que sa sagesse a établi dans le gouvernement du monde ; et de prétendre que Dieu ne m'impute pas tout ce qui leur manquera, et qu'ils pourraient recevoir de moi, c'est ignorer un de mes premiers devoirs, et me tromper moi-même. Voilà, Chrétiens, ce qu'il faut bien méditer. Il n'y a rien là qui ne soit d'une conséquence infinie, et qui ne doive vous faire trembler, si vous le négligez; mais j'ajoute aussi qu'il n'y a rien qui ne soit d'un mérite très-relevé, et qui ne doive vous consoler, si vous vous y rendez fidèles et si vous l'observez.

La qualité de père vous impose de grandes obligations ; mais en même temps elle vous donne lieu d'amasser de grands trésors pour le ciel : car qui ne sait pas ce que coûtent la conduite et l'éducation des enfants ; combien d'humeurs il faut supporter, combien d'écarts il. faut pardonner, combien de faiblesses il faut ménager, combien de précautions il faut prendre pour les instruire sans les fatiguer, pour les tenir sous la règle sans les rebuter, pour leur faire d'utiles répréhensions sans les révolter? Or, rien de tout cela n'est perdu devant Dieu, et c'est en cela même que doit consister devant Dieu votre principale sainteté. Vos enfants profiteront de vos soins, ou ils n'en profiteront pas. S'ils n'en profitent pas, il est vrai, ce sera une peine pour vous, et une peine sensible; mais, du reste, vous en serez quittes auprès de Dieu et auprès d'eux : s'ils en profitent, et que Dieu, comme vous pouvez l'espérer, bénisse votre vigilance et votre zèle, quelle consolation pour vous en ce monde de voir votre famille dans l'ordre, et surtout quel bonheur un jour de vous retrouver tous ensemble dans la gloire que je vous souhaite, etc.

 

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