IX° DIMANCHE - PENTECOTE

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SERMON POUR LE NEUVIÈME DIMANCHE APRÈS LA PENTECOTE.
SUR LES REMORDS DE LA CONSCIENCE.

ANALYSE.

 

Sujet. Lorsque Jésus fut proche de Jérusalem, voyant cette ville, il versa des larmes de compassion pour elle, et il dit : Oh ! si du moins en ce jour, qui est pour toi, tu avais connu ce qui pouvait te donner la paix !

 

C'est ainsi que Dieu parle intérieurement à une âme criminelle, et qu'il presse un pécheur par les remords de sa conscience.

 

Division. Le remords du péché est une grâce de Dieu. La miséricorde de Dieu en nous accordant cette grâce qui fait le remords du péché : première partie. La malice et le malheur de l'homme qui s'obstine contre cette grâce pour persévérer dans le péché; deuxième partie.

Première partie. La miséricorde de Dieu en nous accordant cette grâce qui fait le remords du péché. En voici les avantages:

1° C'est une grâce; car c'est un secours que Dieu nous donne pour nous convertir.

2° C'est une grâce intérieure, puisque c'est la voix même de l'esprit de Dieu qui se fait entendre au fond de notre cœur.

3° C'est la première de toutes les grâces que Dieu donne au pécheur pour commencer l'ouvrage de sa conversion : c'est par cette grâce prévenante que Dieu le touche d'abord. Exemple de David et de Caïn.

4° C'est entre les autres grâces la plus miraculeuse dans la manière dont elle est produite. Ce miracle consiste en ce que c'est le péché même qui donne naissance à cette grâce.

5° C'est de toutes les grâces la plus digne de la grandeur et de la majesté de Dieu. Ce n'est point en suppliant que Dieu agit par ce remords, mais en maître et en juge, qui menace, et qui répand dans une âme la terreur de ses jugements Exemple d'Achab.                                                                                                                                                                          6° C'est de toutes les grâces la plus constante. Elle nous suit partout, et plus nous faisons d'efforts pour la repousser, plus elle s'attache à nous.

7° C'est la grâce la plus universelle. Il n'y a personne qui ne soit sujet aux reproches de sa conscience après le péché.

8° C'est la grâce la plus assurée pour l'homme pécheur, et la moins sujette à l'illusion. L'ange de ténèbres se transforme quelquefois, pour nous tromper, en ange de lumière ; mais il se garde bien de représenter à un pécheur le désordre de son crime

9° Sans cette grâce tous les dons de Dieu deviennent stériles à notre égard, et avec elle ils sont tous efficaces : car si notre conscience ne forme ce remords : Peccavi, J'ai péché, tout le reste est inutile ; et dès que ce remords est une fois bien connu il communique à tout le reste une vertu particulière et sanctifiante.

10° C'est la grâce la plus convaincante pour disposer l'esprit de l'homme à la pénitence. La conscience est alors son propre témoin, et se trouve forcée de s'accuser elle-même et de se condamner.

11° De là c'est la grâce la plus puissante sur le cœur. Elle le pique et le presse si fortement, que pour se délivrer du tourment secret qu'il ressent, il est enfin obligé de se rendre. Voilà le principe des plus grandes conversions. Que de trésors renfermés dans une seule grâce! et n'est-ce pas là que nous devons reconnaître toute la miséricorde de notre Dieu?

Deuxième partie. La malice et le malheur de l'homme qui s'obstine contre cette grâce du remords de la conscience pour persévérer dans le péché. En voici les divers degrés :

1° Puisque le remords de la conscience est une grâce, résister à ce remords, c'est donc résister à la grâce et au Saint-Esprit

2° Puisque le remords de la conscience est la première grâce du salut et le premier moyen de conversion pour un pécheur résister à ce remords, c'est donc tarir à son égard toutes les sources de la divine miséricorde.

3° Puisque le remords de la conscience est une grâce toute miraculeuse, plus devons-nous être coupables dans la résistance que nous y apportons.

4° Comme le remords de la conscience est la grâce la plus digne de la majesté de Dieu et la plus conforme à sa grandeur souveraine, rien aussi ne lui doit être plus injurieux que les révoltes d'une vile créature qui la rejette, et qui emploie tous ses efforts à la repousser. Car plus Dieu agit en Dieu, plus suis-je criminel de ne me pas soumettre et de ne lui pas obéir.

5° Le remords de la conscience est la grâce la plus constante et la plus durable : par conséquent une pleine résistance à ce remords suppose la malice la plus invétérée et lapins insurmontable.

6° Le remords de la conscience est la grâce la plus commune et la plus universelle : c'est une grâce qui n'est pas même refusé au plus méchant homme et au plus impie. Que reste-t-il donc à un pécheur qui se prive de cette dernière espérance?

7° Le remords de la conscience est la grâce la plus certaine pour un pécheur, et la moins sujette à l'illusion mais de là saint Bernard conclut que la résistance à ce remords est donc aussi la plus prochaine disposition au désespoir.

8° Affreux désespoir que redoublera au jugement de Dieu cette même conscience dont nous aurons tant éludé les périls salutaires. Son remords est maintenant pour nous la grâce la plus convaincante ; mais cette conviction, dont nous ne profitons pas, ne servira qu'à mettre devant Dieu le dernier sceau à notre condamnation.

La conclusion, c'est donc d'écouter les remords de notre conscience. Il nous en coule plus pour y résister, qu'il ne nous en coûterait pour les suivre. Ce que nous avons surtout à craindre, c'est que, par la force de l'habitude et par un juste châtiment de Dieu la conscience ne vint, non pas à ne point agir du tout, mais à n'agir plus que faiblement.

 

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Cum appropinquaret Jesus Jerusalem, vident civitatem, flevit super illam, dicens : Quia si cognovisses et tu, et quidem in hac die tua, quae ad pacem tibi !

 

Lorsque Jésus fut proche de Jérusalem, voyant cette ville, il versa des larmes de compassion pour elle, et il dit : Oh, si du moins en ce jour, qui est pour toi, tu avais connu ce qui pouvait te donner la paix ! (Saint Luc, chap. XIX, 41.)

 

Ce jour où le Fils de Dieu, accompagné de ses disciples, entra dans Jérusalem avec tant de solennité et au milieu des acclamations publiques; ce jour de la visite du Seigneur, c'était, mes Frères, selon l'expression de Jésus-Christ même, le jour de cette ville incrédule, parce que c'était en ce jour de grâce que le Sauveur des hommes venait répandre sur elle un nouveau rayon de sa lumière, et faire un dernier effort pour l'éclairer et la convertir. Il prévoyait de quels malheurs l'infidélité de ce peuple serait suivie, le profond aveuglement où il tomberait, les désolantes extrémités où l'ennemi le réduirait, le ravage affreux qui le ruinerait de fond en comble et le détruirait, la haine de toutes les nations qu'il encourrait. Tristes mais immanquables effets de son opiniâtre résistance à la voix du ciel et aux pressantes recherches de la divine miséricorde. Voila, dis-je, ce qu'il avait en vue, ce rédempteur d'Israël, et ce qu'il eût voulu prévenir en amollissant la dureté de ces cœurs jusque-là toujours rebelles, et les touchant par sa présence. Belle figure, Chrétiens, delà conduite de Dieu à l'égard de tant de pécheurs : car le pécheur, tout pécheur qu'il est, a néanmoins encore, aussi bien que Jérusalem, dans l'état même de son péché, des jours de salut, où Dieu li prévient, où Dieu lui parle, où il le rappelle. Il voudrait, ce pasteur si vigilant et si compatissant, sauver cette brebis égarée qui va se précipiter dans l'abîme ; il voudrait fléchir cette âme endurcie, et la ramener dans ses voies pour la préserver de ses vengeances. C'est pour cela qu'il s'adresse à elle, qu'il la poursuit et qu'il la sollicite : comment? non pas toujours d'une manière sensible, ni par la voie de ses ministres, mais secrètement et par lui-même; je veux dire par certaines réflexions qu'il lui inspire et qui la frappent, par certains reproches intérieurs qui la piquent et qui la troublent, Ah ! mon cher auditeur, que ne connaissez-vous alors le don de Dieu, et que ne profitez-vous de ce trouble salutaire qui n'a point d'autre fin que de vous conduire à la paix ! Si cognovisses et tu, et quidem in hac die tua, quœ ad pacem tibi ! Il est donc d'une conséquence infinie de vous faire voir tout le fruit que vous en pouvez tirer, et de vous exhorter fortement à ne le pas perdre. C'est aussi ce que je me propose dans ce discours, où je viens vous entretenir des remords de la conscience, après que nous aurons invoqué le Saint-Esprit, qui en est le principe, et que nous aurons fait à Marie la prière ordinaire, en la saluant avec les paroles de l'ange : Ave, Maria.

 

Intimider le pécheur par d'effrayantes menaces, et lui donner après son péché de continuelles alarmes ; lui retracer sans cesse l'image de son désordre, et lui en représenter toute la difformité ; ne lui accorder aucun repos, et sans relâche l'inquiéter, l'agiter, le tourmenter, n'est-ce pas là, Chrétiens, selon les apparences, le traiter en ennemi et le vouloir perdre? Mais par une règle toute contraire, je prétends, moi, et je vais vous en convaincre, que Dieu, quoique offensé et irrité, ne peut donner à l'homme criminel un plus solide témoignage de son amour qu'en excitant au fond de son cœur ces remords secrets ; d'où je veux en même temps conclure que l'homme aussi de sa part ne se rend jamais plus coupable ni plus malheureux que lorsqu'il résiste à Dieu dans cette sainte guerre que Dieu lui fait, et qu'il ne se laisse pas vaincre par l'infinie bonté du Maître qui ne le blesse que pour le guérir, et qui ne l'abat que pour le relever. En deux mots, mes chers auditeurs, voici tout mon dessein : je dis que le remords du péché est une des grâces de Dieu les plus efficaces et les plus précieuses; et j'infère de là que de ne pas écouter ce remords et de ne le pas suivre, c'est dans l'homme pécheur un des plus grands désordres, et un des plus justes sujets de sa réprobation. Jamais Dieu n'agit plus favorablement à l'égard du pécheur que lorsqu'il le presse par les reproches de sa conscience ; et jamais le pécheur n'outrage plus sensiblement Dieu que lorsqu'il ferme l'oreille à ces reproches, et qu'il refuse de les entendre. La miséricorde de Dieu, en nous accordant cette grâce qui fait le remords du péché : ce sera la première partie ; la malice et le malheur de l'homme qui s'obstine contre cette grâce pour persévérer dans le péché : ce sera la seconde partie : deux points qui demandent toute votre attention. Si dans cet auditoire, comme je n'ai que trop lieu de Je penser, il y a de ces pécheurs actuellement combattus par leur propre conscience , et combattant eux-mêmes contre elle, c'est à eux aujourd'hui que je parle ; et, par tout l'intérêt que je prends et qu'ils doivent prendre encore plus que moi au salut de leur âme, je les conjure

 

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de s'appliquer à une matière qui les regarde spécialement, et à laquelle il a plu peut-être à Dieu d'attacher leur conversion et leur bonheur éternel.

 

PREMIÈRE  PARTIE.

 

Pour vous faire bien entendre ma pensée, et pour vous donner une pleine connaissance du premier point que j'entreprends d'établir, voici, Chrétiens, quelques propositions auxquelles je les réduis, et que je vous prie de suivre exactement et sans en perdre une seule ; car elles ont entre elles une liaison absolument nécessaire.

Je dis que le remords de conscience que nous sentons après le péché est une grâce intérieure ; que c'est la première grâce que Dieu donne au pécheur dans l'ordre de sa conversion ; que cette grâce est une des plus miraculeuses, si nous considérons la manière dont elle est produite dans l'homme ; que de toutes les grâces, c'est la plus digne de la grandeur et de la majesté de Dieu ; qu'il n'y a point de grâce plus constante ni moins sujette à se retirer de nous; que c'est la grâce la plus générale et la plus universelle que Dieu emploie pour notre salut ; qu'entre les autres grâces elle a ceci de particulier, d'être certaine, assurée, exempte de toute sorte d'illusion ; que cette grâce seule fait agir toutes les autres grâces sur notre cœur, que c'est une grâce de lumière plus convaincante que toute autre pour réduire l'esprit ; enfin qu'elle est la plus absolue et la plus impérieuse pour fléchir notre volonté et pour la soumettre à Dieu. Auriez-vous cru, mes chers auditeurs, que dans ce reproche de la conscience il y eût tant d'avantages et tant de trésors renfermés? C'est néanmoins ce que je vais vous montrer; et vous verrez que ce sujet, tout stérile qu'il paraît d'abord, est un des plus étendus et des plus vastes. J'en tirerai les preuves de la théologie ; mais cette théologie n'aura rien de fatiguant pour vous, et elle me donnera lieu d'entrer dans les morales les plus édifiantes. Reprenons, et appliquez-vous.

Au moment que nous péchons, nous sentons dans nous-mêmes un remords de la conscience, qui est le reproche qu'elle nous fait de notre péché. Je dis que ce remords est une grâce, et voilà le fondement de toutes les vérités que j'ai à développer. Car qu'est-ce qu'une grâce? et combien l'ignorent, quoiqu'ils en reçoivent tous les jours! La grâce, disent les théologiens, est un secours que Dieu donne à l'homme, afin qu'il puisse agir et mériter pour le ciel; et, s'il est pécheur, afin qu'il puisse travailler à sa conversion. Voilà comme en parle l'école. Or tout cela convient parfait» ment à cette syndérèse, c'est-à-dire à ce remords de conscience qui naît dans nous après le péché. Car il est certain que Dieu en est l'auteur, que c'est par amour qu'il l'excite en nous, et qu'il s'en sert pour nous convertir: d'où je conclus que ce remords a toutes les qualités d'une véritable grâce. Que Dieu en soit le principe, rien de plus constant, puisque l'Ecriture nous l'apprend en mille endroits. Oui, c'est moi-même, dit Dieu, parlant a un pécheur, c'est moi qui te reprocherai le désordre de ton crime. Quand après l'avoir commis, ta conscience sera troublée, ne t'en prends point à d'autre qu'à moi, et ne cherche point ailleurs d'où vient ce trouble. Cent fois après avoir succombé à la tentation, tu voulais te dissimulera toi-même ta lâcheté, tu détournais les yeux pour ne pas voir ton péché, et tu croyais que j'en userais de même, et que je serais d'intelligence avec toi : Existimasti inique quod ero tui similis (1) : mais tu te trompes, car étant ton Seigneur et ton Dieu, je me déclarerai toujours ton accusateur, et jamais tu ne m'offenseras que je ne te représente aussitôt, malgré toi, ton iniquité et toute son horreur : Arguam te, et statuant contra faciem tuam (2). Voyez-vous, Chrétiens, comment Dieu est le principal auteur du remords de conscience? Mais par quel motif l'opère-t-il en nous ? je l'ai dit : par amour, par un effet de sa bonté, par une effusion de sa miséricorde. Ne s'en expliqua-t-il pas ainsi lui-même à son bien-aimé disciple, dans le chapitre troisième de l'Apocalypse ? Ego quos amo, arguo (3): Celui que j'aime je les reprends, et c'est en les reprenant que je les aime. Mais en faut-il d'autre témoignage que la parole du Fils de Dieu, lorsqu'il annonçait à ses apôtres la venue du Saint-Esprit ? Cum venerit ille, arguet mundum de peccato (4). Le monde, leur disait cet adorable Sauveur, sera repris des péchés qui le rendent criminel : et par qui sera-t-il repris? par l'Esprit de vérité que j'enverrai pour cela. Que veut-il dire par cet Esprit de vérité, c'est-à-dire par l'amour substantiel du Père et du Fils, par cette personne divine qui est la charité même? Prenez garde, mes chers auditeurs; c'est l'amour de Dieu qui nous reprend, lorsque nous  sommes  pécheurs   :   Arguet mundum

 

1 Ps., XLIX, 21. — 2 Ibid. — 3 Apoc, III, 19. —4 Joan., XVI, 8.

 

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de peccato. Y a-t-il lieu de douter après cela que le remords de notre conscience ne soit une grâce ?

Grâce non extérieure, mais grâce intérieure, puisque c'est au milieu de nous-mêmes et dans le fond de nos âmes que ce ver ou ce remords est formé. Car voilà pourquoi, dit saint Paul, l'Esprit de Dieu est descendu dans nos cœurs, afin d'y crier sans cesse contre nos désordres : Misit Deus Spiritum Filii sui in corda vestra clamantem (1). Il crie, ce divin Esprit, non point, remarque saint Augustin, comme un prédicateur qui nous parle, et qui nous reproche les dérèglements de notre vie : car tous les prédicateurs du monde n'ont pas assez de vertu pour pénétrer dans une conscience; et quand leur parole frappe l'oreille, elle est souvent si éloignée du cœur qu'elle ne peut y arriver. Mais l'Esprit de Dieu est placé comme dans le antre de nous-mêmes, afin d'y être mieux entendu; et de là, dit saint Augustin, il pousse Incessamment une voix qui contredit nos passions, qui censure nos plaisirs, qui condamne notre péché : Clamat in nobis Spiritus contradictor libidinis. Ah! Chrétiens, serions-nous ingrats et endurcis jusqu'à ce point île prendre cette contradiction du Saint-Esprit pour une rigueur importune, et de ne pu reconnaître que c'est un don de sa grâce, une miséricorde envers le pécheur, un aide pour son salut, un moyen favorable pour le rappeler à Dieu? Serions-nous assez aveugles pour considérer comme une peine insoutenable l'aiguillon qui nous pique, et pour vouloir nous en délivrer? Non, Seigneur, nous n'en jugerons point ainsi; et puisque nous savons que c'est votre Esprit, et votre Esprit consolateur, qui suscite dans nous ses remords, nous les recevrons toujours comme des bienfaits de votre main ; et, bien loin de nous en plaindre, nous ne penserons par notre fidélité qu'à vous en marquer notre reconnaissance.

Mais voici quelque chose de plus : j'ajoute que le remords de la conscience est la première de toutes les grâces que Dieu donne à un pécheur pour commencer l'ouvrage de sa conversion. Je m'explique. Imaginez-vous, Chrétiens, que par le péché l'homme retombe dans une espèce de néant d'où Dieu l'avait tiré par la grâce du baptême et de la justification. Je veux dire que, dans l'instant que l'âme est souillée du péché, elle est dénuée de tous mérites, dépouillée de tous droits à la gloire, destituée de toutes les vertus et de tous les dons

 

1 Galat., IV, 6.

 

du Saint-Esprit, digne d'être privée de tous les secours de la grâce, et comme réduite enfin au néant dans Tordre surnaturel ; de sorte qu'elle ne peut faire d'elle-même une seule démarche pour retourner à Dieu. Il faut donc, afin qu'elle se convertisse, que Dieu la prévienne, et que, se relâchant de ses propres intérêts, il fasse toutes les avances pour se réconcilier avec le pécheur, qui est son ennemi. Or, voilà ce qui s'accomplit par les grâces prévenantes, dont la première est le remords du péché ; voilà le premier coup que Dieu frappe pour disposer un cœur à la pénitence, et par où, dit excellemment l'abbé Guerry, le Saint-Esprit trouve le secret d'anticiper lui-même son entrée dans nos âmes : Stimulus cordis, quo et adventum jam ipse suum Spiritus antevenit. En voulez-vous un illustre exemple? le voici : David tombe, il devient adultère, il y ajoute l'homicide. Que fait Dieu ? il pouvait le réprouver, aussi bien que Saül, mais il ne le veut pas : au contraire, il se dispose à exercer sur lui sa miséricorde. Mais par où commence-t-il? vous le savez : par un remords de conscience qui touche ce prince. A la voix du prophète, David s'écrie : Peccavi (1) ; J'ai péché, et je suis coupable d'une double injustice; la chair m'a vaincu, et j'ai versé le sang du juste : Peccavi. C'était là proprement ce retour de la conscience qui s'élève contre elle-même, et ce fut le premier mouvement qui porta ce roi criminel à une entière pénitence. Jusque-là, nous ne lisons point dans l'Ecriture qu'il eût donné quelques marques de repentir : il n'avait point encore répandu de larmes, il ne s'était point encore revêtu du cilice, il n'avait point encore mortifié son corps par le jeûne. Pourquoi cela? parce que dans l'ordre des grâces tout cela devait être précédé du remords de son péché ; et c'est ce qui me fait dire que ce remords est, à l'égard d'un pécheur, la première grâce du salut, la première vocation de Dieu qui l'invite à se rapprocher de lui, la première lueur qui nous éclaire dans l'ombre de la mort où le péché nous tient ensevelis.

Et n'est-ce pas aussi ce que Dieu faisait entendre à Caïn, lorsqu’après lui avoir reproché l'indignité de ses sacrifices, et voulant néanmoins, par une bonté toute paternelle, le préserver du désespoir où ce malheureux était sur le point de tomber, il lui disait: Pourquoi te décourages-tu? Ne sais-tu pas qu'autant de fois que tu feras mal, ton péché sera à la porte pour t'assaillir, et pour te troubler par ses

 

2 Reg., XII, 13.

 

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remords? Nonne si male egeris, statim in foribus peccatum aderit (1) ? C'est ce remords qui t'abat l'esprit ; et c'est ce qui devrait t'animer et te remplir de confiance, parce que le remords est un sentiment de grâce que je t'inspire, et qui montre que je ne t'ai pas encore délaissé. Ainsi saint Ambroise interprète-t-il les paroles que je viens de rapporter, et cette interprétation est tout à fait conforme aux termes de l'Ecriture ; car il est certain que Dieu parlait alors à Caïn pour le consoler. Mais avez-vous bien observé ces deux mots qui contiennent toute ma proposition : Statim in foribus peccatum aderit ? Le péché, ou, comme l'expliquent les Pères, le remords du péché se trouvera dès l'heure même à l'entrée de ton cœur : ce qui nous donne à connaître que ce remords est à la tête de toutes les grâces, et que c'est par là d'abord que Dieu attaque une âme rebelle : Statim in foribus peccatum aderit. Ah ! Chrétiens, cela seul ne devrait-il pas nous rendre cette grâce infiniment chère ? Quoi ! ce reproche intérieur que je sens de mon crime est la première recherché que Dieu fait de moi, c'est le principe de toutes les grâces que je dois espérer de lui, c'est le commencement de mon bonheur; et combien donc dois-je l'estimer? Mais allons plus avant.

J'ai fait une quatrième proposition, savoir : que le remords de conscience était entre toutes les autres grâces la plus miraculeuse dans la manière dont elle est produite. Or, en quoi consiste ce miracle? apprenez-le : c'est que le péché de l'homme, si opposé de lui-même et par sa nature aux grâces de Dieu, est pourtant ce qui donne naissance à celle-ci. Car, si vous le remarquez bien, le remords du péché est engendré par le péché même ; et il est d'ailleurs indubitable, ainsi que vous l'avez vu, que ce remords est une grâce : donc il est certain que cette grâce est extraite du   néant du péché, comme de son fonds et de son origine. Sur quoi saint Jean Chrysostome, adorant la providence de Dieu, s'écrie : Que votre miséricorde, ô mon Dieu^est admirable dans ses conseils, qu'elle est puissante dans ses opérations, qu'elle est ingénieuse dans toute l'économie de la conversion des hommes ! Nous ne nous en apercevons pas, et cependant, Seigneur, vous faites dans nous des miracles de grâce pour nous sauver, au moment même où nos offenses devraient vous engager à faire des miracles de justice pour nous punir. Car vous prenez le péché que nous venons de commettre, pour

 

1 Gen., IV, 7.

 

en exprimer la grâce qui nous reproche de l'avoir commis : vous vous servez pour nous justifier de ce qui nous a faits coupables, et pour nous rendre la vie de ce qui nous avait causé la mort.

Peut-être me direz-vous, Chrétiens, qu'il est indigne de la majesté de Dieu, après l'injure qu'il a reçue de l'homme, de s'abaisser encore jusqu'à le rechercher, jusqu'à le prévenir de ses grâces, jusqu'à vouloir l'attirer à lui ; que de se comporter de la sorte envers une créature, et une créature rebelle, c'est déroger à sa grandeur. Mais vous vous trompez, et votre erreur vient de ce que vous ne connaissez m ni la nature des grâces, ni leur qualité ; car en tout cela Dieu garde parfaitement son caractère et son rang. Il rappelle l'homme pécheur, mais c'est sans rien rabattre de sa suprême autorité: il fait les premiers pas, mais il les fait en monarque, en souverain, en Dieu : comment ? par le remords même de la conscience. Car ne croyez pas que ce remords soit une de ces grâces par où Dieu semble nous solliciter en forme de suppliant, de ces grâces par où il nous convie amoureusement, de ces grâces accompagnées d'une douceur et d'une onction céleste ; mais comprenez ce que fait Dieu par la grâce de ce remords. Il s'élève contre nous avec une indignation également sévère et majestueuse, disant à notre cœur: Tu as trahi ton Dieu. Il nous force de confessa nous-mêmes que nous sommes criminels, et faisant dire à notre conscience: J'ai péché, il y répand avec empire la terreur de ses jugements. Enfin, si la manière dont il nous prévient est une grâce, cette grâce a toutes les apparences d'un châtiment. Et c'est ce que saint Chrysostome nous a si bien représenté dans la personne d'Achab. Considérez, mes Frères, dit ce saint docteur, ce que fit dans ce prince le remords de son injustice envers Naboth. Achab était roi, et un roi très-absolu. Il ne voulait être contredit de personne, et il prétendait que tout se réglât selon ses volontés. Cependant, dès qu'il a écouté la voix de sa conscience , qui lui reproche la violence de son procédé contre un de ses sujets, le voilà triste, abattu , confus, couché par terre, sans lever les yeux ni regarder le ciel. Jamais il ne parut plus humble, ni plus petit devant Dieu. Qui opérait eu lui ce changement? le remords de son péché : ce remords était donc une grâce. Oui, reprend saint Chrysostome, mais c'était une grâce impérieuse par où Dieu traitait Achab en esclave et non en roi, avec la sévérité d'un juge et non avec les caresses d'un père ; et c'est ainsi que cette

 

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grâce se trouve pleinement conforme à l'idée que nous avons de notre Dieu, comme du plus paissant et du plus grand de tous les maîtres.

Ce remords a encore un avantage bien estimable : c'est que de toutes les grâces il n'en est point de si constante ni qui soit moins sujette a se retirer de nous ; car il y a des grâces. Chrétiens, que saint Augustin appelle grâces délicates, parce qu'on les perd aisément, et que Dieu nous en prive quelquefois pour les plus légères infidélités. Mais le remords du péché est une grâce stable, fixe, permanente, qui ne nous quitte presque jamais, qui nous suit dans tous les lieux du monde, dont Dieu nous favorise malgré nous, et dont nous ne pouvons même nous défaire. Car, en quelque lieu du monde que nous allions, nous nous trouvons nous-mêmes; et, nous trouvant nous-mêmes, nous trouvons notre péché : or le péché est toujours suivi du remords, et par conséquent de la grâce divine. Comme si Dieu disait au pécheur : C'est en vain que tu veux m'échapper; ma miséricorde est résolue de ne point se séparer de toi, et de te poursuivre partout; j'ai une grâce à l’épreuve de toutes les contradictions , qui est le  remords de ta conscience. Fais tout ce qu'il le plaira; elle ira te chercher jusque dans la confusion et le tumulte des plus nombreuses assemblées, jusque dans les plus secrets et les plus sombres réduits, jusque dans tes débauches les plus infâmes; c'est là même qu'elle agira plus fortement, et qu'elle sera plus assidue a te présenter sans cesse la double image et de ton crime et de ton devoir. Telle est en effet cette grâce, que plus l'homme s'en rend indigne, plus elle s'attache à lui; elle naît avec le péché, elle croît avec le péché, et jamais elle n'abandonne la conscience, que la conscience n'abandonne le péché. N'est-ce pas une prérogative bien singulière? Grâce toujours présente pour nous secourir dans l'état le plus désespéré, et plus ferme pour s'opposer à notre malice, que notre malice n'est obstinée à la combattre.

Ce n'est pas tout. Comme cette grâce du remords de conscience est la plus constante dans sa durée, aussi est-ce la plus universelle dans son étendue ; car on ne peut pas dire d'elle ce que disait autrefois le Prophète royal des grâces particulières que Dieu faisait à son peuple, qu'elles n'étaient pas pour les nations païennes et barbares, et que Dieu les réservait pour une étroite portion de la terre, c'est-à-dire pour la Judée : Non fecit taliter omni nationi (1). Celle-ci est commune indifféremment à tous

 

1 Ps., CXLVII, 20.

 

les hommes. Ce ne sont pas seulement les justes comme David, qui après un péché de faiblesse ressentent le remords de leur conscience ; mais les traîtres comme Judas, mais les parricides comme Caïn, mais les réprouvés comme Esaü, tous sans exception, puisque tous, dit saint Paul, sont exposés à ces atteintes secrètes et à cette tribulation salutaire dont Dieu les afflige; Tribulatio et angustia in omnem operantis malum (1). Ne semble-t-il pas même, ajoute saint Augustin, que ce remords qui s'élève dans la conscience soit la grâce propre des pécheurs ; et n'est-ce pas à eux que Dieu la communique plus souvent, plus abondamment, plus efficacement? Ah! Chrétiens, quelle consolation pour un homme engagé dans le crime, de pouvoir dire : Tout pécheur que je suis, il m'est encore permis d'espérer; Dieu a encore des grâces pour moi, aussi bien que pour les saints : il a des grâces d'amis auxquelles je n'ai pas droit de prétendre; mais il a, pour ainsi parler, des grâces d'ennemis, desquelles je puis encore profiter, et qui sont les remords de ma conscience ! Quand il n'y aurait que cela, ne serait-ce pas assez pour conclure qu'il n'y a point de pécheur dans la vie qui soit entièrement destitué du bénéfice de la grâce ; et Dieu n'a-t-il pas raison après cela de faire aux plus impies mêmes le commandement indispensable de se convertir, puisqu'il n'y en a pas un qui n'ait du moins le secours de cette grâce, je veux dire le reproche de son péché? Car, pour le remarquer en passant, il est certain qu'il n'y a point de pécheur sur la terre exempt de l'obligation de satisfaire à Dieu, et à qui Dieu ne dise : Je veux que tu reviennes à moi par la pénitence ; cela est sans contredit : donc il n'y a point de pécheur à qui ce précepte ne soit possible, et par conséquent qui n'ait toujours quelque grâce de pénitence quand il est actuellement obligé de la faire. Nous avons là-dessus des preuves qui ne nous permettent pas d'en douter . mais quand nous ne les aurions pas, en voulez-vous une plus sensible que celle-ci, et ne suffit-il pas qu'il n'y ait point de pécheur à couvert des retours et des pointes de sa conscience?

Cependant admirez une autre propriété de la grâce dont je relève le prix. C'est la plus assurée pour l'homme pécheur, et la moins sujette à l'illusion. Dans les autres grâces le pécheur court risque d'être trompé, et souvent l'ange de ténèbres se transforme en ange de lumière. De là l'on prend pour des grâces et

 

1 Rom., II, 9.

 

260

 

des inspirations divines de véritables tentations : par exemple, dit saint Ambroise, une présomption secrète pour un mouvement d'espérance, une tendresse naturelle pour un sentiment d'amour de Dieu. Mais le remords du péché est une grâce certaine, sous laquelle cet ennemi des hommes ne saurait se déguiser ; car il ne s'avisera jamais, poursuit le même Père, de représenter à un pécheur le désordre de son crime ; au contraire, il fait tous ses efforts pour lui en cacher la honte, pour lui en diminuer la malice, pour en effacer de son esprit le souvenir. Quand donc il arrive, Chrétiens, qu'après le péché votre conscience est troublée de remords, dites avec assurance : C'est Dieu qui me parle, voilà sa voix; ce reproche ne peut partir que de sa grâce : et je ne dois rien craindre en le suivant, parce qu'il ne m'inspirera que l'horreur et le regret de ma vie corrompue. Or, de tels effets ne viennent point de l'esprit de mensonge, qui est un esprit de corruption. C'est, mon cher auditeur, ce que vous devez dire,et vous direz vrai: et cette confiance sera un puissant motif pour vous porter à Dieu.

Car, outre les autres avantages du remords delà conscience, observez-en un des plus insignes : c'est que sans cette grâce tous les dons de Dieu deviennent stériles à notre égard, et qu'avec elle ils sont tous efficaces, parce que c'est elle qui les fait agir pour notre conversion et notre sanctification. En effet, Chrétiens, quand nous sommes dans l'état du péché, en vain Dieu nous imprime-t-il la crainte de sa justice, en vain veut-il allumer dans nos cœurs le feu de son amour : si notre conscience ne forme ce remords : Peccavi; J'ai péché, tout le reste est inutile; et dès que ce remords est une fois conçu, il communique à tout le reste une vertu particulière et sanctifiante, comme si vous disiez : J'ai péché, donc il faut craindre Dieu, qui est mon juge; j'ai péché, donc je vais recourir à la miséricorde de Dieu pour le toucher en ma faveur : j'ai péché, et par mon péché je me suis éloigné de Dieu, donc je dois me rapprocher de lui> et m'y réunir par un saint amour. Sans ce remords je ne raisonnerais pas de la sorte, et je ne me convertirais pas : pourquoi? Zenon de Vérone en apporte la raison : parce que la conversion du pécheur doit se faire par forme de jugement, et d'un jugement tout nouveau, dit ce savant évêque. Si le coupable se justifie, on le condamne, et s'il s'accuse lui-même, il est absous : Novum judicium, in quo si reus excusaverit crimen, damnatur ; absolvitur, si fatetur. Comme il est donc vrai que dans la justice humaine toutes les autres procédures sont nulles en matière de crime, si elles ne sont fondées sur l'action de l'accusateur et des témoins ; de même, pour la justification du pécheur, toutes les autres grâces n'ont point de force, à moins qu'elles ne soient soutenues par le remords du pécheur, et par le témoignage qu'il porte contre lui-même.

Achevons, Chrétiens, et disons enfin que cette grâce seule du remords de la conscience est plus convaincante que toute autre pour disposer l'esprit de l'homme à la pénitence. Car qu'y a-t-il de plus fort pour cela que d'obliger un pécheur à s'accuser soi-même : Oui, j'ai péché? que de produire contre lui un témoin qui ne peut être récusé, et qui est sa propre conscience : Il est vrai, tu as péché? que de le réduire à prononcer lui-même l'arrêt de sa condamnation : Je suis pécheur, et j'ai mérité l'enfer? Or tout cela est renfermé dans le reproche que fait la conscience à une âme criminelle. Et c'est, dit saint Grégoire, pape,ce qui rend ce remords insoutenable, et par conséquent cette grâce invincible. Car, au lieu que dans les jugements des hommes les témoins peuvent être subornés, les accusateurs passionnés ; que souvent le témoignage de l'un n'est pas conforme à celui de l'autre, ce qui est cause que la conviction n'en est presque jamais certaine : au contraire, dans une conscience troublée des remords de son péché, il ne peut y avoir ni supposition, ni passion, ni préoccupation, parce qu'elle agit contre elle-même; et comme elle fait d'ailleurs tout ensemble ces trois fonctions, d'accuser, déjuger, et de condamner, il faut par nécessité que le pécheur lui cède, parce que son témoignage est une démonstration plus évidente que tous les raisonnements du monde.

De là même il s'ensuit que cette grâce est aussi la plus puissante sur le cœur de l'homme pour le soumettre aux ordres de Dieu. Et quel est, en effet, le pécheur assez endurci pour ne pas sentir les traits de sa conscience ; et s'il les sent, le moyen qu'il les puisse supporter sans faire tous ses efforts pour sortir de cet état de peine en quittant le péché? Nous nous étonnons quelquefois que les Pères de l'Eglise, faisant le portrait d'une conscience déréglée, nous la dépeignent comme un bourreau domestique qui tourmente le pécheur. Que veulent-ils nous marquer par cette figure? c'est que le remords de conscience, quoiqu'il procède de

 

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l'Esprit d'amour, et qu'il soit une grâce, a néanmoins la force et comme la cruauté d'un bourreau pour contraindre les cœurs rebelles de s'assujettir à Dieu. Ah ! Chrétiens, c'est cette grâce qui de tout temps dans le christianisme a opéré les plus grandes conversions ; c’est elle qui tous les jours au milieu du monde opère des changements si merveilleux. Quand vous voyez dans une ville, dans un quartier, un homme réformer ses mœurs, et tenir une conduite toute contraire à ses désordres passés, dites : C'est la conscience qui a fait cela, ou c’est Dieu qui, pour le faire, s'est servi de la conscience. Oui, c'est la conscience qui brise les rochers et qui fend les pierres, pour en former des enfants d'Abraham ; c'est elle qui va détacher un mondain de l'amour du siècle pour l'attirer à la vie religieuse ; c'est elle qui ouvre les tombeaux, selon l'expression de saint Jérôme, c'est-à-dire qui ouvre les âmes pour en tirer par de saintes confessions le venin qui y demeurait caché ; enfin c'est cette grâce qui a donné un saint Augustin à l'Eglise. Non , Chrétiens, cet homme incomparable ne renonça au péché que lorsqu'il y fut réduit par le remords de sa conscience : voilà la grâce victorieuse qui emporta son cœur. Dieu l'arma contre lui même, et lui livra une espèce de combat, dont jamais il ne se put défendre. Jusque-là saint Augustin avait résisté à toutes les autres grâces ; mais il succomba à cette grâce du remords, et il en fut heureusement vaincu. Que de trésors, ô mon Dieu, dans une seule grâce, et qu'un pécheur est donc redevable à votre miséricorde de le ramener ainsi à son devoir? J'entends chez le prophète Jérémie des hommes dominés par leurs passions et plongés dans le vice, qui se glorifient d'avoir la paix de la conscience, quoiqu'ils n'aient rien moins qu'une véritable paix : Dicentes pax, et non erat pax (1). Mais c'est en cela même que je reconnais qu'ils sont abandonnés à l'iniquité, et que vous les traitez, Seigneur, selon toute la sévérité de vos jugements, parce qu'il n'y a rien de plus dangereux ni de plus formidable que la paix dans le péché ; et Ton peut dire que c'est la plus terrible de vos vengeances, et qu'une âme commence dès lors à être réprouvée. Je vois dans le même Jérémie d'autres pécheurs (ce sont les habitants de Jérusalem), qui se reconnaissent, qui embrassent la pénitence et protestent que c'est le remords de leur péché et le trouble de leur âme qui les y a comme forcés. Seigneur, disent-ils, vous

 

1 Jerem., VI, 14.

 

nous avez favorablement trompés, quand nous étions dans votre disgrâce et dans nos criminelles habitudes. Nous attendions la paix, et nous ne l'avons jamais trouvée : Expectavimus pacem , et ecce formido (1) ; nous cherchions le remède à notre mal, et vous nous avez envoyé le trouble : Tempus curationis, et ecce turbatio (2). C'est parla, Seigneur, que nous avons connu nos impiétés, et que nous les avons détestées : Cognovimus, Domine, impietates nostras, quia peccavimus tibis. Car, dans ce trouble de nos consciences, vous nous avez fait éprouver que le péché était notre plus grand ennemi, et que vous étiez seul notre souverain bien et toute notre félicité. Il est donc vrai, mes chers auditeurs, que le remords de conscience a toutes les qualités de la grâce la plus complète. Mais cela étant, que faisons-nous lorsque dans l'état du péché nous méprisons la voix de notre conscience ? c'est de quoi il me reste à vous entretenir en peu de paroles. La miséricorde de Dieu, en accordant à l'homme la grâce qui forme dans nous le remords du péché, c'a été la première partie ; la malice de l'homme qui résiste à cette grâce pour persévérer dans le péché, c'est la seconde. Encore un moment d'attention.

 

DEUXIÈME PARTIE.

 

Pour bien connaître la malice et tout ensemble le malheur de l'homme qui s'obstine contre le remords de sa conscience, il n'y a point de plus juste méthode à suivre que de reprendre toutes les qualités de la grâce dont je viens de développer les avantages, et que de leur opposer les divers degrés de résistance qui se rencontrent dans l'obstination du pécheur. Ceci m'offre une nouvelle et ample matière, mais que j'aurai soin d'abréger. Ecoutez comment je raisonne.

Quand je suis dans l'état du péché, le reproche que m'en fait ma conscience est une grâce. Donc je résiste à la grâce si je néglige ce reproche, et que je tâche même à l'étouffer dans mon cœur. Ce n'est point un mouvement naturel que je supprime, c'est une inspiration qui vient d'en-haut, et que je rends inutile à mon salut. Le Saint-Esprit est l'auteur de cette grâce, et c'est lui qui me reprend de mon péché. D'où il s'ensuit qu'en résistant à cette grâce, c'est au Saint-Esprit que je résiste, et qu'alors je suis de ces cœurs incirconcis à qui parlait saint Etienne, quand il disait aux Juifs: Dura cervice et incircumcisis cordibus, vos

 

1 Jerem., VI,15.— 2 Ibid., XIV, 19.— 3 Ibid., 20.

 

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semper Spiritui sancto resistitis (1). Esprits rebelles, cœurs durs et intlexibles, vous ne cessez point de résister à l'Esprit de Dieu. Comment lui résistaient-ils ? demande  saint Chrysostome. En refusant d'entendre le remords de leur conscience, qui leur reprochait de n'avoir pas reçu Jésus-Christ comme leur Messie. Vous l'avez livré à la mort ; et non content de cela,  au lieu de reconnaître l'horreur de ce déicide, qui se présente tout entière aux yeux de votre âme pour l'engager à un saint repentir, vous persistez dans votre crime. Voilà pourquoi je dis que vous êtes des cœurs indomptables ,  et que   vous vous endurcissez contre l'Esprit de votre Dieu : Vos semper Spiritui sancto resistitis. Or, n'est-ce pas justement ce que fait un pécheur dans le feu et l'emportement de la passion qui le possède? La conscience lui dit : Cela t'est défendu ; c'est une injustice, c'est une vengeance, c'est une perfidie, c'est un attentat contre la loi de ton Dieu ; mais il n'importe, répond-il, je me satisferai, et rien là-dessus ne sera capable de m'arrêter. Concevez-vous une résistance plus formelle, et un mépris plus exprès et plus outrageant ? Vos semper Spiritui sancto resistitis.

Le mal va plus loin, et que les suites en sont terribles ! car, puisque le remords de la conscience est la première grâce du salut, et le premier moyen de conversion pour un pécheur, que fait-il encore en y résistant? il tarit pour lui toutes les sources de la divine miséricorde, et, si j'ose m'exprimer ainsi, il met Dieu dans une espèce d'impuissance de le sauver. En effet, que pouvez-vous, après cela, mon cher auditeur, attendre de Dieu pour vous retirer de la voie de perdition où vous demeurez malgré lui? Comptez-vous qu'il vous donnera d'autres grâces? mais il ne le peut, selon les règles ordinaires de sa providence : et pourquoi? parce que, dans le conseil de cette providence éternelle, il est arrêté que le remords du péché précédera toutes les grâces, ou que ce sera l'entrée à toutes les autres grâces. Vous flattez-vous que, par une conduite toute particulière, Dieu changera en votre faveur l'ordre de votre prédestination? Mais il ne le veut pas; et il prétend avec raison que ce changement n'étant point nécessaire, c'est avons de vous conformer à ses lois, et non point à lui de recevoir les vôtres. Par conséquent, perdre cette grâce du remords, c'est manquer l'occasion favorable du retour, c'est ruiner le fondement de votre justification, c'est couper la racine de

 

1 Act., VII, 51.

 

tous les fruits de pénitence que vous auriez été en état de produire. Quand Holoferne voulut se rendre maître de Béthulie qu'il assiégeait, ce ne fut point par la force des armes qu'il la réduisit aux dernières extrémités , mais en détournant le cours des eaux qui y coulaient. Or, voilà comment vous en usez contre vous-mêmes, et voilà ce qui damne communément les libertins du siècle. S'ils étaient attentifs aux avertissements de leur conscience, s'ils se servaient utilement de ce secours ordinaire et de cette première grâce, Dieu entrerait par là; il irait bientôt plus avant, il ferait naître dans leur cœur un dégoût secret du vice et l'amour de la vertu, il se communiquerait à eux en mille manières. Mais tandis qu'ils le laissent frapper à la porte sans lui ouvrir, et qu'ils lui ferment toutes les voies en lui fermant celle de ces remords intérieurs par où il pourrait s'insinuer, quel accès lui reste-t-il, et n'est-il pas naturel qu'il les abandonne à eux-mêmes? Voila, dis-je, ce qui les entretient jusqu'au dernier soupir de leur vie dans un désordre continuel, et ce qui les conduit presque immanquablement à l'impénitence finale.

Et quel désordre, en effet, Chrétiens, de commettre le péché et de se charger devant Dieu de tout ce qu'il y a de plus abominable et de plus odieux dans le péché, sans tirer nul avantage du seul bien que le péché puisse produire, qui est le remords de la conscience! Je vous ai dit que ce remords était une grâce toute miraculeuse, en ce qu'elle naît du péché même; mais n'est-il pas vrai que plus elle est miraculeuse dans sa naissance, plus nous sommes condamnables dans la résistance que nous y apportons? Dieu fait pour vous, mon cher auditeur, un miracle de sa miséricorde, en vous faisant trouver dans votre péché la grâce qui doit le détruire , et qui peut réparer tout le dommage qu'il vous a causé. Mais vous, par une espèce de miracle tout contraire, je dis par un miracle de malice, par un miracle d’infidélité et d'opiniâtreté, vous rendez cette grâce infructueuse, et vous en arrêtez toute la vertu ; comme si vous aviez entrepris de combattre contre la toute-puissance de Dieu, et que, par la malignité de votre cœur, vous voulussiez surpasser l'excès de son amour et toute sa bonté.

De là, qu'est-ce que je conclus? C'est que rien, ainsi que je vous l'ai fait entendre, n'étant plus digne de la majesté de Dieu, ni plus conforme à sa grandeur souveraine, que la grâce dont je parle, rien aussi ne lui doit être plus injurieux que les révoltes d'une vile créature

 

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qui la rejette, qui s'élève contre elle, et emploie tous ses efforts à la repousser ; car plus Dieu agit en Dieu, plus suis-je coupable de ne me pas soumettre, et de ne lui pas obéir. Or, par les remords de ma conscience, Dieu me traite parfaitement en maître, puisqu'il m'humilie, qu'il me trouble, qu'il m'épouvante, qu'il se venge de moi, qu'il me fait voir ce que je suis, et sentir toute mon indignité. Mais moi, en méprisant ces remords, j'agis parfaitement en sujet rebelle. Je ne veux pas seulement prêter l'oreille aux remontrances de mon Dieu, je trouve mauvais qu'il me reprenne, je ne tiens nul compte de ses menaces : sans me mettre en peine si je suis pécheur ou non, si je lui plais ou si je lui déplais , si je mérite ses châtiments ou ses récompenses, j'écarte de mon esprit toutes ces pensées, et je n'en ai point d'autre que de me contenter. Telle est l'audace du pécheur; et contre qui? contre l'auteur même de son être et le suprême arbitre de son sort éternel.

Ce n'est pas là néanmoins que se termine toute sa malice, et voici ce qui l'augmente. Le remords du péché est de toutes les grâces la plus constante et la plus durable ; donc une pleine résistance à ce remords suppose la malice la plus invétérée et la plus insurmontable, lu des hérétiques de ces derniers siècles se glorifiait, après bien des assauts qu'il avait eu à soutenir, d'être enfin venu à bout de sa conscience, et de s'être tellement affermi contre elle, qu'il s'était délivré de ces reproches intérieurs qui le fatiguaient. Il le disait, et c'était plutôt une vanité diabolique qu'une vérité. Que dis-je, une vanité diabolique! n'était-ce pas quelque chose de plus? car jusque dans l'enfer les démons sont perpétuellement et impitoyablement bourrelés des remords de leur conscience : et si ce n'est pas pour eux une grâce, n'est-ce pas un de leurs plus cruels supplices? Le Sauveur du monde nous l'a lui-même appris lorsqu'il nous a dit que le ver qui les ronge ne meurt point, comme le feu qui les brûle ne s'éteindra jamais : Vermis eorum non moritur, et ignis eorum non extinguitur (1) ; au lieu que Luther, cet ennemi de l'Eglise, le plus emporté et le moins traitable, prétendait avoir secoué le joug, et s'être mis au-dessus de cette censure importune. Que la chose fût ainsi ou ne fût pas, ce n'est point ce que j'examine; mais de li je vous laisse à juger par quels efforts de malice et par combien de résistance il s'était

 

1 Marc, IX, 43.

 

établi ou il croyait s'être établi dans cette damnable disposition. Vous me demandez si réellement un pécheur peut parvenir là. Je n'en sais rien, et j'ai de la peine à me le persuader. Mais si cela se peut, je dis que c'est le comble de l'impiété; mais si cela se fait, je dis que c'est l'abîme du péché dont parlait Salomon au livre de ses Proverbes ; et que le pécheur n'est jamais dans un état plus irrémédiable et plus perdu, que quand il vient à n'avoir plus que du mépris pour tout ce qui concerne la conscience et pour Dieu même : Impius cum in profundum peccatornm venerit, contemnit (1). Encore une fois, je ne décide point si cela se peut, ni si cela se fait : mais, quoi qu'il en soit, je prétends que cela ne se peut faire qu'en déclarant à Dieu une guerre éternelle; qu'en disant à Dieu : Vous êtes résolu de m'attaquer partout, et moi partout je vous résisterai ; vous êtes déterminé à ne me point accorder de relâche, et moi je ne cesserai point de me défendre ; vous me presserez vivement, et moi je ferai si bien qu'à force de tenir contre vous, je réussirai à vous éloigner absolument de mon cœur, dont vous voulez prendre possession. On ledit, Chrétiens, non pas expressément ni en paroles; car on frémirait en le prononçant, et l'on aurait horreur de soi-même : mais on ledit en pratique; on agit selon ces détestables principes. Ce ne peut être là sans doute que l'état des âmes vendues au péché, et pour qui il ne paraît plus qu'il y ait de ressource.

Ce qui doit nous en convaincre, c'est ce que j'ai marqué pour sixième caractère dans la grâce attachée au remords de la conscience. Grâce universelle, et la plus commune de toutes les conditions et tous les états. Sur quoi je fais cette réflexion ; elle est solide : Eh ! mon cher Frère, vous renoncez volontairement à la grâce la plus commune, à la grâce la plus étendue, à une grâce qui n'est pas même refusée au plus méchant homme et au plus impie; vous vous privez de cette dernière espérance : que vous restera-t-il donc, et n'êtes-vous pas comme dans un enfer ? Car un des plus grands malheurs du réprouvé dans l'enfer, ce n'est pas d'être déchiré des remords de sa conscience, mais de ne pouvoir plus se servir de ces remords, de n'y trouver plus nul secours, de n'en avoir que le sentiment et que la peine. Or, je conviens avec vous que vous pouvez encore utilement vous servir du remords qui vous pique, et qu'en cela votre situation est

 

1 Prov., XVII, 3.

 

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différente. Mais au fond et quant à l'effet, qu'importe que vous puissiez vous en servir, si vous ne vous en servez pas? qu'importe que vous en puissiez tirer quelque secours, si vous ne le tirez pas? qu'importe que ce soit une grâce pour vous, si vous n'en faites nul usage et si vous n'en profitez pas ?

D'autant plus criminel dans votre malice et dans votre aveugle résistance que cette grâce est entre toutes les autres la plus certaine pour un pécheur, et la moins exposée aux prestiges et aux artifices de l'esprit de mensonge. Saint Jean, dans sa première Epître, écrivait à ses disciples: Mes chers enfants, si votre cœur ne vous reprend d'aucune chose, ayez une confiance entière : Charissimi, si cor nostrum non reprehenderit nos, fiduciam habemus (1) ; mais, sans contredire la pensée de cet apôtre, je vous dis : Tenez-vous assurés du côté de Dieu quand votre conscience vous fera des reproches, parce que c'est une preuve infaillible que Dieu pense à vous, et qu'il jette encore sur vous un regard de salut : Charissimi, si cor nostrum reprehenderit nos, fiduciam habemus. Ces deux propositions, toutes contradictoires qu'elles paraissent, ne se combattent point ; car le saint apôtre parlait de la confiance des justes, qui suppose la grâce d'innocence, et je parle de la grâce de pénitence, qui n'est jamais moins douteuse que lorsqu'elle commence dans une âme par le remords du péché. C'est donc pour vous, pécheurs, le seul fonds sur lequel vous puissiez compter avec une pleine certitude. Mais pourquoi le dissipez-vous? pourquoi vous l'enlevez-vous à vous-mêmes? et que ne vous souvenez-vous de la parole de saint Bernard, que comme ce remords est la plus sûre de toutes les grâces, aussi la résistance à ce remords est la plus prochaine disposition au désespoir?

Affreux désespoir, que redoublera au jugement de Dieu cette même conscience dont vous aurez tant de fois éludé les poursuites salutaires; cette conscience à qui vous aurez si souvent imposé un silence mortel, lorsqu'elle s'expliquait contre votre gré, contre vos inclinations vicieuses, contre vos passions, mais pour vous ressusciter et vous rendre une vie toute divine; cette conscience pour qui vous aurez conçu la même haine que témoigna le roi Achab contre le prophète Michée, parce que ce zélé ministre du Seigneur, usant de toute la liberté qui lui convenait comme à l'homme de Dieu, annonçait à ce prince des

 

1 1 Joan., III, 21.

 

malheurs qui l'effrayaient, mais dont la connaissance lui pouvait être si avantageuse pour les éviter : Odi eum ; non enim prophetat mihi bonum, sed malum (1); cette conscience dont le remords est dès à présent contre vous le témoignage le plus irréprochable et le plus convaincant; mais qui, dans l'assemblée du monde entier, parlant plus haut que jamais, et produisant au jour ce remords qu'elle avait jusque-là tenu secret, en formera, à votre honte et pour votre ruine, la conviction la plus accablante. C'est saint Paul qui vous en avertit dans son Epître aux Romains, où, faisant la description du jugement dernier, il nous représente tous les hommes devant le tribunal de Jésus-Christ, lequel n'aura besoin contre eux ni d'autres témoins que leur conscience, ni d'autres accusations que leurs propres remords : Testimonium reddente conscientia ipsorum, et cogitationibus invicem accusantibus aut etiam defendentibus (2). Comme si Dieu devait dire alors aux réprouvés : Jugez-vous vous-mêmes. Voilà votre conscience qui vous accuse. C'est elle qui dépose contre vous, et je n'ai point pris d'ailleurs que d'elle-même les titres qui vous condamnent. Dès la vie, elle vous a fait cent fois reconnaître que vous étiez pécheurs, et dignes de mes plus sévères arrêts. Je voulais par là vous rappeler de vos égarements. Mais c'était un aveu stérile et sans fruit qu'elle vous arrachait. Elle vous l'arrache encore après la mort, non plus pour votre conversion, mais pour votre éternelle réprobation. Le moyen que je vous sauve après que vous avez porté vous-mêmes votre sentence? C'est ainsi que Dieu leur fermera la bouche, et qu'en même temps il se justifiera. Car voilà, Seigneur, disait Je Prophète royal, voilà pourquoi vous faites paraître en témoignage la conscience des hommes; voilà pourquoi vous leur faites avouer à eux-mêmes qu'ils ont péché, et qu'ils sont inexcusables dans leur péché : Tibi soli peccavi, et malum coram te feci (3). C'est, mon Dieu, afin de mettre votre justice à couvert de tout blâme; et que, quelque rigoureux que soient vos jugements contre le pécheur, il n'ait rien à vous opposer : Ut justificeris in sermonibus tuis, et vincas cum judicaris (4).

La conclusion, mes Frères, c'est donc d'être fidèles à la grâce lorsque vous le pouvez encore, et de lui céder sans une plus longue résistance : j'entends toujours à cette grâce du

 

1 1 Reg., XXII, 8. — 2 Rom., II, 15. — 3 Psal., LX, 6. — 4 Ibid.

 

265

 

remords de votre conscience, qui, par une dernière prérogative, n'est pas seulement la plus puissante pour convaincre l'esprit, mais une des plus fortes pour fléchir la volonté. Que dit Jésus-Christ à saint Paul, quand, sur le chemin de Damas, il fit briller à ses yeux cet éclair qui l'éblouit, et retentir à ses oreilles ce coup de tonnerre qui l'altéra ? Durum est tibi contra stimulum calcitrare (1) ? Saul, Saul, lui dit cet Homme-Dieu, où vas-tu, et de quelle Commission as-tu voulu te charger, en te déclarant le persécuteur de mon Eglise? C'est trop longtemps faire violence à ma grâce qui le recherche, et il est trop pénible pour toi de résister davantage à ses traits. Je vous adresse, mon cher auditeur, les mêmes paroles. Il y a peut-être déjà tant d'années que Dieu vous invite a rentrer dans la sainte liberté de ses enfants, et qu'il veut vous faire sortir de l'esclavage où vous êtes malheureusement engagé. Vous avez un penchant au mal qui vous entraîne; mais vous avez aussi un frein bien capable de vous retenir : c'est votre conscience. Votre cœur s'est laissé prendre à un objet corrupteur et périssable, et vos liens sont difficiles à rompre : mais combien de coups la conscience a-t-elle frappés pour cela; et n'en serait-elle pas venue à bout si vous l'aviez secondée? Les sens et la chair vous dominent; mais le remords qui vous perce l'âme vous apprend assez que les brutales voluptés des s us et de la chair ne vous satisferont jamais, et que vous y trouverez toujours plus d'amertume que de plaisir. Si vous voulez être de bonne foi, vous en conviendrez. Oui, vous Conviendrez que depuis le moment fatal où votre passion vous a séduit, et où elle vous a soumis à son empire tyrannique, vous n'avez pas eu un jour tranquille; que si à quelques temps elle vous a enivré de ses fausses douceurs, vous les avez ensuite payées bien cher, par les regrets qui les ont suivies, par la douleur que vous en avez conçue, par les reproches que vous vous êtes faits, par la crainte des vengeances divines qui vous a saisi, par tous les sentiments de votre foi qui se sont réveilla : vous conviendrez que ce combat domestique dont vous êtes le triste sujet, et qui s'élève presque à toutes les heures entre la passion et la conscience ; que cette incertitude où vous vivez, sans savoir à quoi vous résoudre, ni à quoi vous voulez renoncer, si c'est à votre conscience, si c'est à votre passion ; que ces vicissitudes éternelles, ces tours et retours de

 

1 Act., IX, 5.

 

votre cœur, se démentant mille fois lui-même et mille fois se contredisant, tantôt voulant l'un, tantôt choisissant l'autre, ne se déterminant, ou du moins ne se tenant à rien de fixe, fuyant ce qu'il souhaite, cherchant ce qu'il déteste (car voilà où en sont tant de pécheurs) ; vous conviendrez, dis-je, que tout cela est l'état le plus désolant, et qu'il vous en coûterait incomparablement moins de suivre enfin la voix de la conscience qui vous presse, et d'exécuter aux dépens de tout le reste la sainte résolution qu'elle vous inspire. Durum est tibi contra stimulum calcitrare. Encore si vous en étiez quitte pour la peine que vous ressentez ! mais ce qu'il y a de plus funeste et de plus à craindre, c'est que, par la force de l'habitude qui jette tous les jours dans votre âme de nouvelles et de plus profondes racines, la conscience ne vienne, non pas, si vous voulez, à ne point agir du tout, mais à n'agir plus que faiblement; de sorte que ces remords ne fassent plus qu'une légère impression, et qu'ils perdent presque toute leur vertu ; car, je l'ai dit et je le répète, c'est ce qui arrive, et ce que Dieu permet. Terrible punition dont il menaçait autrefois son peuple par le prophète Ezéchiel. Nation infidèle, leur disait le Seigneur, je te trouve toujours en défense contre moi, et toujours en garde contre ma grâce pour la repousser. Mais sais-tu ce que je ferai, et quel châtiment je te prépare? je ne t'enverrai point des afflictions temporelles , ni perles de biens, ni maladies; je corrige ainsi mes prédestinés et mes amis, et tu ne mérites pas un traitement si salutaire : mais, dans le trésor de mes vengeances, j'en ai une plus conforme à ton indignité , et d'autant plus mortelle qu'elle sera plus selon tes désirs : c'est que je laisserai ma colère se reposer pour toi et dans toi : Requiescet indignatio mea in te (1) Comment se reposera-t-elle ? parce qu'elle ne te reprochera plus rien , ou qu'elle ne le fera plus, ni avec la même assiduité, ni avec les mêmes instances. Quand elle tonnait, qu'elle t'effrayait, qu'elle te consternait, c'était une colère de pardon; mais quand elle semblera se calmer et t'épargner, ce sera une colère de damnation. Ah! Seigneur, nous sommes pécheurs , et comme pécheurs, nous sommes dignes des plus rudes coups de votre justice ; mais si vous avez à vous venger et à nous châtier, que ce ne soit point par ce silence plus à redouter pour nous que tous vos tonnerres, ni par ce repos plus dangereux que tous les troubles.

 

1 Ezech., XVI, 42.

 

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La grande grâce que nous tous demandons, ô mon Dieu, c'est de ne nous faire point maintenant de grâce. Vous ne nous ménagerez jamais davantage en cette vie, que lorsque vous voudrez moins nous ménager. Remuez, Seigneur, remuez nos consciences, et ne souffrez pas qu'elles tombent dans un assoupissement dont elles ne reviendraient plus. Votre prophète vous suppliait de ne le point reprendre dans votre fureur et de ne le punir point dans votre courroux. Cela est bon pour un autre monde que celui-ci, et nous vous faisons la même prière. Mais présentement les touches les plus pénétrantes et les plus sensibles, les plus vives répréhensions, seront pour nous les plus signalées faveurs. La nature en murmurera, elle en sera peinée, mortifiée, attristée; mais cette heureuse tristesse que l'Apôtre préférait à tous les plaisirs du siècle, nous fera passer du péché à la pénitence, et de la pénitence à la joie du Seigneur et à la souveraine félicité où nous conduise, etc.

 

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